Il est trop tard pour que Jésus revienne bientôt – Premiere partie
par Loren Seibold | 23 janvier 2023 |
Vivre plus longtemps que la fin de son mythe est une chose périlleuse. Anne Carson
Cent soixante-quinze ans ont passé depuis l’évènement le plus célèbre de l’histoire adventiste: le 22 octobre 1844, les adventistes millérites se rassemblent pour attendre le retour de Jésus. C’était, comme on le sait, une erreur d’interprétation plutôt importante car l’évènement attendu ne s’est pas produit.
Je ne suis pas de ceux qui, de façon arrogante, considèreraient nos ancêtres comme stupides ou naïfs. Bien au contraire, ils étaient courageux et engagés. Lorsque leur première interprétation s’est avérée erronée, qu’ils aient donné une explication subsidiaire est tout à leur honneur. Pourquoi gaspiller un bon réveil religieux?
Cependant, l’explication subsidiaire qu’ils ont acceptée nous pose maintenant des problèmes. Lorsque Jésus n’est pas apparu au temps marqué, ils ont expliqué qu’il reviendrait bientôt, plutôt qu’à la date qu’ils avaient sélectionnée.
Qu’est-ce que «bientôt» signifie? En d’autres termes, combien d’années pouvons-nous honnêtement englober dans ce mot? Si vous me dites «A bientôt», je m’attends à vous revoir dans un délai raisonnable. Si nos retrouvailles n’auront lieu que dans une dizaine d’années, j’imagine que vous décrirez votre retour d’une manière différente, comme, par exemple: «Un jour ou l’autre, je viendrai te rendre visite».
Comprenez bien que je ne suis pas en train de remettre en question les promesses de la Bible concernant le retour de Jésus. Tous les chrétiens croient, d’une manière ou d’une autre, à une fin eschatologique de l’histoire, et c’est aussi notre cas. Ce que je suis en train de dire, c’est que le passage de presque deux siècles a réfuté la validité d’un second avènement qui devrait se produire bientôt selon le calendrier eschatologique des adventistes du septième jour. Cent soixante-quinze années dépassent largement notre conception de ce que le terme bientôt signifie – et il ne s’agit-là que de la prédiction des millérites. Les eschatologies du temps de Jésus et des apôtres – qui déclaraient, comme les millérites, que les évènements de la fin du monde se produiraient à leur époque – remontent jusqu’à 2.000 ans.
Vous pouvez dire que le retour de Jésus est plus proche maintenant que de par le passé, mais vous ne pouvez plus dire que le Christ va revenir bientôt, à moins que vous ne vouliez simplement dire qu’il va revenir un jour ou l’autre.
La fin de notre mythe
Pour citer la poète Anne Carson, nous avons vécu plus longtemps que la fin de notre mythe. Et ce qui nous pose problème maintenant, ce n’est pas l’espérance que nous avons de voir Jésus revenir un jour ou l’autre mais la formulation spécifique de cette histoire, c’est-à-dire: selon un calendrier décrit dans la littérature adventiste, cet évènement va se produire dans un court délai, et il va voir l’apparition d’ennemis et d’incidents spécifiques.
Je suis reconnaissant qu’un bon nombre des aspects toxiques de ce scénario se soient fanés comme un tee-shirt d’Aerosmith oublié au soleil. On n’enseigne plus la fin secrète du temps de probation. On n’entend plus que rarement l’idée, non-biblique, qu’il nous faut devenir parfaits afin de pouvoir, la fin venue, nous tenir debout sans l’aide d’un médiateur. Quant au jugement investigatif, il a été réinterprété si souvent que nos pionniers le reconnaîtraient à peine.
Nous continuons cependant à proclamer que Jésus va revenir d’un jour à l’autre, et pour préserver ce mythe, nous actualisons sans cesse notre scénario dramatique dont la distribution a inclus des papes, des présidents, des premiers ministres et des protestants «apostats». L’intrigue évolue sans cesse. Pendant près d’un siècle, la Turquie avait le premier rôle. L’ancienne Union soviétique a, pendant un temps, reçu le titre de roi du nord. L’un des acteurs le plus mémorable de ma génération était un président catholique; même un président baptiste né de nouveau a fait une brève apparition. Pendant un temps, nous avons recruté la droite religieuse pour tenir le rôle de notre ennemi – même si maintenant de nombreux adventistes en Amérique du nord aiment profondément la droite religieuse; et ce sont maintenant ceux qui vous demandent de faire des gâteaux pour un mariage homosexuel qui menacent notre liberté religieuse.
