Une église peut-elle voler un homme?
par Admiral Ncube | 20 février 2023
D’après les réactions apparues sur les réseaux sociaux et les témoignages de nombreuses églises, la troisième leçon de l’école du sabbat des adultes a créé plus de controverses que de convictions. Intitulée, «Le contrat de la dîme», elle tentait d’affirmer l’importance et la validité de la dîme dans la vie du chrétien.
Prévoyant déjà la polémique, une émission spéciale avait été diffusée le 14 janvier sur Hope Channel Zambie où certaines personnes de la Division de l’Afrique Australe et de l’Océan Indien y avaient commenté la leçon. Puis, cette initiative a été suivie le 19 janvier par une lettre, vaguement adressée aux «dirigeants» et provenant du directeur du département de l’intendance de la division de l’Afrique Australe et de l’Océan Indien, qui visait à contester certains points de la leçon. De plus, lors de sa récente visite en Zambie, le président de la Conférence générale, Ted Wilson, aurait mis à part du temps pour répondre aux questions que les membres auraient sur la dîme – une décision qui, en soi, soulève des questions.
Sans entrer dans un débat théologique sur la dîme ou faire la critique de la leçon, il serait important que les dirigeants prêtent attention aux questions sous-jacentes et aux vraies raisons qui ont provoqué ces réactions parmi les membres. Comme le dit si bien un proverbe africain,
«Quand un crapaud saute en plein jour, il a vu quelque chose.»
Dans cette partie du monde où l’adventisme bénéficie d’un large public, ce mécontentement au sujet de la dîme ne peut pas être ignoré car il met en évidence un certain nombre de questions que les membres se posent mais auxquelles l’église ne répond pas. A une époque où nous avons investi dans de nouveaux séminaires et de nouvelles documentations sur le sujet de l’intendance, cette réaction négative envers la leçon est révélatrice.
Nous percevons notre église comme issue de la Bible – dont l’existence même est biblique – et nous avons tendance à considérer nos systèmes, nos attitudes, nos processus et même nos règlements comme bibliques. Nous sommes par conséquent hésitants à remettre en question certains aspects du fonctionnement de notre église et avons tendance à l’interpréter comme une attaque contre Dieu, ce qui serait idolâtre.
Emergeant de cette controverse, apparaissent des questions que cet article cherche à mettre en évidence. Je laisse aux théologiens le soin de débattre la validité biblique de la dîme, mais ce qui fait surface, ce sont toujours plus de questions qui, tout en contenant des difficultés théologiques, devraient éclairer la façon dont l’église considère l’intendance dans un monde fatigué d’être motivé par la culpabilité.
Dialoguer avec le prophète
Chaque fois que des questions émergent sur la règlementation concernant l’utilisation de la dîme, certains s’empressent de citer Ellen White – dont les déclarations sont réitérées dans le Manuel d’église et présentées comme des exigences non négociables. Ces citations sont utilisées pour empêcher que la dîme serve à d’autres fins, ainsi que pour étouffer le mécontentement occasionné par une mauvaise utilisation ou une mauvaise gestion de celle-ci. Il semble que, pour certains, notre règlementation sur l’utilisation de la dîme soit aussi immuable que le décalogue.
Mais la question souvent ignorée, c’est le contexte dans lequel Ellen White a donné des instructions sur la façon dont la dîme devait être utilisée. Quel était l’état des finances, de la mission et des besoins de l’église qui l’aurait incitée à mettre la dîme de côté? Dans quelle mesure ses circonstances spécifiques ont-elles influencé sa position?
La question n’est pas de savoir ce qu’Ellen White voulait ou ne voulait pas dire, mais ce qui nous concerne, c’est la façon dont nous dialoguons avec elle comme nous le faisons avec d’autres prophètes de la Bible. Considérer ses conseils comme plus irrévocables dans leur application que la Bible elle-même est un comportement irresponsable, surtout quand, à un moment donné, elle a elle-même fait face à certains de ses lecteurs qui adoptaient une attitude inflexible face à ses écrits et cherchaient à suivre son message à la lettre tout en passant à côté des principes sous-jacents. Dans le troisième volume de Selected Messages, p. 214, elle écrit à ses interprètes rigides:
Mon esprit a été très agité en considérant certains qui déclarent: «Eh bien, sœur White a dit ceci et cela, et sœur White a dit ceci et cela; par conséquent, nous allons droit au but.»
