Il est trop tard pour que Jésus revienne bientôt – Deuxième partie
par Loren Seibold | 6 février 2023 |
La désintégration du monde?
Les gens disent: «Mais il y a de réelles tragédies, de réelles difficultés et de réels dangers dans le monde.» C’est vrai. Il y a toujours eu des tragédies, des difficultés et des dangers dans le monde. Aujourd’hui, nous faisons face à la dégradation de l’environnement, à des fusillades de masse et à des armes nucléaires. Mais si on se tourne vers le passé, nous nous rendons compte que toutes les deux ou trois décennies, des génocides ont eu lieu. Il y a cent ans, une épidémie de grippe a tué 50 millions de personnes. Il y a sept cents ans, la peste noire a décimé la moitié de l’Europe, et qui sait combien d’autres individus partout ailleurs. A intervalles réguliers, des armées ont massacré des nations entières. Bien avant que nous commencions à garder une trace écrite des évènements naturels, les inondations, les tsunamis et les tremblements de terre ont enseveli des êtres humains sous la terre et dans l’eau. Dans l’histoire du monde, les famines, les épidémies et les guerres qui tuent des millions de personnes ne sont pas des évènements exceptionnels. L’échelle est maintenant différente, car il y a plus d’habitants sur la planète, mais la souffrance est la même. Certains experts disent qu’un plus grand nombre de personnes sont maintenant plus en sécurité, plus heureuses et plus prospères qu’à n’importe quelle autre époque du passé au sujet de laquelle nous avons des traces écrites.
Par ailleurs, notre église grandit et se développe, et on nous le rappelle souvent. Le trésorier de la Conférence générale annonce, dans son rapport, combien de milliards nous avons reçus en dîmes et en offrandes. La division nord-américaine achète un siège social de plusieurs millions de dollars. Le président de la Conférence général vole de par le monde, et il est accueilli, dans certaines régions du monde, comme un chef d’état. Notre actif s’élève à plusieurs milliards de dollars, dans toutes sortes de domaines: institutions éducatives, médicales, administratives et investissements variés. Dans certaines parties du monde, notre croissance est phénoménale, et nous nous en vantons sans cesse.
Ce ne sont pas les moqueurs qui se comportent comme si «tout demeure comme depuis le commencement de la création» (2 Pierre 3.3-4, NBS). C’est l’église elle-même.
Je déclare donc quelque chose que vous ne savez peut-être pas mais, si c’est le cas, il est grand temps que vous le sachiez.
En dépit de notre constant roulement de tambour eschatologique, nous ne croyons pas vraiment que Jésus va revenir bientôt. Si c’était le cas, nos bureaux seraient installés dans des préfabriqués placés sur des blocs plutôt que dans des complexes qui valent des millions de dollars et installés dans les villes les plus chères au monde. Nous n’aurions pas un plan de retraite pour nos employés. Les trésoriers ne parleraient pas de notre immobilier, de notre valeur nette, de nos actions ou de nos obligations. Les membres d’église n’auraient pas d’enfants, n’achèteraient pas de maisons ou ne partiraient pas en vacances.
L’attente des persécutions?
Quant aux histoires alarmantes de persécutions à venir, elles nous donnent des frissons, mais on ne veut pas vraiment qu’elles arrivent. Quand on joue à faire coucou avec un jeune enfant, il rit parce qu’il n’est effrayé que momentanément et parce que c’est le visage souriant de maman qui apparaît. Les adultes, quant à eux, frémissent en regardant un film d’horreur parce qu’ils savent que ce n’est pas une personne réelle qui se trouve derrière le masque de hockey et massacre les gens avec de gros outils électriques.
Chaque fois que nous avons discerné une vraie persécution, nous avons tout fait pour l’arrêter. Nous continuons à parler des persécutions, précisément parce qu’elles n’arrivent pas. La plupart d’entre nous seraient plutôt déçus si les évènements qui amorcent le second avènement se mettaient vraiment en place – même s’ils sont le préquel du retour de Jésus. Entre autres, ils perturberaient les progrès de l’œuvre d’une dénomination impressionnante.
Non, l’imminent second avènement est bien mort, sauf dans nos fantaisies. Mais nous nous y attachons de toutes nos forces. Le pessimisme apocalyptique, c’est comme le besoin d’héroïne: une addiction que nous avons du mal à abandonner, même si elle ne fait qu’alimenter notre besoin d’excitation et malgré la déconnexion entre nos fantaisies et la réalité.
Khodasevich disait des symbolistes qu’«ils étaient conscients d’être en train de jouer un rôle, mais que le rôle était devenu leur vie même». A un moment donné (c’est impossible de dire exactement quand), le passage du temps a transformé la croyance spécifique du retour imminent de Jésus des adventistes du septième jour en un semblant, un mythe. Jésus va revenir, mais il est trop tard pour continuer de dire qu’il revient bientôt, et tout dramatiser ou tout réinterpréter ne changera pas cette réalité.
