Je ne distribuerai pas La Tragédie des siècles 3/4
par Jimmy Trujillo | 27 avril 2023 |
Encore plus importante que les autres, une raison qui motive ma décision est l’affirmation de l’intention de l’autrice. Elle écrit:
Grâce à l’illumination du Saint Esprit, les scènes du conflit séculaire entre le bien et le mal m’ont été présentées.[1]
Il s’agit du conflit entre Dieu et Satan qui, né dans le ciel, se poursuit sur la terre. Or, dans La Tragédie des siècles, Dieu et Satan ne sont pas les protagonistes principaux. «L’axe du mal» est identifié comme étant la papauté et le catholicisme. «L’axe du bien» est, quant à lui, le protestantisme, du moins celui qui s’est suffisamment détaché du catholicisme pour être fidèle.
Cette double identification se fait dans un monde extrêmement étroit.
Cela ne concerne que «la chrétienté», et encore, pas toute celle-ci, puisque le christianisme orthodoxe n’est pas mentionné. Ce monde-là, ce monde chrétien, est essentiellement bipolaire: catholique/protestant. Il ignore complétement l’Islam, l’Hindouisme, le Bouddhisme et toutes les autres religions. Il ignore aussi complétement l’athéisme et ses mises en pratique tels que l’anarchie et surtout le communisme. Or, c’est dans ce monde oublié que se concentre la grande majorité des habitants de notre planète. Mais dans le conflit des âges, il semble qu’ils n’ont aucun rôle à jouer.
Cette identification des deux axes de la tragédie des siècles ne peut se faire qu’en grossissant le trait, qu’en portant des lunettes à vision variable. Le mal, l’Eglise catholique et ses dirigeants, ne peuvent que faire ou produire du mal. Le bien, le protestantisme, ne peut porter que de bons fruits.
La présentation de ces deux adversaires ne peut donc être que manichéenne, noire ou blanche. La nuance n’est pas permise. La condamnation de la papauté et du catholicisme est sans appel. Les membres du clergé romain sont dépravés, assoiffés de richesse et de pouvoir, cruels et adonnés à la luxure.
Cette généralisation ne laisse entrevoir aucune exception possible. Dans le nombre et dans le temps, pas un converti, pas un brave homme, pas un vrai chrétien.
Aucune mention des réalisations en matière d’éducation, des apports scientifiques, des œuvres de compassion (hôpitaux, soins aux mourants et aux malades, orphelinats et accompagnement des personnes âgées); rien de tout cela n’est mentionné. Les prises de conscience des autorités catholiques de la nécessité de réformes, leurs tentatives pour les mettre en place, leurs échecs, il est vrai, mais aussi leurs réussites – et cela avant même le mouvement de la Contre-Réforme – rien de tout cela ne pèse dans la balance. «L’axe du mal» n’est que noirceur et méchanceté. Nuancer le propos vous rend suspect de compromission, voire de passage à l’ennemi.
La papauté est à craindre, à dénoncer et à contraindre. L’autrice s’inquiète des progrès de cette institution aux Etats-Unis, pays du protestantisme, donc fer de lance de «l’axe du bien». L’accusation et la condamnation ne présentent aucune circonstance atténuante, aucune explication de contexte, aucune exception faite pour des hommes et des femmes pourtant profondément chrétiens. (François d’Assise, Vincent de Paul, Jean de Dieu, Camille de Lellis, Philippe Néri, Abbé Pierre, Mère Teresa etc.)
En tant qu’institution satanique, elle ne peut en aucun cas changer. Et comme aucun membre de son clergé n’est vraiment converti, l’ensemble ne peut pas se convertir non plus et aller au-delà des erreurs et des fautes du passé.
La dernière révision de son œuvre, Ellen G. White la réalise en 1911. Nous sommes, il est vrai, très proches de l’encyclique Quanta Cura, du Syllabus et de Vatican I. Elle ne percevait aucun changement dans les positions exclusives prises par Rome. Aujourd’hui, nous connaissons les débats et les décisions du Concile Vatican II. Nous avons lu les grandes déclarations sur la liberté religieuse et sur les relations avec les autres religions.
