“Te mentirais-je?”: Les limites de la vérité
par Norman H. Young | 4 août 2023 |
Le titre de cet essai est aussi celui d’un jeu télévisé britannique au cours duquel s’affrontent deux équipes de trois membres chacune. Un membre de la première équipe raconte une anecdote vécue particulièrement bizarre, et les membres de la deuxième équipe l’interrogent dans le but d’établir ou non sa véracité.
Les histoires sont délibérément racontées de façon trompeuse et rusée. Par exemple, un membre de la première équipe explique qu’un jour, lui et un ami ont été coincés dans sa voiture, pendant trois heures, dans une station de lavage de voiture automatique en marche. La deuxième équipe a eu des difficultés à établir s’il disait ou non la vérité. (L’histoire s’est avérée vraie, et il a quitté la station de lavage avec des vitres particulièrement propres.)
La définition du mot mensonge que l’on trouve habituellement dans un dictionnaire est la suivante: «affirmation délibérée contraire à la vérité». Pour certains, cette définition inclut les récits imaginaires telles que les œuvres littéraires du Monde de Narnia de C. S. Lewis ou d’Harry Potter de J. K.Rowling – en fait, tout travail de fiction est rejeté, nous privant ainsi de profondes expressions de la vérité.
Cependant, il est difficile de qualifier les fictions de mensonges. Nous savons tous que les fictions sont des histoires inventées. Même Jésus les utilisait pour attirer l’attention sur un point important – voir l’histoire de l’homme riche et de Lazare dans Luc 16.19-31.
Pourquoi les gens mentent-ils ?
Les mensonges sont endémiques dans nos cultures, nos commerces, nos gouvernements – et même nos églises.
On ment parce que cela nous aide à prospérer ou à obtenir des avantages. Les mensonges nous aident aussi à éviter des conséquences indésirables. Par exemple, devant un tribunal, on ment pour échapper à une conviction. Les représentants de l’organe législatif mentent pour acquérir un avantage politique ou échapper à leurs responsabilités.
Même le meilleur d’entre nous court le risque de ne pas être totalement candide quant à la condition de la voiture qu’il a à vendre.
La Bible est très claire en ce qui concerne l’attitude divine envers le mensonge: «Vous ne commettrez pas de vol et vous ne recourrez ni au mensonge ni à la tromperie les uns envers les autres. Vous ne jurerez pas faussement par mon nom, car ce serait déshonorer le nom de ton Dieu.» (Lv 19.11,12; italiques ajoutés). Paul fait écho à ce verset lorsqu’il exhorte les destinataires de ses lettres à ne pas se mentir les uns aux autres (Col 3.9; Ep 4.25). Le sérieux de la condamnation divine en ce qui concerne le mensonge est révélé le plus clairement dans le neuvième commandement, «Tu ne porteras pas de faux témoignage contre ton prochain» (Ex 20.16; Dt 5.20), qui est répété plusieurs fois dans le Nouveau Testament (Mt 15.19; Mc 10.19; Lc 18.20; Ep 4.25).
L’auteur du livre des Proverbes l’exprime clairement: «Un témoin fidèle ne ment pas, tandis qu’un faux témoin dit des mensonges» (Pr 14.5). Le contraste révélé dans le conflit cosmique renforce cette distinction. Satan ne peut pas dire la vérité «parce qu’il n’y a pas de vérité en lui. Lorsqu’il profère le mensonge, il parle de son propre fond, car il est menteur et le père du mensonge» (Jn 8.44). Par contre, Dieu ne ment jamais: «… afin qu’ils aient l’espérance de la vie éternelle. Le Dieu qui ne ment pas l’avait promise avant tous les temps» (Tt 1.2); en fait, «il est impossible que Dieu mente» (Hé 6.18).
