L’art du pardon
par Melissa Brotton | 26 août 2023 |
«Heureux ceux qui procurent la paix, car ils seront appelés fils de Dieu!» (Matthieu 5.9)
Dans le cadre du programme des études générales de l’université de La Sierra, ma collègue, Dr. Lourdes Morales-Gudmundsson, et moi-même enseignons quelque chose qui s’appelle la science du pardon. C’est une science fantastique. Celle-ci nous renseigne sur les bienfaits physiologiques et psychologiques du pardon, ainsi que sur les conséquences néfastes, et parfois fatales, du refus de pardonner. Elle nous encourage à pardonner, car nous en tirons des bienfaits, et elle nous renseigne sur ce qui arrive au cœur lorsque nous refusons de pardonner: il est affecté de la même manière que dans le cas d’une colère chronique.[1] La science du pardon démontre comment le fait de refuser de pardonner conduit au ressentiment et à la haine qui sont alors continuellement recyclés; et nos ruminations enragées se transforment en une obsession focalisée sur une blessure et un besoin de vengeance.[2]
Nous possédons beaucoup d’informations scientifiques qui démontrent les effets positifs du pardon sur notre bien-être, et cela devrait nous motiver à pardonner. Cependant, la connaissance de ces faits ne se traduit pas toujours par des actes de pardon. Nous pouvons répéter les mantras de la science: «Pardonner est bon pour la santé, pardonner est bon pour la santé», et ne jamais réellement pardonner à quelqu’un. On a besoin de quelque chose qui dépasse la sphère scientifique.
Bien que ce soit une bonne chose de savoir que le pardon est salutaire à notre santé physique et mentale, le pardon biblique dont parle Jésus, dans le Notre Père par exemple, concerne plus le cœur que la tête. La Bible est particulièrement explicite et insistante lorsqu’elle nous demande de pardonner, mais elle est étonnamment silencieuse en ce qui concerne la façon de mettre le pardon en pratique. Je sais que, pour plaire à Dieu, il me faut pardonner, mais comment? Pour répondre à cette question, j’aimerais suggérer que considérer le pardon comme un art pourrait combler les lacunes laissées par la science. Parce que le concept du pardon nous est souvent transmis au travers d’histoires, je me demande si l’étude d’histoires de pardon pourrait nous offrir un médicament plus efficace pour le cœur humain que la simple mention de données scientifiques. Est-il possible que le rôle de l’imagination, si inhérent à l’art, puisse nous être utile dans notre cheminement vers le pardon d’une manière dont la science n’est pas capable?
D’une façon différente de la science, les histoires créent un sens d’interconnexion entre les humains. Avec le suspense qui se développe et les résolutions que nous anticipons, les histoires nous captivent. Nous nous identifions aux personnages, et nous ressentons ce désir naturel de voir leurs histoires se terminer de manière satisfaisante – car nous souhaitons voir des résolutions satisfaisantes dans nos vies aussi.
Lorsque nous entendons des histoires de pardon, nous sympathisons avec les victimes, et nous nous identifions à leur perte et à leur chagrin. Nous sommes touchés par leur témoignage. Nous sommes surpris et émus par leur décision de pardonner face à une grande douleur ou à une grande perte. Ces histoires nous donnent de l’espoir, et elles nous inspirent à nous élever au-dessus de notre façon typique de résoudre les conflits et de gérer les souffrances infligées par les autres. Nous admirons leur courage et voyons, sous un nouveau jour, les situations de nos vies où le pardon est nécessaire. Nous nous disons: «Si cette personne peut pardonner une si grande blessure, pourquoi ne puis-je pas pardonner cette petite-là?» Entendre l’histoire de quelqu’un qui a pardonné enflamme notre imagination au point que nous pouvons nous imaginer nous-mêmes en train d’offrir le pardon à quelqu’un qui nous a fait du tort. Entendre ces histoires nous inspire et nous invite à créer nos propres histoires de pardon. Dr. Morales et moi-même avons vu cela se produire encore et encore, non seulement avec les étudiants de notre classe, mais aussi dans nos vies privées.
