Les adventistes sont-ils des fanatiques anticatholiques? Officiellement, oui!
par Loren Seibold | 8 août 2024 |
Imaginons – de façon purement hypothétique – qu’un jour vous preniez la Revue Adventiste et que vous y voyiez, en couverture, un article intitulé «La vérité sur les juifs». Supposons que l’article dise que les juifs ourdissent une conspiration secrète pour dominer le monde; que, parce qu’ils sont dans les banques, ils vont bientôt prendre le contrôle de l’économie et empêcher les chrétiens de faire des affaires; qu’ils sont en fait de mèche avec le diable; qu’ils sont des créatures charnelles qui prétendent être pures, mais sont affreusement immorales; qu’ils tiennent des cérémonies secrètes où leurs adeptes sont délibérément endoctrinés; et que leur plan est finalement de nous torturer et de nous détruire, nous les chrétiens.
Si vous avez étudié l’histoire du sectarisme, vous reconnaîtrez peut-être que toutes ces accusations contre les juifs ont été avancées pendant des siècles dans des ouvrages tels que Les Protocoles des Sages de Sion. Ce sont les justifications utilisées par des personnes haineuses pour persécuter les juifs.
Parce que vous connaissez cette histoire, vous seriez furieux que notre Église exprime de telles idées. Vous craindriez que des journalistes extérieurs à l’Église ne s’en emparent. Nous en serions embarrassés. Soyons clairs: à ma connaissance, un tel article n’a pas été publié dans la Revue.[1]
Mais nous, les adventistes, avons des opinions tout aussi erronées. Les adventistes du septième jour, s’ils sont fidèles à leurs documents fondateurs et à leurs doctrines, sont officiellement des fanatiques anticatholiques.
Il est temps de l’avouer
Nous ne nous contentons pas de croire que notre Église est celle que nous pensons être la bonne, ni même qu’elle est la seule vraie. Au cœur même de notre eschatologie se trouve l’enseignement selon lequel l’Église catholique romaine est d’une puissance quasi surnaturelle et irrémédiablement mauvaise, ennemie de Dieu et de mèche avec le diable. Certaines des choses que les antisémites disaient des juifs, nous, adventistes, les disons dans des livres qui nous sont chers à propos des catholiques romains.
• Ils cherchent à dominer le monde. «L’Église romaine poursuit de vastes projets. Elle use de tous les moyens pour élargir le cercle de son influence et accroître sa puissance en prévision d’un combat acharné pour reprendre le contrôle du monde…» (La Tragédie des siècles, p.614)
• Ils veulent prendre le contrôle de l’économie et nous empêcher de faire des affaires. «Elle [la bête] fait qu’on impose à tous, petits et grands, riches et pauvres, hommes libres et esclaves, une marque sur la main droite ou sur le front, et que personne ne puisse acheter ni vendre sans avoir la marque, le nom de la bête ou le chiffre de son nom.» (Apocalypse 13.16-17).
• La papauté est de mèche avec Satan. «‘Ils ont un même dessein’. Il y aura un lien d’union universelle, une grande harmonie, une confédération des forces sataniques et ils donneront ‘leur puissance et leur pouvoir à la bête’. C’est ainsi que le même pouvoir arbitraire et oppressif contre la liberté religieuse, la liberté d’adorer Dieu selon les préceptes de la conscience, se manifestera. Comme s’est manifesté dans le passé la Papauté, quand elle persécutait ceux qui osaient refuser de se conformer aux rites et cérémonies religieuses du Romanisme.» (Manuscrits inédits (19-96), Tome 1, p.274)
• Ils organisent des cérémonies magnifiques et sophistiquées qui manipulent les gens. «Le faste et les cérémonies du culte catholique ont une puissance de séduction et de fascination qui pousse une foule de personnes sentimentales à considérer l’Église de Rome comme la porte même du ciel.» (La Tragédie des siècles, p.615)
• Ils – ou du moins leur clergé – sont immoraux. «En dévoilant les péchés de sa vie à un prêtre, c’est-à-dire à un mortel, sujet à l’erreur – quand il n’est pas donné au vin et à l’impureté – l’homme échange sa noblesse morale contre une flétrissure.» (La Tragédie des siècles, p.615)
• Ils ont l’intention de nous persécuter. « Elle [l’Église catholique] érige les constructions massives et altières de ses édifices, dont les caveaux souterrains verront renaître le cours de ses persécutions.» (La Tragédie des siècles, p. 630)
L’anticatholicisme adventiste apparaît-il sous un jour différent lorsqu’on se rend compte qu’il est similaire à ce que les persécuteurs des juifs ont dit pour justifier l’holocauste?
Une histoire honteuse
L’anticatholicisme a commencé avec la Réforme. Luther, Calvin, Wycliffe, Knox, Isaac Newton, Roger Williams, Cotton Mather et John Wesley ont tous identifié Rome comme l’antéchrist des épîtres de Jean.