Dieu est lumière, et en lui, il n’y a pas de ténèbres (1 Jn 1.5; cf. aussi Jc 1.17). Voici donc le choix auquel nous sommes tous confrontés: vivre dans la lumière ou dans les ténèbres, dans la vérité ou dans le mensonge. «Si nous disons que nous sommes en communion avec lui tout en marchant dans les ténèbres, nous mentons et nous ne mettons pas la vérité en pratique» (1 Jn 1.6).
Toute la vérité?
Est-ce toujours aussi simple? Souvent, c’est le cas. Mais il y a des situations où les choses se compliquent. Paul encourage vivement les Ephésiens à mûrir et à ne plus être dupés «par la ruse des hommes et leur habileté dans les manœuvres d’égarement. Mais en disant la vérité dans l’amour, nous grandirons à tout point de vue vers celui qui est la tête, Christ» (Ep 4.14-15; italiques ajoutés).
Ainsi, même lorsqu’on dit la vérité, on a besoin de la puissance régulatrice de l’amour. Peut-être avez-vous déjà entendu quelqu’un dire quelque chose de cruel en ajoutant ensuite: «Mais, je ne fais que dire la vérité!» Si on dit la «vérité» au sujet des erreurs passées de quelqu’un, notre motivation peut s’avérer plutôt malveillante et certainement dépourvue d’amour.
Ainsi, exposer les fautes d’autrui, que ce soit en public ou en privé, peut être motivé par la jalousie plutôt que l’amour. Un pasteur expérimenté a un jour partagé avec moi son test pour décider quand parler et quand se taire: avant d’ouvrir la bouche, il se demande toujours si ce qu’il souhaite exprimer est, premièrement, vrai, deuxièmement, utile, et troisièmement, bienveillant (Ep 4.32; Col 3.12-13).
Mentir est-il toujours une mauvaise chose?
Les mensonges sont-ils toujours et dans toutes les circonstances une mauvaise chose, ou bien peuvent-ils être, eux aussi, motivés par l’amour du Christ? Considérez les cas suivants.
Un homme saoul et violent confronte son beau-frère et lui demande où se trouve sa sœur, c’est-à-dire son épouse. Celui-ci sait où sa sœur se cache, et il sait que son mari, s’il la trouve, la frappera violemment et la tuera peut-être. Doit-il révéler l’endroit où elle se cache? Ne rien répondre? Mentir?
Une mère, en phase terminale, fait promettre à son fils qu’après sa mort il place tout son argent avec elle, dans son cercueil. Il sait que s’il refuse, elle demandera à un autre membre de la famille d’accomplir sa volonté, aussi, il donne sa parole. Après sa mort, pas un centime n’est enterré avec elle; par contre, son fils distribue toute sa fortune aux pauvres. A-t-il mal fait?
Un mensonge qui bénéficie le menteur est, par nature, égocentrique. Cet individu ne se préoccupe en rien de ses victimes, et si celles-ci se trouvent totalement dépourvues à la suite de ses fraudes, cela lui importe peu. Les menteurs de ce type ne font preuve d’aucun remords envers ceux qu’ils trompent. Et s’ils cherchent à être pardonnés, c’est pour placer le fardeau sur l’autre plutôt que sur eux-mêmes. Chercher à inspirer de la pitié, c’est aussi tromper. Un bien mal acquis restera toujours un bien mal acquis.
Cependant, le mensonge n’est pas seulement l’outil du voleur égocentrique. Considérez maintenant cette histoire, telle qu’elle est racontée dans le film Return to the Hiding Place. Elle nous parle d’une famille chrétienne bien connue qui a caché des juifs dans leur maison d’Amsterdam pendant l’occupation nazie.
Des raisons de mentir
Des soldats allemands viennent de quitter la petite horlogerie de Casper ten Boom. Après leur départ, la famille se rassemble dans une petite chambre à l’étage, et Betsie déclare au groupe qu’elle est contente de ne pas avoir été présente pendant la visite des Allemands: en effet, elle ne sait pas comment elle aurait répondu à leurs questions, parce qu’elle n’aurait pas dit de mensonge.
