Manipulation psychologique: comment les abuseurs ébranlent le sens de la réalité de leurs victimes pour affirmer leur pouvoir
par Amy Nordhues | 16 mars 2025 |
Le terme anglais «gaslighting» vient d’une pièce de théâtre de 1938, et plus tard d’un film intitulé Gaslight dans lequel un mari commet un meurtre et tente de détourner les soupçons de sa femme en lui faisant croire qu’elle devient folle. Lorsqu’elle s’interroge sur les bruits qu’elle entend dans le grenier, il lui dit qu’elle les imagine. Pour sceller l’affaire, il diminue petit à petit la lueur des lampes à gaz de la maison. Lorsqu’elle pose des questions au sujet de l’éclairage, il dit n’avoir rien remarqué et insiste à nouveau qu’elle perd la tête.
De nos jours, le terme anglais «gaslighting» fait référence à la méthode utilisée par un agresseur pour confondre, désorienter et désarmer une victime potentielle.
C’est une tactique couramment utilisée par les abuseurs et les narcissiques. Des graines de doute sont plantées une à une dans la tête de la victime, de sorte que celle-ci est à peine consciente de ce qui se passe. Cela peut être accompli de différentes manières, mais toujours avec un seul objectif: déstabiliser la victime. Essentiellement, l’abuseur perturbe l’esprit de sa victime jusqu’à ce qu’elle soit si peu sûre d’elle-même qu’elle n’a plus confiance en sa propre interprétation de la réalité. En fin de compte, elle n’a plus d’autres choix que de devenir dépendante de l’abuseur.
Ce mécanisme a toujours été un concept étrange pour moi. Il m’était donc difficile de croire que je puisse être dupée, et encore moins de me demander si je perdais la tête. C’est-à-dire, jusqu’à ce que je rencontre un prédateur, en 2013. Il se disait être un psychiatre chrétien et on me l’avait fortement recommandé.
Comment la manipulation psychologique se manifeste-t-elle?
Dans son livre, Gaslighting: Recognize Manipulative and Emotionally Abusive People – and Break Free, le Dr Stephanie A. Sarkis énumère les techniques utilisées par les abuseurs pour maîtriser leurs victimes.
- Ils racontent toutes sortes de mensonges. L’une des façons dont mon agresseur a essayé de gagner ma sympathie a été de me dire que son père était boxeur et impliquer ainsi qu’il avait été physiquement violent envers lui. Son stratagème a fonctionné parce que plus je compatissais avec lui, plus il me semblait fragile, et plus il m’a été difficile de l’abandonner lorsque j’ai souhaité le faire. Une fois mon calvaire terminé, je me suis souvenue de cette information, et j’ai un peu creusé. Il s’est avéré qu’il existe bien un boxeur professionnel qui partage le nom de son père, mais il y a un tout petit problème: son père était blanc, et je veux dire blanc comme un linge, alors que ce boxeur était noir. Autre problème: son père était décédé des années auparavant alors que le boxeur du même nom était bien vivant. J’ai aussi découvert que son père, soi-disant agressif et violent, concevait des cuisines pour gagner sa vie.
- Ils nient avoir dit quelque chose, même si vous avez des preuves.
- Ils utilisent ce qui vous est proche et cher, comme des munitions.
- Ils attaquent le plus profond de votre être.
- Ils vous ont à l’usure. Voici l’une des choses insidieuses en ce qui concerne la manipulation psychologique: elle se fait progressivement, de sorte que la victime en est à peine consciente. Dans mon cas, c’est après une année que j’ai commencé à me demander si je devenais folle. Je ne pouvais plus faire la différence entre la voix de Dieu et celle de Satan, et je ne pouvais pas décider si la thérapie que je suivais m’aidait ou me faisait du mal. Ces deux choses sont opposées; comment pouvais-je ne pas savoir si quelque chose m’était bénéfique ou me faisait du tort? Plus j’essayais de raisonner, plus j’étais perdue. C’était effroyable.
- Leurs actions sont en désaccord avec leurs paroles. Ce docteur était du genre grand-père enjoué. Il portait des costumes avec des cravates mal accordées. Au début, il était si gentil et attentionné – il me couvrait avec un afghan, m’apportait du thé et essuyait mes larmes avec un mouchoir. Au cours des derniers mois, après m’avoir agressée sexuellement et sachant que j’étais suicidaire, il a plaisanté en disant qu’il était «censé me protéger contre des personnes comme lui». Tout en ôtant ses vêtements, il me rassurait en me disant qu’il essayait de m’aimer comme Jésus le ferait.
- Ils vous encouragent et vous débilitent en même temps. Vers la fin de mes interactions avec ce docteur, j’ai commencé à avoir des aperçus de sa cruauté. (Je n’ai pas atteint l’étape finale où le narcissique vous balance, comme une ordure.)
