Il est temps de renverser les tables
par Admiral Ncube | 2 avril 2024 |
Il y a quelques jours, un directeur de la Division de l’Afrique australe et de l’océan Indien (SID) a innocemment publié sur sa page Facebook des photos de sa famille lors d’un sommet des dirigeants organisé par l’église sur un bateau de croisière en Afrique du Sud. Il s’agissait d’une réunion de travail d’une semaine arrangée pour certains employés de l’église (dirigeants haut-placés de l’union et des fédérations de la SID) qui ont été autorisés, à leur tour, à inviter leurs familles à les accompagner pour cette croisière 5 étoiles payée par la dîme et les offrandes des membres. Sans être obsédé par vouloir connaître le coût exact du voyage, découvrir des ouvriers de l’église et leurs familles sur un bateau de croisière, tous frais payés, a suscité un tollé sur les réseaux sociaux.
Il ne s’agit pas ici de reprocher à un chef de division quelconque d’avoir apprécié ce qui était un évènement organisé par son entreprise. Il est, avec d’autres, le bénéficiaire d’un système qui fonctionne comme la chenille arpenteuse d’automne – égoïstement cannibale et parasitaire – dans une région où la pauvreté reste élevée.
Il s’agit d’une récrimination concernant le fait que l’église a payé pour ce qui semble être des vacances en famille déguisées en rencontre de dirigeants. Lorsque la nouvelle s’est répandue, plutôt que de prendre le temps de clarifier ou de répondre à leurs membres, les dirigeants de l’église ont déclaré que cela s’était déjà fait, et ils ont cessé de communiquer.
Les protestations étaient l’expression compréhensible d’un mécontentement envers les dirigeants de l’église qui se sont prélassés dans un océan de pauvreté et de souffrance. C’est une image terrible, déplaisante et insensible.
Mettons cela en contexte
L’Afrique est une région où la plupart des membres sont confrontés à la pauvreté, à de maigres revenus et au chômage, mais ils continuent cependant à donner dîmes et offrandes à l’église qu’ils aiment.
Ici, les membres sont inondés d’appels à donner alors que les dirigeants osent ignorer leur responsabilité comme si c’était le mandat que Dieu leur avait donné de gaspiller.
Il s’agit d’une région où les membres se réunissent dans des églises délabrées, où les institutions de l’église sont mal équipées et où les pasteurs sont sous-payés.
C’est une région où bon nombre des institutions laissées par les missionnaires restent sous-développées.
Ici, en Afrique, un pasteur supervise souvent huit églises ou plus, parcourant de longues distances à vélo.
Nos dirigeants préfèrent voir les fonds canalisés vers des investissements douteux et des actifs redondants plutôt que de supporter le développement de ceux qui les soutiennent.
Un problème systémique
Il s’agit d’un problème systémique: les dirigeants du continent africain se sentent à l’abri de toute responsabilité parce qu’ils «travaillent pour Dieu». On demande aux membres de «donner même si cela fait mal» et de laisser Dieu s’occuper de la fraude et des abus, ce qui ne fait qu’alimenter l’opacité dans laquelle les fonds sont gérés.
Il n’est pas étonnant que personne ne voie de problème lorsqu’un président de la Conférence générale voyage à bord d’avions affrétés privés ou se rend dans des communautés rurales pauvres escorté par un entourage considérable – le tout, payé par les offrandes sacrificielles des membres dont la plupart ont du mal à joindre les deux bouts.
A une époque où la lassitude envers la dîme et la méfiance envers les dirigeants augmentent, nous avons des membres instruits qui exigent des réponses et demandent des dirigeants responsables. Ils voient comment les institutions laïques prêtent attention à l’efficience et à l’optimisation des ressources. Il est décourageant de voir ces principes bafoués par l’église qui prétend être la lumière du monde.
Bien sûr, la politique et les pratiques actuelles exonèrent les divisions du contrôle direct des membres ordinaires – mais cela ne fonctionne plus. Nous avons une génération de membres très instruits. Là où ils travaillent, ils sont exposés à des normes de responsabilité élevées, et ils exigent la même chose de l’église qu’ils aiment. Le mantra «donnez, même si cela fait mal», répété aux membres lors de séminaires sur l’intendance, ne fonctionne plus. Lorsque nous voyons les principes d’optimisation des ressources ignorés par l’église, une gestion fondée sur la culpabilité est répugnante.
