Pourquoi les adventistes devraient se sentir concernés par la doctrine de la découverte
par Andrew Dykstra | 17 août 2023 |
Le Vatican a récemment renoncé à sa bulle papale de 1493, communément appelée la «doctrine de la découverte».
Les préoccupations religieuses concernant la doctrine de la découverte ne sont pas nouvelles: le Conseil œcuménique des Eglises a renoncé à la doctrine de la découverte en 2012. Mais l’Eglise adventiste du septième jour n’est pas membre de ce groupe; il n’a donc pas parlé en notre nom.
En coopération avec d’autres groupes religieux, je crois que notre dénomination, au niveau de la Conférence générale, devrait renoncer à la doctrine de la découverte.
Qu’est-ce que cela a à voir avec nous?
La bulle papale «Inter Caetera» a été émise par le pape Alexandre VI le 4 mai 1493, seulement 24 ans avant que Martin Luther ne cloue ses 95 thèses à la porte de Wittenberg, infligeant ainsi une blessure potentiellement mortelle à l’Europe catholique.
Mais il y avait un contexte: en 1492, après une guerre de dix ans, le monarque espagnol Ferdinand et la reine Isabelle viennent de vaincre, à Grenade, le dernier roi musulman.
Les monarques catholiques négocient alors avec Christophe Colomb, un marin génois qui, en naviguant vers l’ouest, aspire à atteindre l’actuel Japon. Ce que Christophe Colomb «découvre» à la place, ce sont ce qu’on appelle aujourd’hui les Amériques.
L’Espagne souhaite garder le contrôle sur ces nouveaux territoires. L’Eglise catholique en donne la permission à l’Espagne et, plus tard, à d’autres pays européens. L’intérêt de l’Eglise catholique à cet égard, c’était de convertir les peuples autochtones occupant ces territoires. Le Gilder Lehrman Institute of American History explique:
La bulle proclamait que toute terre non habitée par des chrétiens pouvait être «découverte», revendiquée et exploitée par des gouverneurs chrétiens et insistait que «la foi catholique et la religion chrétienne soient partout exaltées et répandues, que la santé des âmes soit soignée, et que les nations barbares soient renversées et amenées à la foi».
En bref, la doctrine de la découverte a été à la base des abus du colonialisme. Suivant les principes de cette bulle papale, les explorateurs ont bouleversé la vie des populations nouvellement découvertes. Les Européens se sont appuyés sur la doctrine de la découverte pour prendre le contrôle sur des peuples de par le monde afin d’en faire des chrétiens et, bien souvent, en les exploitant sans pitié.
La destinée manifeste
En Amérique, cette stratégie s’est manifestée au travers du concept de la destinée manifeste. En 1845, John O’Sullivan, rédacteur en chef d’un journal, a utilisé pour la première fois l’expression «la destinée manifeste» pour décrire l’idéologie de l’expansionnisme américain. Bien que le terme soit nouveau, les idées qu’il englobe remontent au premier contact colonial entre les Européens et les Amérindiens au temps de la doctrine de la découverte.
La destinée manifeste supposait une croyance en la supériorité inhérente des chrétiens américains blancs, ainsi que la conviction que ceux-ci étaient destinés – et même appelés – par Dieu, à conquérir tous les territoires de l’Amérique du Nord.
Cette fatale hypothèse a engendré des résultats catastrophiques: table rase a été faite dans tous les territoires par déplacement forcé et/ou extermination des peuples autochtones. Pour les partisans de la destinée manifeste, les peuples indigènes n’étaient que de simples obstacles à la domination chrétienne européenne blanche.
Les adventistes, bien que s’opposant clairement au catholicisme, tenaient pour acquis le processus d’expansionnisme missionnaire que la doctrine de la découverte avait lancé.
L’expansionnisme européen dans la prophétie adventiste
Qu’est-ce qu’une bulle papale catholique vieille de 530 ans a à voir avec nous? Plus que vous ne le pensez.
Notre interprétation typique de la prophétie est centrée sur l’Europe. Uriah Smith, dans son livre Daniel and Revelation, parle de la bête à deux cornes d’Apocalypse 13.11-17. Il écrit:
Une autre considération indiquant l’emplacement de ce pouvoir vient du fait que Jean l’a vu surgir de la terre. Si la mer, d’où est sortie la bête léopard (Ap. 13.1), désigne les peuples, les nations et les multitudes (Ap. 17.15), la terre suggérerait en revanche un territoire nouveau et précédemment inoccupé… et serait un symbole des Etats-Unis (page 577 – C’est nous qui soulignons).
Historiquement, il est clair que les églises chrétiennes avaient peu d’appréciation et de respect pour les cultures indigènes qu’elles rencontraient. Les Européens ont pris possession de ce qu’ils considéraient comme des «territoires inoccupés» – et selon la prophétie, c’est ce que Dieu souhaitait qu’ils fassent!
Nous autres adventistes, comme nous le dit Uriah Smith, faisions fièrement partie de ce mouvement.
Une autre métaphore prophétique
Considérons les quatre cavaliers d’Apocalypse 6.
Je regardai et je vis apparaître un cheval blanc. Celui qui le montait avait un arc; une couronne lui fut donnée et il partit en vainqueur et pour remporter la victoire. (Apocalypse 6.2)
Imaginons cela comme l’image d’un explorateur armé partant à la «découverte» de nouveaux territoires; la «couronne» représentant l’habilitation d’un décret papal. Dans la mesure où il est monté sur un cheval blanc, on peut être tenté de croire que cet archer a de bonnes intentions. Cependant, armé d’un arc et de flèches, il se trouve en fort contraste avec le Jésus d’Apocalypse 19.15 dont «l’arme» est une épée sortant de sa bouche. L’arme de Jésus est la persuasion et le consentement éclairé.
