Pourquoi les chrétiens ont-ils si souvent peur?
par Reinder Bruinsma | 15 mars 2024 |
Je n’ai pas facilement peur, mais je me souviens comme si c’était hier de circonstances où j’ai été parfois terrifié.
Au milieu des années 1980, je travaillais à Yaoundé, la capitale du Cameroun, à environ 250 kilomètres de la côte atlantique. J’étais directeur de la maison d’édition et de l’imprimerie adventiste pour la partie francophone de l’Afrique. Je dus un jour me rendre pour affaires à Douala, la ville portuaire située à 40 minutes de vol de Yaoundé. Après avoir terminé mes affaires, je suis retourné à l’aéroport mais j’ai manqué le dernier vol de la journée pour rentrer à Yaoundé.
N’ayant aucune envie de passer la nuit à l’hôtel, j’ai décidé de faire le trajet Douala-Yaoundé en taxi. J’ai négocié avec un chauffeur, lui offrant la moitié de ce qu’il demandait, finalement à sa grande satisfaction. Nous avons entamé un voyage d’environ quatre heures. Nous sommes rapidement sortis de la ville portuaire de Douala, pour entrer dans la jungle. Il faisait nuit noire.
De manière totalement inattendue, le chauffeur a réduit sa vitesse et a tourné dans un chemin forestier étroit et sombre.
«Ne vous inquiétez pas», me dit-il.
Mort de peur, je lui ai intimé l’ordre de faire marche arrière. Mais il continua pendant environ un kilomètre. Je ne savais pas quoi faire, convaincu que cela ne se terminerait pas bien.
En pleine brousse, apparut tout à coup une petite cabane. Le chauffeur s’arrêta. À l’intérieur, plusieurs barils d’essence. Le chauffeur remplit son réservoir et m’expliqua alors qu’un de ses oncles travaillait comme chauffeur de camion pour Shell. Il transportait des barils d’essence et de temps en temps, un baril tombait de son camion…
J’ai poussé un soupir de soulagement, mais je n’avais jamais eu aussi peur de ma vie.
Une autre fois, j’eus aussi très peur, mais pour une raison bien différente. On venait de me diagnostiquer un cancer de la prostate. Qu’est-ce que cela signifiait ? Quelles étaient les traitements disponibles?
Les deux fois, tout s’est bien terminé. Ce soir-là, je suis rentré entier à la maison après une longue route à travers la forêt. Après traitement et examens complémentaires, j’ai été déclaré «guéri» de mon cancer.
Les différents types de peur
Je pense que l’on peut dire sans risque que nous avons tous connu des expériences de peur. Il existe une longue liste de phobies qui peuvent rendre la vie très inconfortable. En tête de liste des phobies les plus fréquentes aux États-Unis figurent l’arachnophobie (peur des araignées) et l’ophidiophobie (peur des serpents). Ces types de peur sont suivis par l’aérophobie, la peur de l’avion. La claustrophobie (peur dans un espace clos), l’agoraphobie (peur des endroits bondés) et la mysophobie (peur des microbes) figurent également en bonne place sur la liste des phobies.
Si chacune de ces phobies peut être vécue comme un obstacle majeur, d’autres formes d’anxiété s’immiscent encore plus profondément dans l’âme humaine. L’œuvre expressionniste du peintre norvégien Edvard Munch intitulée le Cri exprime de manière perçante la peur de l’avenir chez d’innombrables hommes et femmes.
Peut-être y aura-t-il bientôt une nouvelle guerre mondiale, cette fois-ci avec des armes nucléaires ? Y aura-t-il suffisamment de nourriture et d’eau potable sur notre planète pour une population croissante ? Qu’en est-il de notre avenir personnel ? Nombreux sont ceux qui craignent pour leur propre bien-être physique, qui redoutent de perdre leur partenaire ou qui ont peur que leurs enfants ne fassent de mauvais choix. Les personnes âgées redoutent quand elles ne pourront plus conduire, ou craignent le début de la maladie d’Alzheimer et l’apparition de la démence.
Et, que nous le reconnaissions ou non, la plupart d’entre nous craignons la mort.
