Un échec en matière de courage et d’éthique
par Loren Seibold | 16 avril 2023 |
Je suis, à l’heure actuelle, très déçu par mon église.
Au cours des dernières semaines, deux évènements importants se sont produits dans l’église adventiste du septième jour, et tous deux ont été rapportés par Adventist Today (version anglaise).
Le 21 mars, le gouvernement africain ougandais a adopté une loi anti-LGBTQ+ draconienne. Il exige la prison à vie pour le simple fait de dire que vous êtes LGBTQ+ et la peine de mort pour les personnes accusées d’abus sexuels LGBTQ+. Au premier rang, sur la photo de ceux qui soutiennent cette loi, se trouve Moses Maka Ndimukika, qui se présente comme «l’archevêque» de l’église adventiste ougandaise – mais nous l’appellerions le président de l’Union de l’Ouganda.
Le 25 mars, Adventist Today a raconté l’histoire de Saša Gunjević, pasteur de l’église adventiste de Hambourg-Grindelberg dans la Fédération hanséatique de l’Allemagne du nord. Dans son premier sermon de l’année 2023, Saša a partagé avec sa congrégation qu’il avait une orientation bisexuelle. Connaissant leur pasteur et le considérant fervent et fidèle, cette révélation n’a pas diminué leur soutien envers lui. Les dirigeants de la Fédération hanséatique se sont penchés sur la question et ont conclu que Saša «n’avait pas commis d’infraction disciplinaire qui l’empêcherait de continuer à exercer le ministère pastoral» et qu’«il n’y a pour le moment aucune raison de retirer, à Saša Gunjević, son accréditation».
Des réactions contrastées
Dans le premier cas, un président d’Union adventiste soutient publiquement une sanction extrêmement sévère pour ceux qui s’identifient simplement comme appartenant à la communauté LGBTQ+, et pas un seul mot a été proféré par les dirigeants de l’église adventiste, à aucun niveau. Silence complet.
Par contre, après qu’AT a publié l’histoire de Saša Gunjević, il a fallu moins d’une semaine pour que la Division intereuropéenne (EUD) réponde à l’aide d’une lettre ouverte, et demande à la Fédération hanséatique de disqualifier Saša Gunjević du ministère pastoral et de révoquer son accréditation.
Pourquoi a-t-il fallu si peu de temps aux dirigeants de l’église pour condamner le pasteur Gunjević, alors qu’il n’y a eu aucune réponse donnée à «l’archevêque» Moses Maka Ndimukika qui soutient la peine de mort au nom de l’église?
Ce que nous avons là, c’est un échec à exercer un leadership éthique courageux.
La vulnérabilité de la religion organisée
J’ai souvent écrit à propos des compromis qui se font lorsqu’une foi partagée devient une organisation. Cela commence par l’inévitable superposition de l’autorité. Lorsque des dirigeants demandent à des personnes de les aider, qui demandent à d’autres de les aider, qui demandent à d’autres de les aider, le niveau le plus haut est exalté, et l’autorité se déverse du haut vers le bas.
Parmi d’autres très bonnes choses, l’apôtre Paul a plaidé pour une église qui s’organiserait de façon plus ou moins organique: un corps ou un bâtiment dont chaque élément chercherait à être guidé par Jésus seul. Malheureusement, le Nouveau Testament a également glissé une référence à un conseil d’anciens situé à Jérusalem et, ailleurs, il utilise des mots tels que episkopos (évêque), presbuteros (ancien) et diakonos (diacre) que tous ceux qui se trouvent au sommet de notre organigramme ont utilisé pour justifier une hiérarchie de l’église qui s’avère ne pas être si différente de celle que nous observons dans l’Eglise romane catholique et à laquelle, nous les adventistes, nous opposons officiellement.
(Vous seriez étonnés du nombre de fois que les paroles d’Ellen White décrivant la Conférence générale comme «la plus haute autorité divine sur terre» sont citées lorsque celle-ci est en session – sans que personne ne s’aperçoive de l’ironie de la situation.)
Cet arrangement à étages se considère comme le garde du corps de Dieu en protégeant l’organisation de l’église – ces dirigeants pensent que Dieu a besoin d’eux pour protéger sa vérité, mais aussi ses propriétés, ses investissements, ses emplois, ses comptes de retraite et sa réputation. Cet instinct de vouloir protéger Dieu en protégeant l’église de changements nécessaires est comme une cataracte dans les yeux de ceux qui travaillent dans les hauts niveaux de l’organisation. Il est bien clair aux yeux de tous que les donateurs les plus fidèles sont ceux qui croient que la volonté de Dieu, telle qu’ils l’interprètent, est faite à Silver Spring comme au ciel.
Certains aspects de cette réalité sont inévitables: dès qu’une communauté de foi devient une église, elle perd une partie de son intégrité et beaucoup de son courage. Notre église a de nombreuses caractéristiques merveilleuses. Je suis profondément reconnaissant de ce qu’elle a fait pour moi. Mais, d’un point de vue éthique et pastoral, elle a perdu mon cœur.
