Un procès ne devrait pas être nécessaire pour que l’église réagisse face aux abus sexuels commis par le pastorat
par Molly Evans* | 4 janvier 2024
Mon corps frémit tout entier alors que je lis et relis la réponse de huit phrases que je viens de recevoir par email. Le secrétaire exécutif de la Conférence des églises adventistes du septième jour de la Pennsylvanie écrit:
Nous avons été encouragés par la note de votre ancien conseiller qui prouve que vous avez été capable de vous concentrer sur la résolution de nombreux problèmes. … Recevez-vous toujours cette aide?
Il a été encouragé par la note de mon ancien conseiller?
Celle-ci expliquait:
Au moment où j’ai rencontré Molly*, j’ai constaté qu’elle présentait les signes d’abus sexuels, mentaux, émotionnels et sociaux traumatisants. Les abus ont commencé lorsque Molly était adolescente et l’agresseur était un homme marié qui occupait une position de leadership de confiance dans l’église adventiste du septième jour qu’elle fréquentait à l’époque.
Mon histoire
Mon père est décédé dans un accident de la route lorsque j’avais huit ans. Un enfant sans père est l’une des victimes les plus vulnérables pour les prédateurs.
Le pasteur laïc/premier ancien de l’église à commencé à me mettre en confiance (grooming) peu après mon dixième anniversaire. Je n’en étais pas consciente. Aucun enfant ne l’est. Mais je me souviens qu’il m’a dit plus tard qu’il avait ses yeux sur moi depuis que j’avais dix ans. Il pensait que c’était un compliment.
Alors que j’avais quatorze ans, ce premier ancien/pasteur laïc a profité d’une visite de ma mère à l’hôpital – elle faisait face à une crise médicale – et a proposé de passer la soirée avec mon frère, ma sœur et moi-même. Après que ma sœur et mon frère sont allés se coucher, la mise en confiance s’est transformée en agression sexuelle, en intimidation et en programmation de mon jeune esprit à garder ce secret pendant de très nombreuses années. Lorsqu’un prédateur dit: «Ne le dis pas à ta mère», l’enfant ne le dira pas à sa mère – surtout s’il est devenu un conseiller spirituel à part entière et une figure paternelle pour sa famille.
Même adolescente, je savais qu’il y avait des dirigeants de l’église locale qui étaient au courant, ou du moins qui soupçonnaient ce qui se passait. Cet individu est pourtant resté dans une position de leader dans l’église.
L’histoire complète est aussi alambiquée et aussi répugnante que possible, et je n’écris pas cet article pour approfondir les détails de la maltraitance que j’ai subie. Permettez-moi simplement de dire que lorsqu’un agresseur qui occupe une position d’autorité spirituelle entremêle les croyances religieuses uniques d’une église avec des déclarations telles que: «Dieu m’a montré que tu serais un jour ma femme» ou «Tu m’as forcé à le faire» – et que ces déclarations sont étayées par une conspiration du silence de la part des dirigeants de l’église dans leur ensemble – une jeune fille commence à croire qu’elle est responsable de la protection de l’église, et non que l’église est responsable de sa protection.
Protéger qui?
La récente révélation publique d’un deuxième règlement de dommages et intérêts conclu en faveur des victimes de l’école de Miracle Meadows a relancé une conversation qui ne s’éteint jamais complètement mais qui a souvent besoin d’être alimentée pour attirer l’attention. Malheureusement, ce carburant se présente sous la forme de victimes qui tentent d’obtenir de l’aide au sein de l’église mais découvrent que la seule véritable aide vient des recours juridiques.
Ce que je trouve encore plus troublant, c’est la fréquence à laquelle la conversation tourne très rapidement sur la responsabilité possible de l’église – l’argent de la dîme est-il utilisé pour payer les dommages et intérêts, la Conférence générale est-elle responsable des poursuites judiciaires intentées contre des institutions autonomes – ainsi que sur tout autre problèmes financiers. Généralement, en quelques minutes, on oublie les victimes et on s’inquiète de questions d’argent. «J’espère que ma dîme ne paie pas pour ça!»
La maltraitance que j’ai subie était si paralysante que l’agresseur a été capable de me faire taire jusque dans l’âge adulte. Des décennies se sont écoulées avant que j’aie le courage d’ouvrir la bouche et de prononcer ces mots dans un cadre d’aide professionnelle. De nombreuses années ont dû encore s’écouler avant que j’ose écrire toute cette histoire sordide en détails en 2021.
J’ai rempli onze pages dactylographiées. J’ai envoyé ces onze pages, accompagnées d’une lettre de mon conseiller professionnel et d’un autre document preuve à la Conférence des églises adventistes de Pennsylvanie.
Une réponse médiocre
Plus de six semaines se sont écoulées avant que j’envoie un email au secrétaire exécutif pour lui demander si mon enveloppe avait bien été reçue. Ce n’est qu’après cette démarche que j’ai reçu un email stérile de huit phrases en réponse à mes onze pages d’informations déchirantes qui m’avaient demandé des années avant que je trouve le courage de les rédiger.
Nous voulons vous encourager dans la poursuite de votre parcours et de votre processus de guérison, ayant discerné dans votre lettre la preuve de votre relation forte et continue avec Dieu «qui produit en vous le vouloir et le faire pour son projet bienveillant» Philippiens 2.13
J’aurais pu recevoir une réponse plus chaleureuse et plus personnelle de la part du plombier. Comme mon mari l’a exprimé: «Le moins qu’ils auraient pu faire aurait été de te faire livrer des fleurs.»