Le pape est toujours là, en arrière-plan, sur le point de faire ce que nous imaginons qu’il va faire. Le sabbat, cet ultime test de notre fidélité, est une constante, et la persécution de ceux qui gardent le sabbat semble toujours hors d’atteinte – on en parle, mais elle demeure dans le futur.
Peu importe que le pape ait fait peu de choses qui soient vraiment effrayantes. Peu importe que la liberté religieuse soit probablement meilleure de nos jours que dans le passé. (Bien sûr, il y a des exceptions, mais rejetons l’idée que les adventistes sont persécutés chaque fois que quelqu’un n’obtient pas son sabbat.) Il n’y a aucune évidence d’une loi du dimanche ou d’une persécution qui s’attaquerait spécifiquement à ceux qui tiennent leur culte le jour du sabbat.
En feuilletant d’anciens livres adventistes, nous découvrons de charmantes peintures et gravures représentant les «inventions modernes» en train de réaliser les prophéties (Daniel 12.4). Cependant, aujourd’hui, bon nombre de ces inventions ne sont non seulement plus modernes, elles sont obsolètes: le moteur à vapeur, les dirigeables, les calèches tirées par des chevaux. Dans les années 60, ces images ont été actualisées, et elles représentaient des fusées de science-fiction aux formes arrondies, des satellites de style spoutnik, des machines informatiques aux lumières clignotantes et des hommes en blouses blanches tenant à la main des éprouvettes. Bien qu’intéressantes, ces illustrations prouvent maintenant exactement le contraire de ce qu’on souhaitait à l’époque.
Le poète russe Vladislav Khodasevich a écrit que les membres d’un mouvement littéraire et artistique appelés les symbolistes «étaient constamment en train de poser pour eux-mêmes – jouant le rôle de leurs vies comme s’ils étaient sur la scène d’un théâtre d’improvisation enfiévrée.» (Vladislav Khodasevich, Necropolis [1939], traduit en anglais par Sarah Vitali [2019], p. 8.) Les adventistes ont cela (et peu d’autres choses) en commun avec les symbolistes: de manière à garder nos enseignements pertinents, nous devons continuer d’improviser un drame enfiévré dont nous sommes les personnages centraux. A moins que nous ne flirtions avec les théories de complot, une bonne partie de l’eschatologie adventiste s’efface peu à peu comme des dessins à la craie après une pluie d’été.
Explications et accusations
Jésus n’est pas encore revenu, et l’une des explications que nous donnons, c’est que Dieu n’a pas la même notion du temps que les humains. «Mille ans sont à tes yeux comme la journée d’hier» (Psaume 90.4) est une vérité incontestable. Mais nous n’avons jamais enseigné que lorsque nous disons que le retour de Jésus est pour «bientôt», nous nous plaçons sur l’échelle divine. Ma famille est adventiste depuis plusieurs générations, et on a enseigné à chacun d’entre nous que Jésus allait revenir de notre vivant. Cette explication ne s’accorde donc pas avec notre enseignement.
D’autres fois, nous disons: «Mon maître diffère son retour» (Luc 12.45, traduction littérale de l’anglais, KJV). Le verbe «diffère» transmet l’idée que Jésus veut revenir mais que nous l’en empêchons. Beaucoup d’entre nous ont reçu l’enseignement que Matthieu 24.14 était une affirmation de cause à effet: Jésus ne reviendra que lorsque le message adventiste aura été prêché à toute nation, toute tribu, toute langue et tout peuple (Apocalypse 14.6). En cela, nous avons échoué, malgré les technologies qui améliorent grandement notre capacité à atteindre toutes les âmes.