Une éthique à l’envers
La semaine dernière, la Générale Conférence a sauté dans la mêlée. A-t-elle repris l’un de leurs dirigeants d’église haut placé pour avoir adopté une position politique ferme et publique en faveur de la peine de mort?
Ah, non, désolé. Elle a ouvert la bouche pour déclarer que, même si la Fédération hanséatique a approuvé le maintien des lettres de créance du pasteur Gunjević,
l’administration de l’EUD [Division Inter-Européenne] a analysé dans la prière le sermon du pasteur et ses déclarations publiques ultérieures et a conclu que son rejet ouvert de la position officielle de l’église mondiale le disqualifiait du ministère pastoral.
Enonçons les faits concernant le pasteur Saša Gunjević.
Premièrement, Saša Gunjević n’est pas, à l’heure actuelle, dans une relation. Il comprend l’enseignement de l’église concernant les relations homosexuelles, mais il souhaitait être honnête et expliquer qu’il s’est rendu compte avoir une orientation sexuelle différente. S’il était soumis à la politique de la Division nord-américaine, qui fait la distinction entre l’orientation et l’activité sexuelle, cela pourrait être acceptable dans certaines régions de mon pays. Mais Saša Gunjević travaille au sein de l’EUD.
Deuxièmement, il est honnête. Des centaines – des milliers – de pasteurs et d’enseignants avec une orientation atypique ont travaillé pour l’église. J’en connais quelques-uns. Certains ont conclu des mariages hétérosexuels; d’autres sont restés célibataires; et d’autres ont mené une vie secrète. La différence, c’est qu’ils ne l’ont pas admis, et encore moins annoncé. Saša Gunjević l’a fait. Je trouve son honnêteté méritoire.
Troisièmement, Saša est, à tous points de vue, un pasteur adventiste réfléchi et fidèle. Son ministère a été confirmé par la Fédération hanséatique, l’église d’Hambourg-Grindelberg où il sert et le président de la Fédération, Dennis Meier.
Finalement, le souhait de Saša que les personnes LGBTQ+ soient acceptées telles qu’elles sont n’est pas un désir insolite dans l’église occidentale (Amérique du nord, Australie, Nouvelle-Zélande et certaines parties de l’Europe). Combien de pasteurs devraient être expulsés si on leur demandait: «Souhaitez-vous que les personnes LGBTQ+ soient pleinement acceptées dans nos églises?» Cela me serait arrivé depuis longtemps.
L’archevêque d’Ouganda
Mettons tout cela en contraste avec le plaidoyer public de «l’archevêque» Moses Maka Ndimukika en faveur de la réclusion à perpétuité pour ceux qui admettent avoir une orientation gay et de la peine de mort pour ceux qui sont accusés de certaines expressions de celle-ci – dans une partie du monde qui n’est pas connue pour ses procédures judiciaires rigoureuses.
Peut-on défendre cela, éthiquement parlant? Cette situation présente tant de problèmes qu’il est difficile de savoir où commencer.
L’idée que l’orientation sexuelle est un choix a été prouvée erronée de manière concluante. Même de nombreux chrétiens conservateurs comprennent maintenant qu’il existe une différence entre l’orientation et l’activité sexuelle. De plus, les «eunuques» – la chose la plus proche d’une orientation sexuelle atypique que nous ayons dans la Bible – qui «respectent mes sabbats, choisissent de faire ce qui me plaît et restent attachés à mon alliance» (qu’ils le soient «dès le ventre de leur mère» ou qu’ils le soient «devenus par les hommes») sont honorés par Esaïe. En parlant d’eux, Dieu déclare:
Je leur donnerai dans mon temple et à l’intérieur de mes murailles une place et un nom qui vaudront mieux, pour eux, que des fils et des filles. En effet, je leur donnerai un nom éternel qui ne disparaîtra jamais. (Esaïe 56.3-5)
Cela ressemble-t-il à un statut de deuxième classe? Esaïe les place dans la même catégorie que ceux qui se convertissent à la foi.
Quant à la peine de mort, bien que je ne trouve aucune position officielle de l’église sur le sujet, une déclaration du Biblical Research Institute présente ses points positifs et négatifs et conclut en recommandant que «les membres de l’église ne s’impliquent dans aucune campagne promouvant la peine de mort».
Par conséquent, où est donc la condamnation publique de «l’archevêque» Moses Maka Ndimukika qui est représenté dans les journaux africains comme soutenant ce projet de loi? Où est le communiqué de presse exceptionnel présentant une phalange d’hommes en costume sur une photo de groupe et appelant à l’éviction d’un autre dirigeant de l’église qui s’est publiquement présenté comme étant en désaccord avec l’église?
Ignorance et hypocrisie
La déclaration de la Conférence générale sur Saša Gunjević est non seulement décevante, elle est ignorante et hypocrite. Elle confond l’orientation sexuelle avec les relations sexuelles. Elle énonce qu’un pasteur est disqualifié du ministère pour avoir exprimé une opinion différente de celle de l’église. (Par ce critère, la plupart de mes amis pasteurs ne peuvent plus être pasteurs.)