Eusi (le surnom de Cantor Meyer Mossel, l’un des membres de la famille qui se cachait) se lève d’un bond et, avec émotion, il lui demande: «Tu veux dire que si tu avais été présente dans la boutique, tu aurais trahi tes amis juifs pour que ‘ta bouche ne soit pas souillée par un mensonge?’»
Pour se défendre, Betsie lui rappelle le neuvième commandement. A son tour, Eusi lui fait remarquer qu’ils sont en train de parler de vies humaines. Il déclare qu’il mentirait (9ème commandement), qu’il volerait (8ème commandement) et qu’il tuerait (6ème commandement) pour sauver les vies de ces juifs d’Amsterdam; certains d’entre eux, remplis de terreur, se sont suicidés plutôt que de vivre l’horreur d’être envoyés vers l’Allemagne nazie et ses camps.
Ensuite, Eusi pose à Betsie trois questions au sujet du mensonge:
- Rahab, l’arrière-grand-mère du Messie des chrétiens, n’a-t-elle pas menti pour sauver les espions Hébreux de l’arrestation et de la mort (Js 2.3-4)?
- La mère de Moïse n’a-t-elle pas menti aux Egyptiens au sujet de la naissance de son enfant pour lui sauver la vie (Ex 2.2-3), et Dieu n’a-t-il pas béni Moïse et sa famille?
- Les sage-femmes n’ont-elles pas menti au Pharaon en expliquant la survie des enfants hébreux de sexe masculin (Ex 1.15-19)? Et Dieu ne les a-t-il pas bénies pour cela (v. 20-21)?
«Prenez garde à la moralité sélective; elle a des conséquences dangereuses», avertit Eusi. La famille ten Boom admet qu’ils ont contrefait des documents et volé des cartes de rationnement et une radio à ondes courtes; tout cela, en cachette et contre la loi – la possession de ces biens est, en fait, mentir. «Comment rationnalisez-vous ces mensonges? demande Eusi. Tout ce que je vous demande, c’est que, quoi que vous fassiez, appliquez ces mêmes rationalisations pour sauver nos vies. Je dois entendre votre réponse à l’instant.»
Opa (Casper ten Boom) répond à l’appel fervent d’Eusi en ces termes: «Aujourd’hui, nous faisons le serment d’être telles Rahab et les sage-femmes. Que votre sort soit aussi notre sort.» Après avoir dit cela, il relève le col de son manteau pour révéler une étoile de David cousue sur le revers. Eusi, incrédule, s’exclame: «Tu portes ce symbole?» Opa hoche la tête. Eusi, sous le choc de l’émotion en constatant la compassion et le courage d’Opa, s’écroule dans son fauteuil, enfouit son visage entre ses bras, et sanglote, le cœur débordant de gratitude.
Plus tard, Casper ten Boom est envoyé dans une prison nazie où il mourra, dix jours plus tard.
C’est ce père de famille, plutôt que Betsie, qui a correctement évalué la situation, et c’est lui qui a mis en action l’amour de Dieu et du prochain en exhortant sa famille à dire «un beau mensonge» et à devenir un refuge à l’une des époques les plus sombres et les plus dangereuses de notre histoire.
Pour Jésus et pour Paul, il y a deux commandements qui orientent tous les autres: un amour absolu pour Dieu et un amour sans réserve pour l’autre, comme pour soi-même (Mt 22.37; Mc 12.29-31; Lc 10.27-37; Rm 13.8-10). Bien qu’ils ne justifient pas le mensonge en général, ces commandements fondamentaux jettent, sur la simple interdiction du 9ème commandement, une tout autre lumière.
Norman H. Young est un spécialiste du Nouveau Testament et un professeur à la retraite du centre universitaire d’Avondale College en Nouvelle-Galles du Sud, en Australie. La version de la Bible utilisée dans cette traduction est la Segond 21. La version anglaise de cet article est parue le 5 décembre 2022 sur le site d’Adventist Today.
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