Malheureusement, une autre de ses victimes a atteint ce stade. Après avoir couché avec elle au cours de leurs «séances de thérapie» pendant plus d’une décennie et ne pas lui avoir fait payer un centime, il a soudain cessé d’avoir des relations sexuelles avec elle et lui a donné une facture substantielle, antidatée.
- Ils savent que la confusion rend faible. Ces manipulateurs psychologiques savent que les gens ont un besoin profond de stabilité et de normalité. Leur but est de vous déraciner et de vous faire tout remettre en question. Et la tendance humaine naturelle, c’est de se tourner vers la personne ou l’entité qui vous aidera à vous sentir plus stable – et il se trouve qu’il s’agit du manipulateur. Je n’avais personne d’autre à qui parler car ce docteur m’avait attirée dans un processus de thérapie vraiment bizarre. Aussi, lorsque je me demandais quelle voix j’entendais – celle de Dieu ou celle de Satan (Dieu me disant de fuir ou Satan essayant de m’enlever ma figure paternelle) – mon médecin était le seul vers lequel je pouvais me tourner. Quand je lui ai parlé de mon combat, il m’a dit que Satan faisait la même chose avec lui en essayant d’entacher la relation «pure» que nous avions et en nous faisant croire qu’elle ne l’était pas.
Etais-je satisfaite de sa réponse? Non. Est-ce que j’avais quelqu’un d’autre avec qui en parler? Non.
- Ils projettent sur vous leurs attributs.
- Ils essaient de tourner les autres contre vous. Les abuseurs sont maîtres dans l’art de manipuler et de s’entourer de personnes dont ils savent qu’elles les soutiendront, quoi qu’il arrive – et ils utilisent ces personnes contre vous.
Quand l’abuseur utilise cette tactique, vous avez l’impression de ne plus savoir à qui faire confiance ou vers qui vous tourner – et cela vous ramène directement vers celui qui vous manipule. Et c’est exactement ce qu’ils souhaitent. Votre isolement lui procure plus de contrôle. Mon agresseur était ancien, dans mon église. Il savait que j’étais une amie proche de la femme du pasteur. Il savait aussi qu’elle le soutiendrait. Et il avait raison. La première fois que j’ai parlé avec mon amie des violences auxquelles ce docteur me soumettait, elle a pris son parti. Seule, trahie et cherchant désespérément de l’aide, devinez où j’ai cherché du réconfort? Auprès de mon agresseur.
- Ils vous disent, à vous et à d’autres, que vous êtes folle. Il s’agit là d’un des outils les plus efficaces de l’abuseur, car c’est rempli de mépris. Le manipulateur sait que s’il remet en question votre santé mentale, les gens autour de vous ne vous croiront pas lorsque vous leur direz qu’il vous maltraite.
Mon agresseur était psychiatre, donc, en fin de compte, il pouvait me diagnostiquer avec tout ce qu’il voulait, et ce serait sa parole contre la mienne. Ils pouvaient raconter aux autres tout ce qu’il voulait sur mon état mental. Vérité ou mensonge.
Une amie m’a parlé d’une autre victime qu’il a abusée lorsqu’elle était sa patiente. Elle était en hôpital psychiatrique lorsqu’il a abusé d’elle. Comment allait-elle se défendre contre son médecin? Son statut de psychiatre était une couverture efficace – c’est-à-dire, jusqu’à ce que je le dénonce et que sa mascarade tombe à l’eau. Cependant, avant cela, j’ai appris qu’il avait dit à ses amis et collègues que je vivais dans le délire et que j’avais imaginé ses agressions. Malheureusement pour lui, je pense que personne ne l’a cru.
- Ils vous disent que tous les autres sont des menteurs. Les patients comptent donc sur leur abuseur pour obtenir des informations «correctes» – qui ne sont pas correctes du tout.
Je me souviens d’une session où j’ai eu une expérience spirituelle que je souhaitais partager avec mon pasteur. Lorsque je l’ai mentionné à mon docteur, il était catégoriquement contre cette idée et m’a persuadée de ne pas le faire. Je pensais qu’un pasteur serait la personne idéale avec qui partager une expérience spirituelle.
Après cela, il a commencé à me raconter des histoires dénigrant le caractère de mon pasteur. J’étais abasourdie. Je pensais que nous le respections tous les deux. Je sais maintenant qu’il ne voulait pas que le pasteur de l’église où il était ancien apprenne ce que nous faisions en thérapie. Il ne voulait pas non plus que je fasse un allié de quelqu’un qui faisait partie de son entourage proche.