Et maintenant?
En lisant ces lignes, certains d’entre vous seront fâchés de constater que quelqu’un qui a été pasteur adventiste toute sa vie puisse dire de telles choses. Vous pensez peut-être que je suis en train d’attaquer l’église adventiste, et que j’essaie de la détruire en discréditant son enseignement sur le second avènement du Christ.
Mais vous auriez tort. Aujourd’hui, ce qui nous fait du mal, ce n’est pas de questionner l’idée d’un retour imminent mais de refuser d’en parler. Je dis à voix haute ce que tout le monde pense mais n’ose pas formuler: Jésus n’est pas revenu «bientôt» et, après toutes ces années, ce n’est plus un terme adéquat.
Imaginons (ce qui ne devrait pas être difficile au vu des 175 années qui sont déjà passées) que les choses vont continuer de la même manière jusqu’en 2044. Le jour de cet anniversaire, que dirons-nous? Que nous avons prêché le retour imminent de Jésus pendant 200 ans? Les gens riront – et ils auront raison.
Nous pouvons certainement continuer sur la même trajectoire pendant quelques décennies de plus, peut-être même pendant un siècle supplémentaire. Cela dépend du type de croyants que nous souhaitons être.
Nous pouvons être l’église qui avertit sans cesse que le ciel est en train de nous tomber sur la tête. En cas de désastres d’ampleur mondiale, nous pourrons peut-être profiter d’un peu d’élan. «Vous voyez? C’est le chaos total, comme nous l’avions annoncé!» Entre deux tragédies, nous pourrons continuer à parler de loi du dimanche et de persécutions imminentes. Nous discernerons partout des tragédies et des complots en identifiant des évènements relativement bénins comme les précurseurs de la fin du monde. La moitié des chrétiens dans le monde seront nos ennemis, et l’autre moitié ne sera pas sauvée. Avec un peu de chance, quelqu’un, dans un coin du globe, menacera de faire passer une vraie loi du dimanche, et nous aurons la satisfaction de pouvoir déclarer: «On vous l’avait dit.»
En attendant, nous serons toujours plus ou moins confortables en constatant la richesse et le succès d’une dénomination au sein d’un monde où la liberté religieuse va en s’améliorant. Nous ne souhaitons pas faire l’expérience de la persécution autant que nous souhaitons nous servir de la possibilité de la persécution. C’est pourquoi nous continuerons de «jouer notre rôle comme si nous étions sur la scène d’un théâtre d’improvisation enfiévrée» en nous accrochant à l’idée que nous sommes à un jour près de la fin de toutes choses.
Mais est-ce cela que nous souhaitons être? Ou bien le temps est-il venu pour nous d’affiner notre identité?
A dire vrai, de certaines manières, nous avons admis tacitement que Jésus ne revient pas bientôt. Alors que nos églises parlent d’une apocalypse imminente, nos universités et nos hôpitaux construisent de nouveaux bâtiments plus adaptés. Et alors que la plupart des congrégations d’Amérique du nord sont des clubs privés qui rétrécissent, notre empire s’agrandit.
Parvenus à la fin de notre mythe, nous sommes dans une situation périlleuse, et si nous souhaitons survivre en tant qu’église, nous avons besoin d’une histoire qui évolue.
Cette histoire, que racontera-t-elle? Il y a tant de belles choses vivifiantes dans l’adventisme du septième jour. Le sabbat. La réforme sanitaire. La liberté religieuse. Notre désir d’aider les autres dans tous les domaines de leurs vies.
L’espoir d’une fin de l’histoire du monde continuera de faire partie de notre message. C’est ce mot «bientôt» qui doit être corrigé. Comment nous y prendre?
Une eschatologie ambitieuse
Le mot eschatologie signifie «l’étude des choses de la fin». Reconnaissons que nous avons épuisé la véracité et l’utilité de l’argument des «minutes avant minuit» accompagné de ses menaces et de ses peurs. Plutôt que de nous concentrer sur les évènements de la fin, pourquoi ne pas nous intéresser plus intensément aux types d’hommes et de femmes que nous aspirons enfin devenir pour Dieu.
Que les adventistes du septième jour puissent être enfin les vrais héritiers de la Réforme, ceux qui montrent ce que signifie s’emparer de l’assurance du salut par la foi tout en s’appuyant sur une compréhension généreuse et tolérante de la Bible seule.