Elle a ensuite ajouté:
Dieu veut que nous ayons tous du bon sens, et il veut que réfléchissions en utilisant notre bon sens. Les circonstances modifient les conditions. Les circonstances changent notre relation aux choses.
Le problème s’aggrave lorsque, au cours d’une étude biblique, une «grenade Ellen White» est lancée pour clore la discussion. Ses écrits sont utilisés pour faire taire de façon définitive toutes les questions qui pourraient émerger.
Pour une génération dont le rapport à la religion est différent de celui de nous autres qui sommes plus âgés, rien ne pourrait être plus malhonnête. Quelles que soient les citations lancées à la face des autres pour mettre un terme à toute discussion, serait-ce la raison pour laquelle elle se désengage peu à peu?
Où se trouvent les fonds?
Des rapports présentés lors de sessions précédentes de la Conférence générale révèlent que l’église utilise entre 30 et 36% des fonds de la dîme pour des dépenses de fonctionnement, en plus des projets d’évangélisation et des frais du personnel administratif.
On pourrait se demander: pourquoi ne pas utiliser cette même dîme pour des coûts de fonctionnement similaires au niveau de l’église locale? Il s’agit en effet des mêmes bâtiments dont les conférences (ou fédérations) sont les propriétaires légaux et que les membres ont contribué à construire. Au cœur de ce débat se trouve la question suivante: pourquoi l’église locale ne peut-elle pas être la gardienne des fonds? S’il ne s’agit que d’une question de règlementation, admettons-le clairement plutôt que d’argumenter à partir d’un contexte théologique erroné.
Il y a eu des cas où des églises se sont endettées et luttaient pour garder la tête hors de l’eau tout en donnant à la conférence (ou fédération) toutes les dîmes et 50% des offrandes collectées. Cela ressemble à un comportement cannibale, surtout à une époque où beaucoup essaient encore de se remettre des effets dévastateurs de la pandémie. Voilà pourquoi certains se sentent cannibalisés par le système qu’ils soutiennent.
Pourquoi les structures administratives de l’église ne peuvent-elles pas investir dans les circonscriptions qui les financent? La situation est aggravée par le manque de transparence sur l’état des réserves et sur l’utilisation de ces fonds.
Comment pouvons-nous faire de l’intendance une voie à double sens? Le membre fidèle du 21ème siècle ne peut pas être amadoué et amené à ne pas se soucier du mauvais usage ou de l’usage abusif de ses offrandes.
Donner jusqu’à ce que ça fasse mal
Dans ma partie du monde, les faibles revenus, la pauvreté générationnelle et le chômage continuent de faire des ravages. Beaucoup, avec le peu qu’ils ont, doivent faire face à de multiples besoins. La dîme est souvent utilisée comme un moyen de pression, un critère d’éligibilité pour l’élection à des postes dans l’église.
Les messages prônant une intendance fidèle continuent ici d’être motivés par la culpabilité plutôt que par l’amour. Les gens sont appelés des voleurs dans l’espoir qu’ils deviendront des donateurs généreux et joyeux. Le message semble suggérer que les pauvres et les enfants affamés devraient préférer mourir plutôt que de «manger l’argent du Seigneur», alors qu’en fait, le Seigneur les identifie à lui-même (Matthieu 25). On dit aux membres que donner la dîme engendrera des profits matériels et des bénédictions, et qu’ils doivent donc donner, même si cela fait mal.
Il y a quelques années, je me souviens avoir rencontré à l’église un homme qui avait faim. Alors qu’il me racontait son histoire, je me suis senti obligé de lui donner la dîme que j’avais mise de côté pour qu’il s’achète de la nourriture. Ce n’est que des années plus tard qu’on m’a informé que j’avais commis une erreur: la dîme ne peut pas être utilisée pour aider les pauvres. Chaque fois que je rencontrais cet homme, je me sentais mal à l’aise, car il me rappelait constamment la manière dont j’avais volé Dieu.
Pour beaucoup de gens qui ont du mal à joindre les deux bouts, c’est douloureux de voir des bien-aimés être dans le besoin tout en donnant à l’église une dîme fidèle. Alors que Dieu reçoit ses 10%, ils se demandent s’il est heureux de voir les gens souffrir. Est-ce que donner ou partager sa dîme avec les pauvres équivaut à voler Dieu?
