La fièvre de l’éclipse
par Loren Seibold | 14 avril 2024 |
Un lecteur a récemment envoyé à Adventist Today un message nous rappelant que la semaine prochaine, le 8 avril, une éclipse solaire serait visible le long d’un chemin traversant les Etats-Unis. Sa préoccupation n’était cependant pas du registre de l’astronomie; il souhaitait que nous sachions que cette éclipse était le signe que Dieu était sur le point de faire quelque chose de sensationnel.
J’ai suivi, dans ce puits sans fond, les liens inclus dans son message, et cela m’a entraîné en effet vers un pays fantastique où des idées vaguement connectées nous amènent à des conclusions hautement improbables.
La fièvre de l’éclipse de 2024 n’a pas commencé avec les adventistes, mais les évangélistes de notre église aiment les gros titres accrocheurs. Même John Bradshaw de It is written a récemment commencé une présentation par ces mots:
Une éclipse totale du soleil va avoir lieu le 8 avril. C’est très important. Je vais vous dire pourquoi. Elle est directement liée à une prophétie essentielle et vitale qui se trouve au cœur du livre de l’Apocalypse. Il vous faut connaître cette information; ne partez pas.
John termine sur une note plus positive qu’il n’a commencé – un cas de racolage et de survaleur – mais il démontre une fois de plus que les gros titres sensationnels sont de rigueur pour l’évangéliste qui veut réussir.
Ninive
Don Frost et MacKenzie Drebit d’Amazing Discoveries ont une série en trois parties qui prétend qu’il y a, sur le chemin de l’éclipse, huit villes nommées Ninive. C’est important, disent-ils, car Ninive était menacée par Dieu de destruction. De plus, quelqu’un a «prouvé» qu’au moment même où Jonas prêchait, il y a eu une éclipse totale du soleil!
J’ai des questions.
Premièrement, la plupart des «Ninive» d’Amérique ne semblent pas être sur le chemin de l’éclipse totale, et les deux communautés qui font exception, dans l’Indiana et l’Ohio, sont sans personnalité juridique et ne comprennent que quelques maisons. (Sans doute abritant, nous devrions probablement supposer, des familles particulièrement maléfiques.) Si on inclut les villes avec des éclipses partielles, eh bien, cela représente l’ensemble des Etats-Unis, et il n’y a donc rien de particulier concernant la Ninive de Virginie ou la Ninive du Missouri car ces deux hameaux sont très éloignés de la zone de l’éclipse totale.
Deuxièmement, même si vous pouvez calculer qu’il y a eu une éclipse solaire dans l’ancienne Ninive, pouvez-vous prouver que Jonas était présent à ce moment-là? A ma connaissance, Jonas manque totalement d’informations pour dater son ministère.
Troisièmement – et c’est important – Ninive n’a pas été détruite! L’histoire nous dit que toute la ville s’est repentie parce que quelqu’un est venu prêcher et les avertir! (Mais, si c’est le cas, pourquoi l’histoire ne la considère-t-elle pas comme une ville juive? Je me le suis toujours demandé.)
Donc, quelle est ici la stratégie pour les deux Ninive qui se trouvent sur le chemin de l’éclipse? Don, une idée? MacKenzie? Quelqu’un d’autre? A elles deux, elles ne comprennent probablement pas plus de 20 maisons et une centaine de personnes, au grand maximum. Quelqu’un devrait, au moins, déposer une copie de La Tragédie des siècles sur leurs paliers.
La boule de feu de Nashville
Il y a quelques années, un autre aspirant évangéliste, Jeff Pippenger, a prédit l’accomplissement de plusieurs prophéties d’Ellen White au sujet de Nashville. Voici ce qu’elle a écrit:
Quand j’étais à Nashville, je parlais aux gens et, pendant la nuit, j’ai vu une boule de feu énorme descendre du ciel et venir s’abattre sur Nashville. Des flèches enflammées en sortaient; les maisons étaient consumées, elles chancelaient et s’écroulaient (Ms 188, 1905).
Pippenger a prédit (il présentait toutes sortes de chiffres et de formules qui étaient beaucoup trop compliqués pour que je les comprenne – et j’imagine pour que n’importe qui d’autre les comprenne) que la boule de feu était sur le point de frapper Nashville. Cet incident est devenu embarrassant lorsqu’en 2020, Pippenger a acheté une page entière du journal The Tennessean pour y annoncer que les musulmans détruiraient Nashville avec une arme nucléaire. Même la Division nord-américaine a dû s’excuser!
Puis, à la grande déception de Jeff, pas de boule de feu!
Il s’avère que la prochaine éclipse a remis la boule de feu de Nashville à l’ordre du jour de l’équipe d’Amazing Discoveries. Voici le passage de la vision concernant Nashville qui a convaincu Don et MacKenzie:
J’ai regardé par la fenêtre, et il y avait une immense boule de feu qui venait du ciel, et elle est tombée là où on coulait des bâtiments avec des piliers – les piliers m’ont été particulièrement présentés. Et il semblait que la boule arrivait clairement sur le bâtiment et le détruisait (Ms 152, 1904).