L’esprit écrasé, je suis restée sans réaction pendant un an. Puis, j’ai contacté un bureau de conseil juridique. Ils ont examiné les informations, ont convenu que j’avais suffisamment d’éléments pour intenter une action civile et ont ouvert un dossier.
Malheureusement, ce dossier reste inutilisé. Comme beaucoup d’autres états des Etats-Unis, la Pennsylvanie a un délai de prescription pour les cas d’abus sexuels – un délai qui m’a depuis longtemps exclue, ainsi qu’une multitude d’autres, du processus de demande de réparation. Tant que le processus politique n’ouvrira pas une fenêtre d’opportunité (ce qui s’est produit dans certains états), nous restons silencieuses.
Par ailleurs, il existe de nombreuses confessions et organisations religieuses puissantes et massives qui luttent contre la levée temporaire du délai de prescription parce qu’elles se soucient davantage de leurs coffres que de leurs victimes.
Enditnow?
Alors que j’explore le site enditnow de la Division nord-américaine, je sens la colère monter.
- «Briser le silence.» C’est le titre du site web enditnownorthamerica.org.
- «Prétendre que les abus sexuels n’existent pas dans ‘mon église, mon école ou mon foyer’ perpétue leur existence.»
- «Nous travaillons à créer des églises où tous sont en sécurité, à éduquer les dirigeants d’églises et les communautés afin qu’ils soient capables d’identifier les abus, de les prévenir, ainsi que d’aider les victimes.»
La réponse que j’ai reçue de la Conférence de la Pennsylvanie était la suivante:
- Me faire taire (passer mon appel sous silence)
- Prétendre que «mon église» n’a pas de problèmes d’abus sexuels
- Reconnaître zéro responsabilité au moment d’aider une victime
Il n’y a rien de bien substantiel sur ce site web pour la victime. Il y a des instructions et des conseils pour garder l’église irréprochable. On y décrit quelques lignes directrices pour reconnaître les abus. Pourtant, la préoccupation majeure semble être: «Protégeons l’église et évitons qu’elle ait des ennuis.»
Pour les victimes, il n’y a aucun visage. Aucune histoire d’abus au sein de l’église. Aucune offre d’aide. En fait, pas même une page présentant l’équipe! – ce qui rendrait le site un peu plus personnel. Celui qui gère cette campagne est caché, en toute sécurité. S’il vous plaît, dirigeants adventistes, si vous comptez faire cela, faites-le sérieusement!
Ce que je trouve encore plus révélateur, c’est que sous l’onglet Réponse à la maltraitance des enfants, il n’y a aucune directive invitant à contacter les autorités. Ayant été une victime dont l’agresseur était protégé parce que personne ne voulait entacher la réputation de l’église en appelant la police, je crois fermement que la toute première étape de tout manuel sur la maltraitance des enfants que nous publions devrait être d’avertir les autorités. Protégeons d’abord l’enfant et préoccupons-nous plus tard de notre réputation.
C’est l’histoire séculaire de l’argent, des hommes au pouvoir et de ce qu’ils pensent pouvoir faire en toute impunité.
Reprendre les rênes
Mais quelque chose d’autre refait surface dans cette histoire séculaire. Ce sont les femmes meurtries qui ont décidé de se prendre en main, d’avoir du courage, de prendre la parole et de refuser de se taire plus longtemps. Je fais partie de ces femmes. Oui, j’écris sous un pseudonyme car il y a des victimes innocentes dans mon histoire qui ont besoin de protection; j’ai aussi de besoin de protection si j’avais éventuellement la possibilité d’intenter une action civile contre l’église.
Nos membres sont mal à l’aise à l’idée de poursuivre l’église en justice. Mais il n’en demeure pas moins que la plupart des victimes ne souhaitent pas avoir à faire face à une action en justice ou un procès. Elles sont obligées de le faire. Lorsque j’ai écrit cette lettre à la conférence, ce que je souhaitais plus que tout, c’était que mon église montre qu’elle se souciait de moi, qu’elle me demande ce qu’elle pouvait faire pour moi, qu’elle offre une restitution. La restitution n’efface rien et ne guérit rien mais, en ce qui concerne les victimes d’abus, cela exprime au moins: «Nous reconnaissons le préjudice que vous avez subi sous notre surveillance.»
Mon corps se souvient. L’église adventiste du septième jour représente toutes les mauvaises choses qui m’y sont arrivées. Si l’église continue de briser ceux et celles qui ont déjà été brisés par un agresseur au sein de l’église en refusant d’offrir d’aider à leur guérison à l’aide d’une restitution et d’une reconnaissance raisonnable des conséquences, elle finira par se heurter à une population silencieuse de membres d’église qui ont trouvé leur voix et qui sont prêts à demander réparation et, pour ce faire, à prendre des mesures publiques.
Ces hommes en costume-cravate qui dirigent et dictent depuis les hauts rangs de l’église, qui prétendent parler au nom de Dieu lorsqu’ils déclarent que les femmes ne sont pas dignes d’occuper les mêmes postes que les hommes – eh bien, le moment venu, dans les processus juridiques de notre nation, les déclarations de ces hommes n’auront aucun poids spirituel. Dans de nombreux états, c’est en dehors de l’église que, très lentement, la justice est rendue aux victimes. Espérons que cela s’appliquera bientôt à davantage d’états.
Pour l’église, qui se présente elle-même comme le reste de Dieu et une démonstration de son caractère, cela ne devrait pas nécessiter un procès.
*Molly Evans est un pseudonyme. La version originale de cet article a été publié le 7 septembre 2023 sur le site d’Adventist Today.
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