L’une des histoires les plus captivantes que nous partageons dans notre cours est celle d’Eva Kor, née en Transylvanie, qui, à l’âge de dix ans, a été plongée dans les horreurs du camp de concentration d’Auschwitz. Sur un quai de gare, parce qu’elles étaient jumelles, Eva et sa sœur, Miriam, ont été sélectionnées, séparées de leurs parents et emmenées au laboratoire d’études gémellaires du Dr. Josef Mengele où elles ont été soumises à diverses expériences douloureuses et humiliantes. Elles ont à peine survécu cette période cauchemardesque. Tous les jours, elles étaient soumises à des mesures corporelles, des prises de sang, des gouttes oculaires, des expositions au typhus et à la tuberculose, des transfusions, des interventions chirurgicales sans anesthésie et des injections mystérieuses. Après l’une de ces injections, Eva est tombée gravement malade, et elle a été transférée dans un hôpital où elle a entendu le Dr. Mengele annoncer avec désinvolture qu’il ne lui restait que deux semaines à vivre. Avec détermination, Eva rampait plusieurs fois par jour entre son lit et un robinet d’eau, à l’autre bout de la salle, et elle a vaincu sa maladie. Miriam, quant à elle, a subi, sur ses reins, des effets à long terme: ils sont pour toujours restés de la taille de ceux d’un enfant. Des années plus tard, elle a eu une insuffisance rénale, et Eva lui a fait le don d’un de ses reins. Plus tard, Miriam a été diagnostiquée avec le cancer de la vessie, et ses médecins ont demandé à Eva d’essayer de mettre la main sur le dossier médical de sa sœur, à l’époque où elles étaient à Auschwitz, afin de découvrir ce que ces injections mystérieuses contenaient, mais les dossiers n’ont pas été découverts avant le décès de Miriam, en 1993.
Lors d’une conférence d’un professeur de Boston, Eva a pu entrer en contact avec un médecin nazi, le Dr. Hans Munch, qui avait signé les certificats de décès de Juifs envoyés vers les chambres à gaz d’Auschwitz. Eva est parvenue à obtenir la signature du Dr. Munch ainsi qu’une admission publique (lors de la célébration du 50ème anniversaire de la libération du camp, en 1995) de son rôle, à Auschwitz, y compris ce qu’il savait sur l’utilisation des chambres à gaz. De retour chez elle, Eva voulait remercier le Dr. Munch mais, en tant que victime, elle ne savait pas comment s’y prendre. Dix mois plus tard, elle a décidé d’écrire au Dr. Munch une lettre de pardon. Alors qu’elle lui faisait le don de son pardon, elle a été surprise de se sentir forte et fortifiée. Elle a repris contact avec son ancien professeur d’anglais pour qu’il relise et corrige sa lettre. Après leur troisième rencontre, celui-ci l’a mise au défi de pardonner aussi au Dr. Mengele, celui qui l’avait blessée plus directement. Ce soir-là, de retour chez elle, Eva s’est adressée au Dr. Mengele comme s’il était dans la pièce. Elle lui a lu une vingtaine d’insultes tirées d’un dictionnaire, puis, elle lui a pardonné. Elle a ressenti un soulagement immédiat. Elle explique pourquoi: «Je me suis rendu compte que j’avais tout le pouvoir sur Josef Mengele, que notre dernière interaction allait être mon pardon, et qu’il ne pouvait rien y faire.»[3]
Eva, accompagnée de ses enfants, s’est rendue en Allemagne pour y apporter sa déclaration d’amnistie et rencontrer le Dr. Munch et sa famille. Tous deux ont signé ce document qui représentait l’acte personnel de pardon de la part d’Eva, non seulement envers le Dr. Mengele, mais aussi envers tous les nazis qui avaient participé à l’assassinat de sa famille. Alors que d’autres survivants l’ont critiquée pour sa décision de pardonner, Eva s’en est trouvée apaisée. «J’étais libre d’Auschwitz, dit-elle, et j’étais libre de Josef Mengele.» Eva est décédée en 2019 en laissant derrière elle un solide exemple pour ceux qui s’intéressent au pardon.
