Je ne distribuerai pas La Tragédie des siècles 1/4
par Jimmy Trujillo | 14 avril 2023 |
Je suis Jimmy (Jacques) Trujillo. J’ai été baptisé en 1974. J’ai servi Dieu et l’Eglise comme pasteur dans différentes communautés, mais aussi comme responsable de la Jeunesse à la Fédération France sud et à l’Union Franco-Belge, comme secrétaire et ensuite président de cette Union et enfin comme président de la Fédération France sud.
Aujourd’hui, face à la volonté de la Conférence générale de procéder à une distribution massive du livre La Tragédie des siècles, je refuse de participer à cette distribution. J’ai en effet relu très attentivement ce livre, et j’ai trouvé plusieurs raisons pour ne pas le distribuer.
La première, la plus évidente sans doute puisque mentionnée par Ellen G. White elle-même ainsi que par son fils, est le nombre conséquent d’erreurs historiques qu’on peut y trouver.
Ces erreurs peuvent être classées dans plusieurs catégories.
Les erreurs « par répétition »
Ellen G. White l’affirme:
Là où les scènes à retracer se sont trouvées résumées par quelque historien de telle façon qu’elles cadraient avec le plan de cet ouvrage, j’ai cité ses propres paroles et indiqué la source; mais je ne m’y suis pas astreinte d’une façon absolue, mes citations n’étant pas données comme des preuves, mais simplement en vertu de leurs qualités descriptives.[1]
L’autrice nous informe donc d’emblée des choix qu’elle a fait concernant ses références, choisies, non comme des preuves historiques, mais en raison de leurs valeurs descriptives. Elle répète donc ce qu’elle a lu.
Sauf oubli de ma part, toutes les sources citées sont protestantes, et qui plus est, émanent de pasteurs ou de professeurs de théologie protestante. Voici quelques exemples: Harry Hart Milmann (qui écrit en 1829) Anglican, Doyen de Saint-Paul (Tds.p.30); Merle d’Aubigné (1794-1872) pasteur suisse revivaliste, (il fait un séjour à Paris et aux USA), de famille noble française, apparenté avec Mme de Maintenon (née Françoise d’Aubigné), maîtresse et épouse de Louis XIV. (Tds.p.65); James Aitken Wylie (1808-1890) historien anglais, pasteur presbytérien, auteur en 1880 de «La papauté est l’Antichrist». (Tds.p.73); Sears Barnas (1801-1880) USA, baptiste, théologien de l’Education (Tds.p.73); Jacques Lenfant, (1661-1728) pasteur, fait ses études à Genève et exerce ensuite à Berlin (Tds. p.112), etc.
Cette sélection (en fait peu d’historiens ont été choisis) accentue les risques de répétition des erreurs commises par ces auteurs, car ils sont eux-mêmes engagés dans une présentation de l’histoire idéologiquement marquée.
Les erreurs «par sélection d’un épisode» correspondant au but recherché.
L’exemple le plus évident est celui de la confrontation entre l’empereur Henri IV d’Allemagne et le pape Grégoire VII.
Ellen G. White écrit:
Un exemple frappant de la tyrannie de cet avocat de l’infaillibilité (le pape) est le traitement qu’il infligea à l’empereur d’Allemagne, Henri IV. Pour avoir osé méconnaître l’autorité du pape, ce souverain avait été excommunié et déchu de son trône. (Tds p. 58)
Ce n’est pas exact. Certes l’empereur, pour des raisons politiques, est obligé de se « rendre à Canossa » (nom du château des Comtesses de Toscane) pour y subir une flagrante humiliation. Echec et mat. Le pape a gagné! Ellen White arrête là son récit. Mais c’est un peu comme si je disais à un américain que les Japonais ont remporté la guerre puisqu’il y a eu Pearl Harbor.
Or, l’histoire ne s’arrête pas là. Une fois l’absolution obtenue, le calme revenu dans son empire, ses féodaux remis en rang, les menaces extérieures éloignées, Henri joue la seconde manche et la belle: il fait élire un antipape, l’archevêque de Ravenne, Guibert, qui prend le nom de Clément III. Il descend en Italie, s’empare de Rome, impose son candidat et reçoit de lui la couronne impériale. Et Grégoire? Il se réfugie au château Saint-Ange d’où il s’enfuit sous la protection des troupes normandes qui en profitent pour piller la ville. Lorsqu’il meurt en exil à Salerne en 1085, sa politique semble s’achever sur un échec cuisant.