Elle insiste sur le fait que l’idée, complètement discréditée, de la transformation d’une personne LGBTQ+ en une personne à 100% hétérosexuelle est la seule résolution possible – et qu’elle est nécessaire au salut d’une personne, car «rejeter la capacité de Dieu à transformer la vie de toute personne, même dans des domaines apparemment impossibles, revient à rejeter la doctrine même du salut». Voilà une piètre théologie, sans parler d’une attente extrêmement injuste. Tous ces dirigeants d’église ont-ils été transformés, dans tous les domaines, en des chrétiens libres de tous péchés. C’est plutôt incertain.
La déclaration faite reprend une formule créée par Coming Out Ministries (COM) qui rejette l’identité LGBTQ+ parce que, selon COM, «notre identité devrait être en Jésus-Christ seul». Les dirigeants de notre église ne s’identifient-ils pas à autre chose qu’au seul fait d’être chrétiens – comme, par exemple, hétérosexuels? Je suis certain que c’est le cas. Et, soit dit en passant, Jésus-Christ n’a rien déclaré au sujet de l’homosexualité.
La déclaration de la Conférence générale décrit l’honnêteté de Saša Gunjević comme l’expression de «mouvements sociaux contraires à la Parole de Dieu» – comme si un peuple qui puise la moitié de ses doctrines dans les écrits extrabibliques d’une prophétesse du XIXe siècle était un exemple idéal de théologie sola scriptura.
L’hypocrisie est ici décourageante. Lorsque le pasteur bien connu du mouvement Last Generation Theology, Samuel K. Pipim, a été dénoncé comme s’étant livré à des relations sexuelles avec plusieurs femmes (dont certaines étaient des étudiantes) de par le monde, l’église n’a pas publié la photo de tous les dirigeants réunis annonçant qu’ils le condamnaient. Ces mêmes dirigeants d’église sont restés silencieux lorsqu’il a été rebaptisé à Columbus, dans l’état de l’Ohio. Depuis des années, plusieurs de ses victimes avaient rapporté la promiscuité de Pipim auprès de dirigeants d’église sceptiques. Lorsqu’il a finalement été établi qu’il avait une longue histoire d’adultères, on lui a permis de s’éclipser sans qu’aucun avertissement n’ait été partagé avec le public.
Dans notre église, il n’est pas rare, en effet, que des pasteurs et des enseignants qui se sont comportés de façon immorale soient simplement mutés. J’en ai connu certains. Un prédicateur célèbre qui a eu un enfant hors mariage a été réintégré dans le ministère parce que, selon les paroles d’un président de fédération: «Il est un prédicateur trop talentueux, et il peut faire grandir une église!»
Il y avait peut-être de bonnes raisons de pardonner à ce pasteur et de lui redonner accès à la chaire. Mais comparez le pardon qu’il a reçu, de la part de ces mêmes dirigeants d’église, avec le rejet frénétique de Saša Gunjević. Dans le cas de Saša, ils ont utilisé, pour le condamner, le plus gros mégaphone à leur disposition; mais ils sont restés muets comme des pierres au sujet d’un dirigeant africain qui a publiquement soutenu la peine de mort au nom de l’Eglise adventiste du septième jour.
S’il vous plaît, quelqu’un peut-il m’expliquer cela?
Un leadership éthique courageux
Les dirigeants de l’église ne devraient pas seulement avoir pour mission de créer des mesures qui protègent l’organisation; de répéter des interprétations traditionnelles et simplistes de la Bible et d’Ellen White; de gouverner l’église dans le but de plaire à ses donateurs les plus généreux. Nous devrions viser à quelque chose de plus noble: un leadership courageux qui s’exprime dans des prises de décision courageuses.
S’il vous plaît, ne me dites pas que nous, les adventistes, n’avons pas de précédents dans ce domaine. La Bible approuve l’esclavage; nos pionniers l’ont fermement rejeté. La Bible considère la polygamie comme un mode familial acceptable; nos pionniers ne l’ont pas fait. La Bible ne dit rien en ce qui concerne le tabac; nos pionniers l’ont reconnu comme nocif et ont fait de son abstention un prérequis pour devenir membre d’église. La Bible est muette sur l’avortement; l’église a pris ses propres décisions éthiques sur le sujet.
Et il existe de nombreux autres exemples. Je suis simplement en train de dire que nous, les adventistes, savons (ou avons su, dans le passé) faire la distinction entre ce qui est biblique et ce qui est juste. Sommes-nous maintenant devenus trop importants, trop «organisés» pour faire ce qui est juste?
Si mon église souhaite conserver, en son sein, de nouvelles générations d’adventistes au-delà de celle-ci, elle doit faire face à ces hypocrisies ahurissantes.
Loren Seibold est le rédacteur en chef d’Adventist Today et le leader/pasteur d’Adventist Today Sabbath Seminar. La version anglaise de cet article est parue le 7 avril 2023 sur le site d’Adventist Today. La version de la Bible utilisée dans cette traduction est la Segond 21.
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