Pourquoi Nashville plutôt que New York ou Los Angeles? Don et MacKenzie ont partagé des vidéos d’habitants de Nashville qui buvaient et dansaient – de mauvais comportements, si on veut, mais pas plus qu’ailleurs. Ils ont finalement découvert une meilleure raison: dans les années 1890, Nashville, s’inspirant de son surnom, «l’Athènes du sud», a construit une réplique du Parthénon avec des piliers coulés (remarquez ce terme) dans un moule qui était une réplique du Parthénon de Grèce. Et dans cette reproduction du Parthénon, ils ont placé une réplique de la déesse Athéna, comme dans le temple original!
Mais pourquoi Dieu est-il plus dérangé par les répliques du temple et de la statue de Nashville que par toutes les antiquités originales de ce type qui se trouvent en Grèce, en Italie, dans le Louvre, à Paris, au British Museum et dans tous les musées du monde? Le Parthénon de Nashville existe depuis plus de 100 ans et l’original, à Athènes, depuis des millénaires.
Rien de tout cela ne devrait surprendre l’observateur adventiste chevronné. Cependant, après la débâcle de Pippenger, j’ai été consterné de voir Don et MacKenzie raviver également l’idée selon laquelle les musulmans pourraient être responsables de l’attaque contre Nashville. Ce n’est pas une bonne idée pour nous de dénoncer une autre religion.
(C’est vrai que nous l’avons fait avec les catholiques, alors pourquoi ne le ferions-nous pas aussi avec les musulmans?)
Don a raconté que chaque fois qu’il disait à des inconnus (comme l’homme qui lui a loué une voiture à Nashville) qu’il explorait la destruction possible de la ville par une boule de feu, les gens répétaient, «J’en ai rêvé!», et ils étaient ébahis! A ce sujet, Don cite une autre phrase des prophéties d’Ellen White:
Certains de nos gens se tenaient là. «C’est exactement ce que nous attendions, disaient-ils, nous nous y attendions» (Ms 188, 1905).
Pourquoi Nashville n’a-t-elle pas déjà été détruite? Peut-être, Don nous laisse-t-il entendre, que cela a à voir avec les réunions d’évangélisation organisées à Nashville à l’époque où le message de la boule de feu était prêché il y a quelques années – une affirmation audacieuse que j’aimerais voir étayée par des chiffres.
Jésus n’est-il pas suffisant?
A leurs spéculations, ces prédicateurs ajoutent toujours: «Attention, nous ne fixons pas de dates. Nous ne prédisons rien. Nous vous informons simplement de ce que nous savons.» Cela leur donne la possibilité de rétropédaler lorsqu’aucune boule de feu n’apparaît.
Mais ils font plus que de simplement informer. Ils racontent ces histoires dans l’espoir d’exciter les gens. Ils ne le diraient pas si cela n’attirait pas l’attention. Je suis presque sûr que cela engendre aussi des dons.
Souhaitent-ils faire plus que de susciter un frisson d’excitation parmi les croyants? Je ne suis pas sûr. Je n’ai entendu parler de personne ayant quitté Nashville parce qu’une boule de feu allait frapper la ville. Ni, d’ailleurs, de multitudes de conversions.
D’un certain côté, cela me touche, car j’ai le sentiment que la plupart des adventistes ne se rendent pas compte que les assurances du salut données par Jésus sont suffisantes. Il semble que nous ayons besoin que quelque chose de spectaculaire se produise, et se produise bientôt. Nous cherchons sans cesse la preuve que Dieu fait quelque chose de surprenant et d’étonnant pour nous, quelque chose de plus excitant que ce que la vie quotidienne nous offre.
Nos évangélistes le savent bien. Aussi, chaque éclipse, chaque tremblement de terre, chaque guerre, chaque déclaration d’un pape ou d’un président, chaque maladie – tout devient du carburant pour la machine à prophéties: des histoires passionnantes qui captivent les yeux et les oreilles et que l’on peut nier si rien ne se produit.
Et il ne se passe jamais rien. Combien de prédictions sensationnelles ont été faites puis oubliées?
Pourtant, nos prédicateurs continuent de le faire parce que ça marche. Et cela marchait bien avant qu’on puisse cliquer sur quoi que ce soit, à l’époque où un dépliant arrivait dans notre boîte aux lettres annonçant des découvertes étonnantes qui allaient enfin être révélées par un astronome, un scientifique, un anthropologiste, un archéologiste ou un spécialiste de la Bible de renommée mondiale.
Je pense que la question que nous devrions nous poser n’est pas: «Est-ce que ça marche?» parce que nous savons que c’est le cas.
Les questions que nous devrions nous poser sont les suivantes: «Est-ce éthique? Est-ce honnête? Est-ce utile pour une vie enracinée en Jésus-Christ? Est-ce que cela rend les gens meilleurs et plus aimables? Est-ce que cela leur apporte la paix du cœur? Est-ce que cela améliore les relations humaines? Est-ce que cela fait des églises des communautés plus empathiques?
Dans une autre prédiction sinistre qui échoue encore, je ne vois aucune de ces choses. J’aimerais que nous revenions à la méthode d’évangélisation de Paul: «Je n’ai pas estimé devoir vous apporter autre chose que Jésus-Christ, Jésus-Christ crucifié» (1 Corinthiens 2.2, BDS).
Loren Seibold est directeur de rédaction à Adventist Today. La version originale de cet article a été publiée le 5 avril 2024 sur le site d’Adventist Today.
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