La foi et la peur
Par la voix prophétique d’Esaïe, Dieu a dit autrefois à son peuple:
N’aie pas peur, car je suis avec toi ; ne jette pas des regards inquiets, car je suis ton Dieu ; je te rends fort, je viens à ton secours, je te soutiens de ma main droite victorieuse» (Esaïe 41.10).
Ces paroles ne s’adressent pas seulement aux contemporains du prophète, mais aussi au peuple de Dieu à notre époque.
Tous les chrétiens – et plus précisément tous les croyants adventistes du septième jour – peuvent-ils répéter avec confiance les paroles du Psaume 56.12: «c’est en Dieu que j’ai mis ma confiance, je n’ai pas peur: que pourraient me faire des humains?» Malheureusement, ce n’est pas le cas.
La foi de nombreux chrétiens, voire de la plupart d’entre eux, est teintée de peur. Il ne devrait pas en être ainsi, car l’Évangile n’est pas un message apocalyptique, mais une «bonne nouvelle» (euaggelion). Il s’agit d’amour, de salut, de délivrance, de pardon, de liberté, de paix en Christ, et de vie éternelle. Jésus l’a souligné dans sa célèbre déclaration : «Que votre cœur ne se trouble pas. Mettez votre foi en Dieu, mettez aussi votre foi en moi» (Jean 14.1).
Jésus ne parlait pas de la peur de l’obscurité ou de la peur de prendre l’avion. Il ne parlait pas non plus de dépression nerveuse ou d’angoisses qui peuvent nécessiter l’aide d’un thérapeute. Jésus a réconforté ses disciples, qui craignaient que l’histoire du royaume ne se termine par un fiasco. Il parlait de choses pour lesquelles le théologien Paul Tillich a inventé l’expression préoccupation ultime.
Le jugement
J’ai eu un jour une conversation avec un médecin qui, pendant plusieurs années, avait exercé comme médecin de famille dans une petite ville de la Bible Belt néerlandaise. Au moins la moitié de la région où il travaillait est habitée par des chrétiens appartenant à des communautés calvinistes très conservatrices. La doctrine de la double prédestination est un aspect essentiel de leur foi. Ils sont convaincus que, de toute éternité, Dieu a déjà décidé qui ira au paradis et qui brûlera éternellement en enfer.
Ce médecin m’a dit qu’il n’était pas croyant, mais qu’il avait été très surpris de rencontrer autant de patients qui avaient peur de mourir. Il m’a demandé si ceux qui croient au message de la Bible ne devraient pas affronter la mort sans aucune crainte.
Beaucoup d’adventistes du septième jour vivent dans la peur du jugement. Ils ne craignent pas les flammes éternelles de l’enfer, puisque les adventistes ont très tôt accepté la doctrine de la seconde mort – l’annihilation. Mais notre enseignement sur le jugement a amené beaucoup de gens à douter qu’ils puissent un jour être sûrs de leur salut.
L’obsession de la perfection a mis en péril la vie spirituelle de trop de nos membres. Elle a emprisonné les croyants dans une cage de légalisme, avec la crainte constante que des péchés n’aient pas été pardonnés, des imperfections peut-être involontairement tolérées, et donc jamais confessées.
Dans le monde entier, des centaines de milliers de membres d’Église sont sous l’emprise néfaste de l’hérésie de la théologie de la dernière génération, qui les fait se demander s’ils sont dignes d’appartenir au petit reste qui parviendra finalement à entrer dans le royaume.
Le jugement investigatif
L’enseignement du jugement investigatif a tout particulièrement privé les croyants adventistes de la paix intérieure.
Après la « déception » de 1844, la doctrine a émergé selon laquelle, depuis cette date, un jugement préalable est en cours, au cours duquel « les livres » sont méticuleusement inspectés. Ce «jugement d’investigation» déterminera qui participera à la «première résurrection» lors de la seconde venue du Christ. Nombreux sont ceux qui se posent cette question angoissante: «Que va-t-il se passer lorsque mon sort sera considéré ? Notre juge céleste me donnera-t-il le feu vert et me déclarera-t-il juste»?