Pourtant, Ellen G. White conclu l’extrait de l’épisode qu’elle a choisi par ces mots: «Grégoire, enivré de ce succès déclara que son devoir était d’abattre l’orgueil des rois.»[2]
L’autre exemple, parmi bien d’autres que l’on peut citer, est la reprise de l’affirmation de Joseph Litch selon lequel, après étude de l’Apocalypse, l’empire ottoman connaîtrait sa fin en 1840.[3]
Les chrétiens arméniens, tout particulièrement, auraient sans doute beaucoup apprécié cette chute. Mais, hélas, entre 1884 et 1886, l’empire ottoman sur lequel règne le sultan Abdühamid II, dit le Sultan rouge, persécute les chrétiens arméniens et syriaques et les assyriens. Entre 80 000 et 300 000 mille morts. Puis, en 1915, alors que ce même empire ottoman est allié à l’Allemagne, il procède au premier génocide du 20ème siècle qui coûtera la vie à près d’un million d’êtres humains. Non, l’empire Ottoman n’a pas disparu en 1840.
Les erreurs «par exagération».
Elles paraissent certes moins graves que les précédentes, mais elles me troublent quand même.
Lors du massacre des juifs par les troupes de Titus à Jérusalem, Ellen White indique que «plus d’un million de Juifs périrent»[4]. A cette époque, la ville ne comptait que 80 000 habitants. Peut-être plus si elle avait accueilli des réfugiés. Peut-être moins.
Concernant les victimes de l’Inquisition, elle écrit: «Les corps torturés de millions de martyrs criaient vengeance devant Dieu contre cette puissance apostate».[5] Cependant, tous les chiffres que les historiens indiquent concernant les victimes de la cruelle Inquisition sont largement en dessous de celui indiqué par Ellen G. White. Pour elle, les conséquences de la Révolution française sont terrifiantes. «Leur pays dévasté par l’épée, la hache, et le bûcher, fut transformé en un vaste et lugubre désert».[6] Pas vraiment! Malgré les horreurs!
Lyon, lui aussi, «fut réduit en désert»[7]. Pas du tout! Entre 40 et 50 maisons furent détruites.
Face au nombre conséquent d’erreurs, plusieurs attitudes sont possibles.
Ellen G. White les reconnaît. Dans une lettre à W. Eastman, Willie White écrit ceci: «Lorsque La tragédie des siècles a été écrite, ma mère ne s’est jamais imaginé que les lecteurs puissent lui accorder l’autorité sur les dates historiques ou s’en servir pour régler des conflits sur des détails historiques, ni n’a jamais eu l’impression qu’il faille s’en servir de cette manière-là.»[8]
On peut aussi les traiter par le déni, comme semble le suggérer le titre que l’Ellenwhitecenter donne à son article «De soi-disant erreurs».
Or, il s’agit de vraies erreurs qu’un lecteur un peu attentif n’aura aucun mal à déceler. Ce qui fera perdre tout sérieux au reste de l’ouvrage et à son auteur.
Je ne distribuerai pas le livre La Tragédie des siècles pour d’autres raisons encore. A suivre…
- Ellen G. White; La Tragédie des siècles; Vie et Santé 1983; p. 15 ↑
- Ibid. p. 58 ↑
- Ibid. pp. 361-362 ↑
- Ibid.p.35 ↑
- Ibid .p.60 ↑
- Ibid p.293 ↑
- Ibid. p.305 ↑
- 31 octobre 1912, «De soi-disant erreurs historiques», www.ellenwhitecenter.org ↑
Au cours des années, Jimmy Trujillo a travaillé au sein l’église Adventiste en tant que pasteur, responsable de la jeunesse à la Fédération France Sud et à l’Union Franco-Belge ainsi que secrétaire puis président de cette même Union. Il jouit maintenant d’une retraite bien remplie.