Dans notre contexte, comment devrions-nous lire Malachie 3? Le message actuel semble insensible, et cela en dit long sur l’image de Dieu que nous avons créée. La situation devient scandaleuse pour ceux qui ont payé la dîme pendant des décennies mais pour qui les écluses des cieux restent fermées. Dans ces circonstances, comment le fait de donner sa dîme fidèlement procure-t-il de l’espoir? Devrait-elle être utilisée de cette manière?
Des progrès et non la perfection
Après la COVID-19, beaucoup ne se sont pas rétablis économiquement. Le coût de la vie a augmenté partout, comme en témoignent les troubles dans différentes régions du monde. Même si nous admettons que la dîme est valide, l’église doit faire preuve de plus de compassion envers les membres qui essaient d’équilibrer de multiples besoins financiers.
Nous devrions peut-être présenter les 10% comme un but à atteindre et aider les gens à y parvenir progressivement – puis célébrer les progrès au lieu de prêcher une politique du tout ou rien. Plutôt que de donner l’impression que l’adventiste est taxé par Dieu ou qu’il paie un abonnement, nous devrions chercher à encourager des dons joyeux.
Le don ne devrait pas non plus être présenté comme un moyen de manipuler Dieu pour qu’il nous bénisse. Il y a des moments où j’ai donné, et Dieu m’a béni, et il y a des moments où je n’ai pas donné, et Dieu m’a quand même béni. L’encouragement à donner devrait mettre l’accent sur un Dieu qui nous aide à développer un caractère similaire au sien plutôt que sur le besoin de le renflouer financièrement.
Les désaccords au sujet de la validité de la dîme continueront, mais le danger, c’est de pousser les membres dans leurs retranchements. Par exemple, dans de nombreux endroits, les offrandes constituent un très faible pourcentage si on les compare avec la dîme. Il semble que nous avons plus tendance à suivre les règles qu’à être généreux. Les adventistes ont besoin de tomber amoureux de Dieu et d’être attirés par la beauté de son caractère afin que la générosité devienne une impulsion naturelle.
Lorsque nous mettons l’accent sur les pourcentages dus à Dieu, nous créons un Dieu de pourcentages. Notre attitude envers lui sera aussi en pourcentages, et nous penserons que notre conformité aux pourcentages requis sera la preuve de notre conversion.
Ce qui est en jeu
Bien sûr, l’église et les missions doivent être financées. La question n’est pas non plus de savoir si oui ou non Dieu nous a donné tout ce que nous avons. Même le débat autour «du brut et du net» n’a pas besoin d’émerger.
Au lieu de cela, permettons à Dieu de parler à ses enfants. Toute personne ou institution qui cherche à nous contrôler en utilisant nos peurs ou nos désirs est pernicieuse. Comme au temps de la réforme du Moyen Age, il est important de ne pas utiliser la culpabilité pour imposer aux gens des devoirs. Cela donne au légalisme le pouvoir sur le peuple et crée une version du christianisme qui se fait passer pour biblique mais qui est en fait narcissique, basée sur la peur, poussée par la honte, grâce-phobique et pro-contrôle.
Le danger, c’est de créer des légalistes dont nous contrôlons la conscience. Mais nous savons que le légalisme n’est pas durable, donc, si les gens ne sont pas libérés, avec le temps, ils protesteront inévitablement, ou bien ils se désengageront d’un environnement qui emploie la culpabilité pour mieux les contrôler.
Le cœur de l’évangile, c’est la liberté, la créativité et l’affirmation de l’individualité en Christ, alors que le légalisme tend vers le contrôle, l’uniformité et la négation de l’individualité. Dans toute relation, et en particulier en matière de foi, tout ce qui frôle le contrôle de la conscience, c’est Babylone.
Ainsi, après avoir fait, avec les Ecritures, toute la gymnastique théologique nécessaire pour créer des obligations sur des questions telles que la dîme, il est essentiel de lâcher prise et de laisser Dieu faire son travail dans le cœur de son peuple.
Admiral Ncube (PhD) est originaire du Zimbabwe. Il est analyste du développement et réside au Botswana. Il est l’époux de Margret et le père de trois enfants. La version anglaise de cet article est parue le 2 février 2023 sur le site d’AdventistToday.