Mais l’idée la plus abusive spirituellement, c’est que Jésus n’est pas revenu parce que nous ne sommes pas assez bons. Ellen White a écrit: «Il n’entrait pas dans le dessein de Dieu que la venue du Christ fût ainsi retardée. … L’incrédulité, les murmures et la rébellion tinrent l’ancien Israël hors du pays de Canaan pendant quarante ans. Les mêmes péchés ont retardé l’entrée de l’Israël moderne dans la Canaan céleste. En aucun de ces cas Dieu ne s’est trouvé en faute.» (Ellen G. White, Messages choisis, livre 1 [1958], p. 67.) Certains ont même été jusqu’à dire que nous devons devenir parfaits pour que Jésus puisse revenir. La déclaration suivante d’Ellen White, «Lorsque son caractère sera parfaitement reproduit dans ses disciples, il reviendra pour les réclamer comme sa propriété» (Ellen G. White, Les paraboles de Jésus [1900], p. 48) a donné jour au mouvement de la théologie de dernière génération: des individus qui essaient de devenir parfaits dans le but de forcer le retour de Jésus. (Je crois que des milliers de personnes qui essaient en vain de devenir parfaites tout en cherchant à dissimuler les preuves du contraire, c’est la recette parfaite pour voir se développer une hypocrisie abusive, comme les défenseurs (tel Samuel Pipim) de la théologie de dernière génération en sont la preuve.)
En fin de compte, ce que certains en viennent à dire, c’est que Jésus pourrait retourner pour mettre fin aux maltraitances sur enfant, aux destructions nucléaires, à la torture et à Ebola – et c’est ce qu’il veut probablement faire – mais il ne peut pas parce qu’une petite dénomination d’environ 20 millions de personnes n’ont pas encore fui dans les campagnes, éliminé toutes traces de produits laitiers dans leurs régimes et perfectionné la manière dont ils gardent le sabbat.
A de telles objections, on entendra répondre: «Dans les derniers jours il viendra des moqueurs pleins de moqueries … et [ils] diront: ‘Où est la promesse de son avènement? Car, depuis que les pères se sont endormis dans la mort, tout demeure comme depuis le commencement de la création’» (2 Pierre 3.3-4, NBS).
La psychologie de la déception
Où se trouve donc la grâce dans cette doctrine? Et le pardon? Qu’en est-il de l’assurance du salut? Notre message a créé génération après génération d’adventistes du septième jour qui ont pensé avoir échoué. Nous sommes encore ceux qui sont déçus, ceux qui sont laissés-pour-compte.
Je connais une jeune femme dont le père a quitté sa famille pour partir vivre à l’étranger. Elle était très proche de son père, et il lui a promis qu’il reviendrait souvent lui rendre visite. Elle attendait ses lettres avec impatience, et dans chacune d’elles, il promettait: «On va se revoir bientôt.»
Finalement, de façon inévitable, elle a compris que son père lui mentait, ou qu’il n’avait pas la possibilité de tenir ses promesses. Elle ne l’a revu que des années après, alors qu’elle avait elle-même des enfants. Elle était d’ailleurs en train d’essayer de faire face aux problèmes psychologiques typiques d’une enfant qui a vécu un tel traumatisme – et elle en parlait souvent avec sa thérapeute. Au moment de leurs retrouvailles, elle avait compris depuis longtemps que Papa n’allait pas être celui qui rendrait sa vie complète, et cette rencontre n’a pas été, comme elle s’y attendait, satisfaisante.
Les adventistes ont été déçus en 1844, et ils sont encore déçus. Nous avons accueilli le sabbat comme quelque chose que Dieu voulait de nous afin que nous soyons prêts pour son retour; il en va de même des enseignements sur le reste, sur la voix prophétique d’Ellen White, sur la santé et l’apparence physique. Néanmoins, pendant près de deux siècles, les adventistes ont été déçus en ce qui concerne leur espoir de voir Jésus revenir.
Pour un petit nombre, notre eschatologie détaillée est encore profondément motivante. Malheureusement, le résultat final, c’est que bon nombre d’entre nous n’ont pas mûri spirituellement et ne comprennent toujours pas les implications profondes de l’amour, de la grâce et du pardon. L’obsession avec la nourriture, les vêtements, les règles à suivre le sabbat, l’exceptionnalisme de notre dénomination et Ellen White ressemble plus à de la superstition qu’à une foi vibrante. (A suivre…)
Le Dr Loren Seibold est le rédacteur en chef du magazine et du site Web Adventist Today. Cet essai a été publié pour la première fois en Automne 2019 dans le magazine Adventist Today.