Vers la fin, mon abuseur m’avait complètement embrouillée. J’étais anxieuse, et je passais mes journées à faire les cent pas. Je ne pouvais pas me concentrer, ma santé se détériorait, et mes pensées s’emballaient. Ma santé mentale, qui ne tenait plus qu’à un fil, reposait sur la réponse à une question simple: mon docteur me cause-t-il de la souffrance ou la soulage-t-il?
Soit il m’aidait, soit il me faisait du mal. C’était l’un ou l’autre. Je me demandais: Qu’est-ce qui ne va pas chez moi? Je me noie dans la confusion, et je me sens complètement seule. Comment en suis-je arrivée là? Et qui peut m’aider à m’en sortir?
Les manipulateurs psychologiques savent-ils ce qu’ils font?
Absolument.
Le manipulateur est souvent un narcissique, un toxicomane ou un sociopathe, surtout si la manipulation est préméditée ou utilisée pour dissimuler un crime. Certains abuseurs ont appris ce comportement de leurs parents. D’autres ont peut-être un trouble de la personnalité qui se caractérise par un comportement antisocial, irresponsable ou criminel persistant; ils sont souvent impulsifs, agressifs, sourds et aveugles aux préjudices et à la détresse causés aux autres, et incapables de maintenir des relations sociales et personnelles à long terme.
Certains agresseurs manipulent les autres dans le but d’acquérir un sentiment de contrôle sur leurs propres vies. D’autres ont peut-être une personnalité autoritaire – un type de personnalité qui reflète un désir de sécurité, d’ordre, de pouvoir et de statut, ainsi qu’un besoin de schémas d’autorité structurés et d’un ensemble conventionnel de valeurs ou de perspectives ; ils exigent une obéissance inconditionnelle et ont tendance à être hostile envers les individus issus de groupes minoritaires ou non traditionnels ou à les utiliser comme boucs émissaires. (Pour plus d’informations, lire “Are Gaslighters Aware of What They Do?”)
La mascarade des manipulateurs
Les manipulateurs psychologiques, aussi doués soient-ils à mentir et à manipuler, peuvent aussi être charmants et séduisants. Au début, ils vous semblent aimants et attentionnés. Mon agresseur, âgé de presque 70 ans, se comportait comme un grand-père doux et un peu gauche. Il portait, bien en évidence, un pendentif en forme de croix et se vantait souvent de ne jamais l’enlever. Pour prétendre que nos séances de thérapie étaient chrétiennes, il les commençait toujours par la prière, du moins au début.
Il est courant de se sentir coupables lorsqu’on commence à douter et à suspecter la personne sur laquelle on compte et en qui on a confiance. Je sais que c’était mon cas. Quand j’ai commencé à percevoir des signes d’alarme, je ne pouvais pas croire que la personne que j’avais appris à connaître puisse être capable de faire tant de mal, aussi, je minimisais ces doutes et tentais de les ignorer et de les expliquer. Souvent, lorsque les abuseurs se rendent compte que vous doutez, ils déverseront sur vous amour et flatteries pour vous replacer entre leurs griffes. Cadeaux, séances plus longues, appels téléphoniques personnels – mon agresseur a utilisé toutes ces tactiques quand il a eu besoin de m’attirer à nouveau à lui.
Ce cycle se poursuit jusqu’au moment où vous ignorez complètement votre intuition. Vous laissez passer des comportements de plus en plus douteux. Vous perdez votre capacité à analyser des questions de base – comme le fait de savoir si on est en train de vous aider ou de vous faire du mal. Bientôt, vous ne ferez même plus confiance à votre propre perception de la réalité. En thérapie, certaines de mes expériences m’apparaissaient comme des expériences spirituelles légitimes, alors qu’à d’autres moments, je me demandais si ce que mon docteur me vendait n’était qu’un tas de fumier. Ce qui était effrayant: je n’arrivais plus à faire la différence.
La confusion vous envahit. Au cours des derniers jours, je n’arrivais plus à avoir les idées claires. Je me sentais seule, perdue et pensais devenir folle. J’étais comme prise au piège sur une île avec un seul autre habitant qui jouait deux rôles opposés: bourreau et consolateur. C’était une situation sans espoir et très difficile à échapper, mais avec l’aide et la force de Dieu, cela a été possible.
Amy Nordhues est une survivante d’abus sexuels au cours de son enfance ainsi qu’aux mains d’un professionnel de la santé mentale. Elle est une disciple passionnée du Christ et elle sait, par expérience, la guérison que Dieu peut apporter. Elle a une licence en psychologie avec une option en sociologie et criminologie. Elle blogue sur www.amynordhues.com. Mariée et mère de trois enfants, elle aime passer du temps avec sa famille, écrire, lire, prendre des photos, et elle s’intéresse à tout ce qui touche à la comédie. La version anglaise de cet article est parue le 8 mars 2023 sur le site d’AdventistToday.
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