Que nous soyons enfin les chrétiens qui se distinguent parce qu’ils appartiennent à l’église la plus intègre et la plus honnête de l’histoire du christianisme – une église qui ne participe pas à des jeux de pouvoir, qui ne recherche ni l’argent, ni le succès, ni la gloire, mais qui est saturée de la présence de l’esprit du Christ ressuscité.
Que les adventistes du septième jour montrent enfin au monde à quoi ressemblent des congrégations heureuses et en paix; des assemblées qui accueillent tout ceux qui recherchent la grâce divine, et des chrétiens qui vont au-delà des conflits théologiques pour atteindre les plus hautes qualités de la vie communautaire et de l’amour.
Que nous puissions renouveler notre croyance ancienne dans le pacifisme et être enfin l’église qui se lève pour annihiler au maximum la guerre dans le monde et réduire ses effets là où elle fait encore rage.
Que les adventistes du septième jour se trouvent enfin aux côtés des autres chrétiens qui partagent nos objectifs plutôt que de traiter ces autres disciples du Christ d’«apostats» ou de résidents de «Babylone».
Que les adventistes du septième jour excellent enfin à soulager la souffrance humaine et à aider les défavorisés, et qu’ils soient l’étincelle qui encourage tous les chrétiens à opposer des lois injustes qui enrichissent certains et maintiennent les immigrés et les pauvres dans le besoin. Que nous soyons au premier rang de ceux qui se battent contre le racisme, la discrimination, la haine ethnique et la misogynie – ce que signifie, entre autres, que dans notre dénomination, nous accordions enfin aux femmes un statut équivalent à celui des hommes et que les homosexuels sachent, enfin, qu’ils sont accueillis à bras ouverts dans nos milieux.
Allumons des chandelles
Il y a une histoire qui parle d’un «jour de ténèbres» qui me semble plus instructive que celle que nous trouvons dans La tragédie des siècles. (Ellen White, [1888, 1907]). En mai 1780, des feux de forêt avaient embrasé la région montagneuse algonquine de la province de l’Ontario (Erin R. McMurry, Michael C. Stambaugh, Richard P. Guyette et Daniel C. Dey, «Fire Scars Reveal Source of New England’s 1780 Dark Day», International Journal of Wildland Fire, Vol.16 [2007], p. 226-270. En ligne à www.fs.usda.gov/treesearch/pubs/41025.), et un nuage de fumée gigantesque avait envahi la Nouvelle Angleterre et obscurci le soleil. Le 19 mai, le corps législatif du Connecticut était en session quand une fumée épaisse est descendue. Quelques membres étaient terrifiés et pensaient que le jour du jugement était arrivé. L’un d’eux a proposé d’ajourner la session.
Les archives législatives relatent que le membre du Congrès, Abraham Davenport, a pris la parole. «M. le président du Congrès, a-t-il dit, le jour du jugement est là, ou il ne l’est pas. Si ce n’est pas le cas, il n’y a aucune raison d’ajourner la session. Si c’est le cas, je choisis d’être trouvé en train de continuer à œuvrer. Je souhaite donc que l’on apporte des chandelles, et que l’on continue de travailler.»
On a allumé des chandelles, et le travail a continué. Les gens ont été impressionnés par le calme lucide d’Abraham Davenport. Plus tard, il a été promu juge en chef à la cour des actions civiles de Danbury. (En 1789, alors qu’il présidait à la cour, il a eu une crise cardiaque qui lui a été fatale; et son souhait d’être trouvé en train de travailler a été exaucé.)
Alors que nous continuons d’avancer, c’est ce que je souhaite pour les adventistes du septième jour. Il y aura des désastres. Il y aura des guerres et des bruits de guerres. Une nation se lèvera contre une autre. Il y aura des famines, des fléaux et des tremblements de terre dans de nombreux endroits du monde. Il y aura des faux prophètes et des faux messies. Il y aura de la corruption politique et des hérésies religieuses. Où seront les adventistes du septième jour? J’espère de tout cœur qu’ils ne joueront pas le rôle de Chicken Little (ce petit poulet qui annonçait continuellement que le ciel était en train de tomber). Non. Je prie pour que nous soyons ce peuple qui allume des chandelles et continue à œuvrer.
Nous arrivons à un tournant. Nous avons 25 années pour préparer ce qui pourrait être l’anniversaire le plus important de notre histoire. Nous pouvons continuer à «jouer un rôle sur la scène d’un théâtre d’improvisation enfiévrée», ou bien, nous pouvons faire face avec grâce et courage aux tragédies et aux opportunités du futur, lorsqu’elles se présenteront à nous. Quel type de croyants souhaitons-nous être?
Le Dr Loren Seibold est le rédacteur en chef du magazine et du site Web Adventist Today. Cet essai a été publié pour la première fois en Automne 2019 dans le magazine Adventist Today.