L’anticatholicisme à l’époque d’Ellen White est parfois attribué au nativisme, un autre nom désignant la peur des Américains (les WASPy, abréviation pour Protestants Blancs Anglo-Saxons) face aux immigrants catholiques italiens, irlandais et d’Europe de l’Est qui envahissaient les grandes villes, avaient des familles nombreuses et consommaient de l’alcool. (Ce n’est pas une coïncidence si Ellen White désapprouvait non seulement les catholiques et l’alcool, mais aussi les villes et, bizarrement, les familles nombreuses).
D’éminents leaders protestants américains accusèrent l’Église romaine d’être non seulement sans fondement théologique, mais aussi l’ennemie de la démocratie. Le prédicateur populaire Lyman Beecher, connu pour son anticatholicisme affiché, est allé jusqu’à suggérer – tant pis pour la liberté de religion – que les catholiques romains soient bannis de l’Ouest américain qui venait de s’ouvrir à la conquête.
The Awful Disclosures of Maria Monk (1836), ouvrage qui décrit les abus (que la plupart des historiens s’accordent aujourd’hui à qualifier de fictifs) commis dans un couvent, fut un énorme succès de librairie. Il circula largement parmi les adventistes, de même que The Two Babylons d’Alexander Hislop (1853), qui prétendait démontrer que les prophéties bibliques sur Babylone concernaient en réalité l’Église catholique romaine.
Jusque dans les années 1960, critiquer le catholicisme romain était un jeu pour les protestants dans la plupart des villes des Etats-Unis, à l’exception de Saint-Louis et de La Nouvelle-Orléans, toutes deux considérées comme des villes catholiques.
Les conspirationnistes adventistes confondent souvent corrélation et causalité. Voici donc une corrélation sur laquelle vous pouvez réfléchir. Savez-vous avec qui nous partageons l’anticatholicisme? Avec le Ku Klux Klan, qui était (et est, dans la mesure où il existe encore) fièrement anticatholique et antisémite. Le XXe siècle a connu des poussées périodiques d’anticatholicisme, mais la popularité de John F. Kennedy après 1960 a atténué les préjugés de l’opinion publique. Certains commentateurs affirment que l’élection de Kennedy a été le catalyseur de la droite religieuse, bien qu’après quelques décennies, celle-ci ait suivi les catholiques romains conservateurs sur des questions telles que l’avortement et la famille.
Les adventistes, cependant, n’ont pas dépassé le stade de l’anticatholicisme pur et simple, principalement parce qu’ils ne peuvent pas franchir un obstacle majeur: Ellen White. Nous prêchons l’anticatholicisme à partir de La Tragédie des siècles comme si nous vivions encore en 1870. Car, vous le savez, rien n’est plus agréable pour les gens que de leur dire que leur Église est une véritable basilique de Belzébuth!
Non: Pas nous!
Voici ce que vous allez entendre en réponse.
Premièrement, «Tout cela vient directement des prophéties de Daniel et de l’Apocalypse. Nous ne faisons que dire la vérité.»
Oui, il y a des prophéties sur des dirigeants et des nations maléfiques, qui remontent jusqu’à Babylone. Des personnages maléfiques et puissants qui usurpent le rôle de Dieu y sont décrits. Mais l’identification de l’Église catholique romaine en particulier comme la prostituée d’Apocalypse 17 (comme la petite corne de Daniel 7, comme l’antéchrist de 1 Jean, comme la première bête d’Apocalypse 13, comme «la personnification du mal» de 2 Thessaloniciens) est de notre part purement fortuite.
Lorsque nous, adventistes, manipulons les gens, nous accomplissons nous aussi ces prophéties !
Deuxièmement, vous entendrez: «Nous ne sommes pas anticatholiques, nous sommes contre le système du catholicisme» ou «C’est le Vatican et le pape que nous craignons». Ou encore: «C’est la théologie catholique romaine qui est mauvaise.»
Quelle bouillie indigeste! Si quelqu’un disait: «Nous ne détestons pas les adventistes du septième jour. Nous détestons seulement les enseignements adventistes. Nous considérons votre croyance selon laquelle votre Conférence générale est la plus haute autorité de Dieu sur terre comme arrogante et hasardeuse. Nous nous inquiétons de votre président autoritaire. En bref, nous ne détestons que ce que les adventistes représentent» – cela vous conviendrait-il?
Enfin: «Nous ne pouvons pas être anticatholiques. Ellen White a dit que ‘parmi les catholiques, beaucoup sont des chrétiens très consciencieux marchant dans la lumière qui brille sur eux, et Dieu travaillera pour leur bien’ (Événements des derniers jours, p.149). Nous aimons simplement ces bons catholiques et nous voulons qu’ils découvrent la vérité que nous possédons.»
Bien sûr, nous accueillons toute personne de n’importe quelle Église dans la nôtre! Je ne reproche à personne d’être fidèle à son Église et de la recommander à d’autres.