Nous pouvons continuer à affirmer que ces changements spectaculaires, qui ont d’ailleurs donné lieu à des conflits internes sévères et même des schismes (Fraternité Pie X), ne sont qu’hypocrisie et stratégie «en attendant des jours meilleurs». Ou bien, nous pouvons croire (naïvement, diront certains, toujours prêts à dégainer l’épée) que la conversion qui est toujours un miracle concerne le monde entier. En tous cas, je prie notre Seigneur pour les catholiques afin qu’ils vivent, eux aussi, un renouveau spirituel. Après tout, je crois en un Dieu qui ne veut pas la perte des humains, mais souhaite les sauver.
Si la condamnation de la papauté et de l’Eglise catholique est sans appel, le procès en béatification des réformateurs se présente, quant à lui, sans aucune ombre au tableau. Les Réformateurs, tel Wyclif, ont une pureté de vie, du courage,[2] de l’intégrité;[3] Hus est irréprochable, doux et estimé de tous.[4] Luther est zélé, ardent, pieux, ne connaissant aucune crainte sinon celle de Dieu.[5] Quant à Melanchthon, il est jeune, modeste, réservé, éloquent, pur, droit, possédant un jugement sûr et une science profonde.[6] William Miller, quant à lui, possède «les traits caractéristiques de sa famille… l’amour de l’indépendance et de la liberté, l’endurance et un ardent patriotisme».[7] Seul Calvin mérite un bémol puisque «sa carrière ne fut pas irréprochable, ni ses enseignements exempts d’erreurs».[8] Peut-être qu’Ellen G. White fait ici allusion au bûcher allumé pour Michel Servet et pour quelques autres.
Ces portraits idylliques ne mentionnent ni les défauts, ni les paroles et les actes d’intolérance et de cruauté. Ils sont passés sous silence. Ainsi, rien n’est dit sur l’antisémitisme notoire et violent de Martin Luther. En 1543, il écrit un traité intitulé «Des Juifs et de leurs mensonges». Des qualificatifs extrêmement durs et violents sont utilisés à leur encontre.
Leurs lois ne sont que cochonneries. Eux des pourceaux, des vers venimeux. Il faut interdire leur religion, les expulser ou mieux brûler leurs synagogues et les tuer.[9]
Les institutions luthériennes européennes et américaines ont largement désavoué leur fondateur, du moins en ce qui concerne cette attitude-là. Le lecteur pourra trouver, à ce sujet, plus d’informations dans le dossier «Luther et les Juifs» de la Revue adventiste de janvier 2018. Ce dossier contient «La déclaration de l’Union des Églises protestantes d’Alsace et de Lorraine (UEPAL) du 7 juin 2017». J’en tire une courte citation:
En 1543, il (Luther) propose de brûler les synagogues, les écoles, et les livres Juifs, d’interdire l’enseignement des rabbins ainsi que l’usure.[10]
Les encouragements à la guerre et à l’extermination des paysans proférés par Luther lors de la guerre des paysans sont également tus. Pourtant, cent mille morts en 1525. Luther approuvait avec force:
Le peuple allemand est si turbulent et si féroce qu’il est bon et juste de le traiter plus rudement qu’un autre… Le pouvoir a le droit d’imposer et d’instituer les châtiments qu’il veut.[11]
L’incitation à la plus terrible des répressions est prononcée par Luther. Poignardez, pourfendez et égorgez à qui mieux mieux, conseille-il aux princes. Ce qu’ils ne manqueront pas de faire puisqu’entre 70 000 et 100 000 «révoltés» perdront la vie.
Des ombres au tableau se trouvent aussi chez Ziska, hussite intransigeant; chez Zwingli qui, à un moment, n’envisage plus que la guerre pour imposer la Réforme en Suisse; chez les Anglicans qui persécuteront les presbytériens écossais et les puritains anglais. Cela, Ellen G. White le mentionne, mais elle ne dit pas qu’Olivier Cromwell persécutera de façon terrible les catholiques irlandais pendant plus de 3 ans.