Le pardon crée un sentiment de plénitude, en pensée, en esprit et en action; une plénitude qui pousse vers l’avant et crée une force pour le bien. Le pardon est gratuit. J’aime bien cette idée. Tout le monde peut se le permettre. Et ça marche. Il n’a pas d’effets secondaires néfastes, et si vous n’aimez pas la façon dont vous vous sentez après avoir été libérés, vous pouvez décider de reprendre votre souffrance. Personne ne vous en empêchera. … J’appelle la rage une semence de guerre. Les gens qui pardonnent, comme j’ai pardonné, sont en paix avec eux-mêmes et avec le monde. Par conséquent, j’appelle le pardon une semence de paix.[4]
La science du pardon joue un rôle important car elle nous incite à réfléchir sérieusement à la nécessité de pardonner, mais je pense que le pardon en tant qu’art a plus de pouvoir pour nous faire avancer vers le vrai pardon du cœur. Pourquoi ? Parce que le concept du pardon nous est d’abord parvenu au travers d’une histoire, l’histoire la plus puissante de l’univers, l’histoire du Dieu Créateur et Père qui, par le don de son fils unique, traité cruellement, battu et tué par nos soins, nous offre à tous son pardon.
Les êtres humains sont capables de se faire, les uns aux autres, des choses terribles. Même ceux d’entre nous qui ont des personnalités plus indulgentes se sentent dépassés lorsqu’il s’agit de pardonner à ceux qui commettent des actes terribles. Ecouter les autres raconter leurs histoires de pardon nous pousse à développer nos propres histoires de pardon et à les transformer en actions.
Jésus a dit que seul un pardon profond et sincère était un vrai pardon.[5] Le cœur humain désire la paix. Rencontrer le pardon dans des histoires permet à l’amour de Dieu pour le coupable d’adoucir le cœur humain. En cette nouvelle année, je prie pour que la paix et la santé imprègnent nos cœurs alors que nous choisissons de composer nos propres histoires de pardon.
- Lawler-Row, Kathleen A.; Johan C. Karremans; Cynthia Scott; Meirav Edlis-Matiyahou; et Laura Edwards. “Forgiveness, Physiological Reactivity and Health: The Role of Anger.” The International Journal of Psychophysiology. 68, n.1 (avril 2008), 51-58. https://doi.org/10.1016/j.ijpsycho.2008.01.001. Rasmussen, Kyler R.; Madelynn Stackhouse; Susan D. Boon; Karly Comstock; et Rachel Ross. “Meta-Analytic Connections Between Forgiveness and Health: The Moderating Effect of Forgiveness-Related Distinctions.” Psychology & Health,34, n.5 (Janvier 2019), 515-534. ↑
- Burnette, Jeni.; Keli W. Taylor; Everett L. Worthington; Donelson R. Forsyth. “Attachment and Trait Forgiveness: The Mediating Role of Anger Rumination.” Personality and Individual Differences. 42, n.8 (juin 2007), 1585-1596. https://doi.org/10.1016/j.paid.2006. ↑
- Kor, Eva. “Surviving the Angel of Death.” Symposium subventionné par les Jewish Studies. University of California Television. University of California, Santa Barbara. 6 janvier 2016. https://www.youtube.com/watch?v=bCVZPSzTqZU. ↑
- Kor, Eva. «Surviving the Angel of Death.” Symposium subventionné par les Jewish Studies. ↑
- Matthieu 18.34-35. ↑
Melissa Brotton enseigne l’écriture et la littérature à La Sierra University. Ses spécialisations concernent la littérature anglaise du dix-neuvième siècle et les sciences religieuses. Elle a publié des écrits sur la poète Elizabeth Barrett Browning et sur l’écologie biblique. Elle passe beaucoup de temps dans la nature, elle peint et elle écrit des histoires et des poèmes sur ce thème. La version de la Bible utilisée dans cette traduction est la Segond 21. La version anglaise de cet article est parue le 12 janvier 2023 sur le site d’Adventist Today.