Dieu et les armes
par Loren Seibold | 1er juin 2023 |
J’ai joui d’une vie relativement paisible, du moins en ce qui concerne la violence physique. Depuis l’époque où j’étais gamin et me disputais avec d’autres enfants, je n’ai pas participé à une seule bagarre. Je n’ai jamais été la victime d’un crime violent, Dieu merci, ni même été menacé.
(Occasionnellement, j’ai été menacé pour ma théologie; pas menacé d’être passé à tabac, seulement de perdre mon salut – j’ai cependant bon espoir que ceux qui ont proféré ces menaces n’ont pas le pouvoir de les faire appliquer.)
Dans notre ferme, nous gardions, près de la porte du garage, un fusil de petit calibre que nous utilisions de temps à autre lorsqu’un animal que nous soupçonnions avoir la rage s’approchait. (Un petit conseil de la part de quelqu’un qui en a fait l’expérience: plutôt que de tirer sur le putois alors qu’il se trouve dans le garage attaché à la maison, donnez-lui toutes les chances de s’échapper. S’il vous plaît.) En ce qui concerne le fait de tuer, nous égorgions parfois un bœuf ou des poulets; ce que j’acceptais comme faisant partie de la vie même si je n’aimais pas particulièrement cela. Et c’est l’une des raisons pour lesquelles je suis aujourd’hui végétarien, du moins selon l’une des définitions d’Ellen White. («Tous [les adventistes du septième jour] sont végétariens. Beaucoup s’abstiennent totalement de consommer de la viande, tandis que d’autres n’en mangent que très rarement.» Lettre 99 du 8 janvier 1894.)
Mais je ne suis pas en train de parler, ici, de ceux qui utilisent des armes à feu pour la chasse ou à d’autres fins nécessaires. Voici ce qui me dérange: les chrétiens qui donnent à leurs armes une aura spirituelle, qui les traitent comme des talismans de leur foi et qui semblent trouver satisfaction à les exhiber et à anticiper avec impatience l’occasion de s’auto-défendre au nom de Jésus.
Il y a quelques années, au sein d’un autre groupe chrétien, j’avais exprimé ma conviction que la vente et la possession d’armes à feu devraient être réglementées, que celles-ci devraient être déclarées, que le monde était trop peuplé, trop dangereux et habité par trop de gens faisant preuve de trop peu de maîtrise de soi, pour laisser ces dangereuses machines se multiplier sans y prêter attention. J’ai reçu plusieurs réponses, toutes contenant diverses agressions verbales d’intensités variées. Un frère (j’ai supposé qu’il s’agissait d’un homme, bien qu’il écrivait sous un pseudonyme) a remis en question ma bonne foi chrétienne et a procédé en m’insultant avec enthousiasme, utilisant des mots comme idiot, imbécile et stupide. Je me souviens qu’il a ajouté quelque chose comme ça: «Quand, a-t-il dit (pas ‘si’), quelqu’un viendra chez vous la nuit et vous tirera une balle dans la tête, violera votre femme et lui tirera une balle dans le ventre, puis assassinera vos enfants et abandonnera leurs corps ensanglantés dans leurs lits, vous regretterez ne pas avoir eu d’arme à feu.» Il a poursuivi en décrivant une scène sanglante similaire si quelqu’un essayait de lui retirer ses armes (ce qui n’avait pas été suggéré), que ce soit par moi (à nouveau, ce n’est pas quelque chose que je présumerais faire) ou par quelqu’un avec un mandat officiel.
Un chrétien devrait-il se promener dans le monde avec de petites machines capables de donner la mort instantanément? Je me suis posé la question. Est-ce quelqu’un qui devrait être autorisé à faire des choix de vie ou de mort, surtout en cas de crise, en une fraction de seconde?
Peut-être que ma vie paisible a fait que je suis sous-développé en termes de traits paranoïaques. Je sais que les cambriolages et les meurtres arrivent. Je fais attention où je me trouve la nuit et je vérifie si mes portes sont bien fermées. Au cours de mon ministère, j’ai fait deux services d’enterrement pour des victimes de meurtre. Cela pourrait-il m’arriver? Bien sûr. Mais je ne passe pas beaucoup de temps à m’en inquiéter, encore moins à en imaginer les horreurs. Bien que je n’attende pas la mort avec impatience, je sais qu’elle viendra, tôt ou tard – plus susceptible d’avoir été hâtée par ma propre fourchette que par une arme à feu – et qu’il y a quelque chose de bien meilleur de l’autre côté.