La population irlandaise passera de 1 466 000 à 616 000 habitants. Femmes et enfants sont massacrés ou déportés en Virginie et aux Antilles, tandis que de nombreux hommes civils et militaires sont assassinés ou en fuite vers la France et l’Espagne. Les principales batailles de Cromwell en Irlande sont connues pour avoir été sauvagement meurtrières.[12]
Pour terminer ce troisième article, je dois aussi signaler mon refus de m’associer à une autre condamnation sans appel. Celle du peuple juif.
Voici comment Ellen White présente cette accusation:
Si Israël était resté fidèle à son Dieu, Jérusalem eût subsisté à toujours.[13] Quand le Sauveur sera suspendu au bois, les jours de ce peuple favorisé de Dieu seront révolus.[14] Le peuple de l’alliance (sera) dispersé en tous pays de la terre comme des épaves sur un rivage désolé.[15]
La colère de Dieu s’était enflammée contre Jérusalem à cause de ses péchés.[16] Aussi Dieu leur retira-t-il sa protection et les abandonna-t-il à Satan et à ses anges […] Livrés à la violence de leurs passions, ils ne raisonnaient plus. Esclaves des emportements d’une fureur aveugle, ces malheureux se livraient à des actes d’une cruauté satanique. […] La crainte de Dieu ne les retenait plus. Satan, maître des autorités civiles et religieuses, était à la tête de la nation.[17] Ainsi se réalisait la terrible imprécation prononcée par les Juifs devant le tribunal de Pilate: «que son sang retombe sur nous et sur nos enfants».[18]
Nous retrouvons là les principaux arguments de l’antisémitisme chrétien.
Bien sûr, Ellen White est une dame du 19ème siècle; elle est protestante et américaine. Mais qui aujourd’hui, après la Shoah et le massacre de six millions de personnes, hommes, femmes et enfants, souhaite continuer dans ces diatribes? Qui, de nos jours, continuerait à dire: «Ils ont eu ce qu’ils méritent»? Pas moi! Et parmi les éventuels futurs lecteurs, qui? Peut-être des militants racistes ou d’extrême droite? Ou peut-être même ces activistes suprémacistes blancs du KKK ou d’autres mouvements qui portent, sur leurs vêtements, le slogan «Dieu et l’Amérique» et un révolver à la ceinture?
- Ellen G. White; La Tragédie des siècles; Ed. Vie et Santé, I983; p. 14 ↑
- Ibid; p. 81 ↑
- Ibid; p. 83 ↑
- Ibid; p. 102 ↑
- Ibid; p. 127 ↑
- Ibid; p. 142 ↑
- Ibid; p. 343 ↑
- Ibid; p. 251 ↑
- Eric Aeschimann, Luther était-il antisémite?, https://bibliobs.nouvelobs.com/idees/20150603.OBS0096/luther-etait-il-antisemite.html 03 juin 2015 ↑
- Revue Adventiste; Janvier 2018; p. 8. ↑
- Pierre Miquel; Les guerres de religion, T.1; Arthème Fayard; 1980. p. 15 ↑
- Histoire des Conquêtes de Cromwell en Irlande, https://www.guide-irlande.com/culture/conquetes-cromwell-en-irlande/ ↑
- Ellen G.White; La Tragédie des siècles, Ed. Vie et Santé; 1983; p.19 ↑
- Ibid; p. 21 ↑
- Ibid; p. 21-22 ↑
- Ibid; p. 27 ↑
- Ibid; p. 29 ↑
- Ibid; p. 33 cf. pp. 140; 616 ↑
Au cours des années, Jimmy Trujillo a travaillé au sein l’église Adventiste en tant que pasteur, responsable de la jeunesse à la Fédération France Sud et à l’Union Franco-Belge ainsi que secrétaire puis président de cette même Union. Il jouit maintenant d’une retraite bien remplie.
Pour rejoindre la conversation, cliquez ici.