Les trois cavaliers qui viennent à la suite du cheval blanc ont un esprit similaire au sien – et même pire.
Et un autre cheval, rouge feu, apparut. Celui qui le montait reçut le pouvoir d’enlever la paix de la terre afin que les hommes s’entretuent, et une grande épée lui fut donnée. (Apocalypse 6.4)
Ce cavalier est suivi d’un troisième.
Je regardai et je vis apparaître un cheval noir. Celui qui le montait tenait une balance à la main. Et j’entendis [comme] une voix dire, au milieu des quatre êtres vivants: «Une mesure de blé pour une pièce d’argent et trois mesures d’orge pour une pièce d’argent, mais ne touche pas à l’huile et au vin.» (Apocalypse 6.5b, 6)
Il est bientôt suivi d’un quatrième cavalier.
Je regardai et je vis un cheval verdâtre. Celui qui le montait avait pour nom «la Mort», et le séjour des morts l’accompagnait. Ils reçurent le pouvoir, sur le quart de la terre, de faire mourir les hommes par l’épée, par la famine, par la peste et par les bêtes sauvages de la terre. (Apocalypse 8.8)
Le premier cavalier entraîne dans son sillage une chaîne ininterrompue de tragédies. Ensemble, les quatre cavaliers dépeignent l’assujettissement forcé de nombreux êtres humains. Les chrétiens, armés de bonnes intentions (un cheval blanc) partent à la conquête. Le résultat prévisible – le cheval rouge – c’est qu’ils privent la terre de la paix, et la guerre consume tout sur son passage. Le cheval conduit à la raréfaction des aliments de base: blé, orge, raisins et olives.
Il n’est donc pas surprenant que le dernier cavalier soit la mort, la tombe et la destruction du monde naturel.
Je crois que cela illustre l’expérience de nombreux peuples autochtones aux mains du colonialisme.
Une série de désastres
Comme le premier des quatre cavaliers, la bulle papale de 1493 déclenche une série de désastres. Elle permet aux explorateurs de «découvrir» et de conquérir des terres qui ne leur appartiennent pas. Cela déclenche la traite des esclaves africains et entraîne la mort des peuples indigènes. Des estimations conservatrices évaluent le nombre de morts indigènes à 50 millions. La traite des esclaves africains ainsi que le déplacement et le génocide des peuples autochtones ont facilité le colonialisme dans le «Nouveau Monde».
L’Eglise adventiste s’est formée à l’époque de la guerre civile américaine. La plupart, sinon la totalité, des premiers adventistes se sont opposés à l’esclavage. Mais l’église adventiste a des difficultés à exister pacifiquement dans la réalité américaine de l’ère de Jim Crow où la ségrégation est la loi. Des adventistes qui ont vécu à cette époque m’ont confié que lorsque la ségrégation raciale américaine a pris fin, notre église n’était pas à l’avant-garde du changement.
Vers 1944, les adventistes noirs ont demandé à l’église de former des conférences régionales noires.[1] Non pour perpétuer la ségrégation, mais pour faciliter la représentation noire dans les chaires et permettre l’éducation du leadership noir.
Pourtant, même aujourd’hui, une ségrégation économique largement déterminée par la race subsiste.
Une correction prophétique et historique
Heureusement, Dieu a entendu le cri de ceux que nous, Européens et Américains, avons traités injustement. Tout comme «Dieu dit alors: ‘Qu’as-tu fait? Le sang de ton frère (Abel) crie de la terre jusqu’à moi» (Genèse 4.10), l’Apocalypse nous permet d’entendre des voix qui nous rappellent celle d’Abel émanant de dessous l’autel:
Jusqu’à quand, Maître saint et véritable, tarderas-tu à faire justice et à venger notre sang sur les habitants de la terre? (Apocalypse 6.10)
Je crois que l’Eglise adventiste mondiale devrait suivre l’exemple du Conseil œcuménique des Eglises et du Vatican lui-même en reconnaissant publiquement tout le mal qui a été déclenché et commis à la suite de la bulle papale de 1493.
Non, nous ne l’avons pas écrite, mais nous en avons certainement profité sous ses nouvelles formes, telles que la destinée manifeste ou encore l’idée de «gagner le monde pour le Christ» quel qu’en soit le prix – même si cela entraîne la destruction de cultures et de familles indigènes.
Bon nombre d’adventistes sont bien mieux équipés que moi pour parler du travail qu’il nous reste à faire dans le but de réparer les torts commis, à la vue du trône de justice de Dieu. Mais, comme Moïse et Daniel, ne nous séparons pas de ce méfait historique. Bien que nous, adventistes, n’ayons pas publié la bulle papale, nous pouvons assumer la responsabilité du mal causé et entraîné par ce concept puis faire le travail qui reste à accomplir pour restaurer et guérir.
- Note de la traductrice: Il existe des controverses concernant cette affirmation. En effet, beaucoup affirment que la communauté noire n’a jamais demandé la création de conférences régionales noires. ↑
Andrew Dykstra est né en Frise, aux Pays-Bas, et il a grandi au Canada. A 22ans, il est devenu membre de l’Eglise adventiste du septième jour. Sentant qu’il n’y avait, dans l’église, pas de place pour lui en tant qu’homme gay, Andrew s’est éloigné pendant vingt ans puis est revenu en l’an 2000. Il a travaillé dans l’imprimerie et a pris sa retraite en 2016. Il vit actuellement à Toronto, au Canada, où il est membre de l’église adventiste d’Emmanuel. La version de la Bible utilisée dans cette traduction est la Segond 21. La version anglaise de cet article est parue le 30 mai 2023 sur le site d’Adventist Today.
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