Oui, la violence est parfois nécessaire. Les méchants ont des armes, donc je veux que la police en ait aussi. Dans certaines situations, la guerre est justifiée.
Pas aussi souvent, j’en suis certain, que nos politiciens essaient de nous le faire croire. Le président Eisenhower avait raison en parlant d’une industrie militaire qui pousse à faire la guerre par toutes les manipulations politiques, financières et médiatiques que ceux qui en profitent peuvent imaginer.
Bien que je préfère que cela soit fait par des personnes formées pour ce travail, comme des policiers ou des soldats, je reconnais qu’il y a un besoin d’autodéfense. Mais, en tant que chrétien, j’admets cela avec honte, en raison de la condition de la nature humaine. Je ne peux pas, malgré tous mes efforts, faire des armes à feu un pilier de ma foi, comme le petit commerce en face de mon église qui annonce sur son panneau d’affichage: «Que Dieu bénisse les Etats-Unis et le 2ème amendement». Que Dieu bénisse le 2ème amendement? Pourquoi? C’est non seulement une loi imparfaite en ce qui concerne sa composition, mais même son interprétation la plus généreuse est un rappel consternant de ce que nous sommes dangereusement perfides.
C’est pourquoi je suis fasciné par ces chrétiens qui parviennent à gérer ce dilemme. Comment, face à des enseignements tels que «tends l’autre joue», «aime ceux qui te haïssent, fais du bien à ceux qui te maltraitent» et «si un homme prend ton manteau, donne-lui aussi ta chemise» peuvent-ils célébrer, dans la même phrase, les armes à feu et la croix du Christ?
L’une des défenses de cette théologie, tirée du Nouveau Testament, attire nos regards sur Jésus qui chasse les changeurs du temple. «Cela prouve qu’il est parfois nécessaire d’être violents et en colère», disent-ils, comme si c’était là l’incident de la vie de Jésus le plus typique de ses méthodes. Peut-être bien que Jésus s’est mis en colère, mais il est important de faire remarquer que ce n’était pas à la suite d’une menace contre sa personne mais en raison de ce qui était fait au nom de son Père. Pouvez-vous imaginer Jésus, avançant d’un pas raide dans le temple, la crosse d’un fusil d’assaut bloquée contre son épaule, marmonnant entre ses dents: «Alors, vous pensez me crucifier? Allez-y, faites-moi plaisir!»?
Voici une autre défense que j’ai parfois entendue: Jésus, alors que la fin approche, demande à ses disciples d’avoir des épées à portée de main. Cependant, si Jésus souhaite que ses disciples le défendent, pourquoi, dans le jardin de Gethsémané, empêche-t-il Pierre de le faire? Et, de toutes manières, qu’est-ce que deux épées peuvent bien accomplir en face à la puissante armée romaine? Au minimum, cela suggère une stratégie d’autodéfense plutôt limitée. Je serais surpris si la plupart des chrétiens obsédés par les armes se contenteraient de n’en posséder que deux; sans parler que ce sont des armes à feu, qui sont, par conséquent, bien plus meurtrières que des épées. (C’est pourquoi je pense qu’il y a du mérite dans l’explication selon laquelle les disciples de Jésus se sont munis d’épées, non pas pour s’adonner à la violence, mais pour, techniquement, permettre à Jésus d’accomplir la prophétie d’Esaïe 53.12 qui déclare, qu’à sa mort, il serait considéré comme un criminel.)
Bien sûr, si vous ne vous fiez qu’à l’Ancien Testament, vous trouverez de multiples façons de justifier des actes violents. En partant de là, vous pourrez développer des arguments créatifs, non seulement pour l’autodéfense, mais aussi pour le génocide et le meurtre pur et simple. Il vous faudra cependant complètement ignorer Jésus.