Ce dont de nombreux dirigeants sur le continent africain ne semblent pas se rendre compte, c’est que nous avons désormais une génération qui aborde la religion de manière différente. Cette génération est répugnée par des dirigeants qui s’intéressent plus que tout à protéger l’image de l’église – aux dépens de ceux qui en font partie. Cette génération voit la duplicité, les doubles standards et l’hypocrisie; ce qui l’amène à se méfier encore davantage. Utiliser la culpabilité et la peur pour la rendre docile, clairement, ne fonctionnera pas.
Ces fonds, durement gagnés, exigent une responsabilité solide de la part des institutions qui les reçoivent. Nos dirigeants et nos structures, se cachant derrière des pratiques obsolètes ou des processus compromis du COMEX, alimentent le désengagement, la suspicion et la méfiance à l’égard de l’autorité de l’église et des processus institutionnels.
Le temps est arrivé pour qu’une bonne gestion soit une voie à double sens. Comme l’exprime un proverbe africain pertinent:
«Un arbre qui refuse de danser sera amené à le faire par le vent.»
Leaders, vous devez écouter, vous engager et montrer que vous êtes tenus de mettre en pratique ce que vous enseignez. Vous ne pouvez pas organiser le «mois de l’intendance» pendant que les champions mêmes de l’intendance enfreignent ses principes. A une époque où nous, l’église africaine, avons besoin de ressources pour nous développer et mieux répondre aux besoins de notre jeune population, nous avons toujours un système dysfonctionnel que personne ne veut changer parce qu’il sert les intérêts cupides de ceux qui sont en haut de l’échelle.
Renverser les tables
Il faut renverser les tables sur le continent africain pour démanteler les attitudes du «tout m’est dû» et le mépris aveugle de la responsabilité personnelle.
Il faut renverser les tables pour dénoncer l’hypocrisie qui accompagne nos messages sur une bonne intendance.
Il faut renverser les tables pour que la gestion devienne la responsabilité de tous, caractérisée par la transparence et par une réactivité immédiate de la part de nos dirigeants.
Il faut renverser les tables pour que les fonds cachés dans des investissements offshore obscurs soit débloqués et servent à développer les institutions adventistes sur le continent.
Presque partout, la dîme représente la plus grande source de revenus pour l’église, laissant les communautés adventistes locales survivre avec de maigres offrandes – dont 50% sont également remis à la fédération! Une discussion franche sur la politique de l’église en ce qui concerne la dîme est nécessaire car elle permet aux fédérations, unions et divisions la flexibilité de payer pour quoi que ce soit tout en refusant le même privilège aux propriétés de l’église qu’elles possèdent.
Alors que nous nous préparons en vue de la session de la Conférence générale de 2025, voici le défi: finissons-en avec les slogans vides, finissons-en avec l’obsession de dénicher des menaces théologiques, finissons-en avec les heures et les heures passées à éditer des sections du manuel d’église, finissons-en avec l’obsession du résultat des élections. Au lieu de cela, engageons-nous dans une discussion approfondie sur l’état des institutions adventistes sur le continent africain, y compris sur la structure et l’avenir de l’église.
Responsabilité
Les dirigeants africains doivent s’approprier la responsabilité de faire fonctionner l’église pour leur peuple plutôt que d’attendre que l’initiative soit prise par une personne éloignée de leur contexte qui leur dira quoi faire. Il me semble que la plus grande menace pour la mission adventiste ne soit pas la bête d’Apocalypse 13 mais les processus et les attitudes employés pour éloigner ceux qui dénoncent ces problèmes plutôt que les problèmes eux-mêmes. Le moment est venu pour l’administration de Ted Wilson d’aller au-delà des slogans missionnaires et de défendre l’efficacité de l’organisation.
La discussion déstabilisera sans aucun doute les ayants droit. Mais même si les responsables ne sont pas motivés à changer, l’apathie n’est pas une option pour les membres. Rappelons-nous que l’église appartient à tous!
Admiral Ncube (PhD) est originaire du Zimbabwe. Il est analyste du développement et réside au Botswana. Il est l’époux de Margret et le père de trois enfants. La version anglaise de cet article est parue le 22 mars 2024 sur le site d’AdventistToday.
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