Mais ce raisonnement gentiment exprimé est une dérobade. Car il cache un jugement sur un groupe particulier de personnes, uniquement en raison de l’entité chrétienne à laquelle elles appartiennent. Vous pouvez penser qu’une autre religion est mauvaise et que la vôtre est bonne sans dire que toute leur religion est un complot du Prince des ténèbres et qu’ils se préparent à vous persécuter.
C’est ce qui se cache derrière ces tièdes excuses.
Attends une minute, Loren!
Vous vous dites peut-être: «Mais certaines de ces affirmations sont vraies! Les prêtres catholiques romains ont la réputation d’abuser des enfants. Le pape a une influence mondiale. En fait, six juges de la SCOTUS (Cour suprême des États-Unis) sont des catholiques romains. Aujourd’hui, aux Etats-Unis, religion et politique se mélangent».
Tout cela est vrai et effrayant.
Mais le problème est qu’une compréhension attentive et nuancée des principes contenus dans ces prophéties nous échappe encore. Dans les années 1800, nous sommes restés bloqués sur les dangereux catholiques romains, et nous n’avons jamais progressé.
Premier exemple: le nationalisme chrétien des Églises évangéliques et fondamentalistes pétri de critiques et de coercitions ne semble pas inquiéter certains adventistes. D’après ce que je lis dans la presse adventiste conservatrice, il semble même que certains pensent que c’est génial!
En ce qui concerne la pédophilie du clergé catholique romain, les statistiques montrent qu’elle sévit aussi beaucoup chez les protestants[2] – mais il tellement facile d’en blâmer ces prêtres monstrueux et effrayants.
Les juges du SCOTUS me dérangent, non pas parce qu’ils sont catholiques, mais parce que certains semblent avoir été spécifiquement choisis comme acolytes du nationalisme chrétien.
En ce qui concerne l’influence mondiale du pape, pensez-vous que Ted Wilson refuserait d’exercer toute influence mondiale qu’il pourrait obtenir? Se retirerait-il timidement au dernier rang, ne voulant pas être trop en vue? Vraiment? Avez-vous vu ses photos foulant un tapis rouge jusqu’à une limousine mise à sa disposition par les dirigeants d’un pays africain, ou se déplaçant dans des carrosses d’argent et d’or en Inde?
J’irai même plus loin: souvent, le pape semble beaucoup plus chrétien que certains de nos dirigeants d’Église. Le pape a accueilli les autres chrétiens et les personnes LGBTQ, ce à quoi notre Conférence générale ne peut se résoudre.
De fait, le pasteur Wilson semble désireux d’évincer de l’Église bon nombre d’entre nous, pourtant membres de longue date.
Je suis mal à l’aise
Chers amis adventistes, il est très gênant de poursuivre notre campagne contre les catholiques romains, et plus encore de fonder notre évangélisation sur cela, simplement parce qu’une femme victorienne a copié ces préjugés sur quelqu’un il y a 150 ans. Comme quelqu’un l’a dit dans un commentaire, «Distribuer La Tragédie des siècles, c’est proférer un discours de haine!».
Donc, un «OUI» catégorique à la défense des principes de la liberté religieuse, quels que soient ceux qui tentent de la supprimer.
Mais un «NON» catégorique à ceux qui distribuent La Tragédie des siècles au nom de mon Église. Arrêtez! Assez de fanatisme adventiste! Il est temps pour nous de grandir et d’agir comme des chrétiens – même envers les catholiques romains!
- Pourtant, Ellen White frôle l’antisémitisme. Dans le premier chapitre de La Tragédie des siècles, elle fait grand cas de la «malédiction du sang» qui pèse sur le peuple d’Israël. S’appuyant sur «Que son sang soit sur nous et sur nos enfants», elle conclut: «Franchissant les siècles, son regard voit le peuple de l’alliance dispersé en tous pays comme des épaves sur un rivage désolé» (p.21). Voir aussi le chapitre 77 de Jésus-Christ, où la malédiction du sang est exposée en détail: «En regardant l’Agneau de Dieu, battu et humilié, les Juifs avaient dit: ‘Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants!’ Ce terrible cri monta jusqu’au trône de Dieu. Cette sentence, prononcée sur eux-mêmes, fut inscrite dans le ciel. Cette prière a été entendue. Le sang du Fils de Dieu est resté, comme une malédiction perpétuelle, sur leurs enfants et sur les enfants de leurs enfants» (p.743). ↑
- Bien que les gros titres se concentrent sur le problème des prêtres pédophiles dans l’Eglise catholique romaine, la plupart des Eglises américaines touchées par des allégations d’abus sexuels sur des enfants sont protestantes… ↑
Loren Seibold est directeur de rédaction à Adventist Today. La version originale de cet article a été publiée le 22 août 2024 sur le site d’Adventist Today. Cet essai a été traduit par Jean-Claude Verrecchia et est également publié sur son blog.