Un frère dans la foi m’a dit un jour qu’il stockait des armes et des munitions pour le temps de détresse, lorsqu’il devra se barricader dans sa maison et faire exploser ces damnés de catholiques qui viendront le persécuter parce qu’il garde le sabbat. Cependant, il cherchera en vain, dans les écrits d’Ellen White qui décrit le temps de détresse, le moindre indice confirmant qu’il s’agira d’un affrontement armé. Elle le compare plutôt à la lutte nocturne de Jacob avec l’ange et dit: «Son unique espérance résidait dans la miséricorde de Dieu, sa seule arme était la prière» (La tragédie des siècles, p. 668), puis elle cite le Psaume 91: «C’est lui [Dieu] qui te délivre… Sa fidélité est un bouclier et une cuirasse… ‘Oui, tu es mon refuge, ô Eternel!’ Tu fais du Très-Haut ta retraite? Aucun malheur ne t’arrivera, aucun fléau n’approchera de ta tente…»
Ce frère est une illustration parfaite de l’idée que notre théologie est façonnée par notre tempérament plutôt que l’inverse. La théologie des armes à feu est le produit des peurs de gens en colère; elle ne vient pas de la Bible. Cette sacralisation des armes remet en question, non seulement l’autorité des Ecritures parmi les chrétiens conservateurs, mais aussi son pouvoir de façonner les cœurs et les esprits.
Si nous nous considérons être un littéraliste biblique, nous nous souviendrons que les armes à feu ne sont pas du tout mentionnées dans les Ecritures, ce qui rend douteux le fait que nous puissions élaborer un argument biblique pour les élever au premier rang de nos priorités spirituelles, comme certains le font. Et si nous nous considérons être un adepte de l’original de la constitution, notons, dans le 2ème amendement, l’expression «bien organisée/réglementée». Elle est commodément oubliée par ceux qui veulent un accès privé à toutes les armes, tout le temps. Au grand minimum, nous devrions nous rappeler que ce qui constituait une arme à feu au temps de la rédaction de la Déclaration des droits, c’était une arme longue et plus ou moins précise que l’on chargeait d’une poudre noire à l’embouchure, ce qui prenait plusieurs minutes; pas un AR-15 qui peut tirer 800 coups à la minute, ce qui, si vous êtes Adam Lanza, peut être utilisé pour tuer 26 personnes dans une école primaire ou, si vous êtes Ted Cruz, pour faire cuire du bacon.
D’un point de vue humain, une vision du monde qui adopte une violence facile – même justifiable – est compréhensible, mais d’un point de vue chrétien, elle proclame l’incapacité de l’église à transmettre ce que signifie vraiment être un disciple de Jésus. Aussi, présentez tous les arguments que vous voulez en faveur des armes à feu, de la protection et de la vengeance. Mais, s’il vous plaît, soyez assez honnêtes pour admettre que ce sont là des arguments profanes et non bibliques. Jésus les a ainsi identifiés lorsqu’il a dit: «Mon royaume n’est pas de ce monde. Si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs auraient combattu pour moi afin que je ne sois pas livré aux Juifs; mais en réalité, mon royaume n’est pas d’ici-bas» (Jean 18.36). Si Jésus avait eu une milice à ses ordres, il aurait échappé à la croix, il ne serait pas mort pour nos péchés, il ne serait donc pas ressuscité, et nous serions toujours dans nos péchés (1 Corinthiens 15.17).
Si vous le souhaitez, écoutez ma prédiction la plus triste: lorsque la culture des Etats-Unis échouera complètement et tombera dans l’incivilité, ce que, à la lumière de certains développements politiques, je suis de plus en plus disposé à imaginer, c’est là que tout basculera. Ce seront ces gens en colère qui accumulent des armes qui appuieront sur la gâchette de la dissolution de la société américaine, non pas parce qu’ils possèdent des armes à feu, mais parce qu’ils sont fous de rage, se considèrent des victimes et se sont convaincus eux-mêmes que leurs armes sont leur salut. Des chrétiens seront parmi eux, peut-être seront-ils même à leur tête.
Que Dieu nous protège, car il n’y a rien de plus dangereux que ceux et celles qui pensent avoir Dieu de leur côté et un semi-automatique pour le prouver.
Loren Seibold est le rédacteur en chef d’Adventist Today. La version anglaise de cet article est parue le 17 mars 2016 sur le site de Spectrum, puis le 16 avril 2023 sur le site d’Adventist Today. La version de la Bible utilisée dans cette traduction est la Segond 21.