Ce sujet est régulièrement abordé dans les guides d’étude trimestriels de l’École du sabbat. Il est présenté comme une doctrine clé de l’adventisme. À leur décharge, les auteurs rappellent généralement aux lecteurs qu’avec Jésus-Christ comme grand prêtre et médiateur, il n’y a aucune raison de s’inquiéter.
Pourtant, dans de nombreux esprits, il subsiste une crainte profondément ancrée selon laquelle nous ne sommes jamais certains d’être assez bons. La doctrine du jugement investigatif fait toujours partie des croyances officielles de notre Église. Mais, malgré tous les efforts frénétiques des hautes sphères de l’Église pour la maintenir, il semble que le jugement investigatif perde du terrain et que peu de pasteurs prêchent aujourd’hui sur ce sujet! La conviction grandit que son fondement biblique est extrêmement mince.
Cet enseignement adventiste traditionnel va-t-il disparaître? L’histoire nous apprend que les dénominations ne sont pas facilement enclines à abandonner officiellement une doctrine particulière. Mais elles peuvent simplement cesser d’en parler – même si elle demeure dans les documents officiels. C’est le cas de la doctrine de la prédestination dans un certain nombre de dénominations réformées de mon pays La Hollande, et cela pourrait bien se produire dans notre Église en ce qui concerne le jugement investigatif.
Si c’est le cas, ce sera une délivrance pour beaucoup de personnes qui seront libérées d’une peur profondément ancrée en eux.
La fin
Les scénarios effrayants de la fin des temps, les interprétations historicistes de Daniel et de l’Apocalypse élaborées par nos pionniers – en particulier dans La Grande controverse d’Ellen White – sont peut-être une source de peur encore plus grande. L’accent incessant mis sur des sujets tels que le temps de détresse, les sept derniers fléaux, l’antéchrist papal, les lois du dimanche, la marque de la bête, le criblage, la fin du temps de grâce et Armageddon a, pour beaucoup, totalement éclipsé la «bienheureuse» espérance de «l’apparition glorieuse» de notre Seigneur Jésus-Christ (Tite 2.13).
Lorsque je jette un coup d’œil sur les publications des adventistes conservateurs sur Facebook, Il me semble que les calendriers compliqués, avec des lignes qui indiquent des périodes historiques entrecoupées de dates, sont aussi populaires aujourd’hui dans les cercles adventistes qu’ils ne l’étaient quand les pionniers ont développé leurs tableaux prophétiques.
S’exprimant dans le contexte de la période précédant son retour au sujet des événements terribles auxquels on peut s’attendre, Jésus a exhorté ses disciples à ne pas s’effrayer: «Ne vous effrayez pas» (Luc 21.9). Les événements des derniers jours provoqueront en effet une peur généralisée (et pas seulement chez les adventistes), mais cette peur doit faire place à la foi et à l’espérance: «Quand cela commencera d’arriver, redressez-vous et levez la tête, parce que votre rédemption approche» (Luc 21.28). Les paroles d’Esaïe semblent avoir été écrites au XXIe siècle:
Vous n’appellerez pas conspiration tout ce que le peuple appelle conspiration ; vous ne craindrez pas ce qu’il craint, vous ne le redouterez pas (Esaïe 8.12).
Il ne fait aucun doute que nous vivons des temps graves et que l’avenir de ce monde est menacé. Les croyants en Christ peuvent s’attendre à de grandes difficultés dans la phase finale de l’histoire de notre planète, avant qu’elle ne soit rachetée.
Mais toute inquiétude quant à ce qui pourrait arriver devrait être absorbée par l’assurance de notre Seigneur: «Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde» (Matthieu 28.20).
La confiance en Dieu
L’apôtre Paul a donné à Timothée un signal clair sur la manière de gérer la peur:
Ce n’est pas un esprit de peur que Dieu nous a donné, mais un esprit de force, d’amour et de maîtrise de soi (2 Timothée 1.7, TOB).
Rappelez-vous le témoignage puissant du psalmiste sur la manière dont nous pouvons trouver la force intérieure pour surmonter la peur : « c’est en Dieu que j’ai mis ma confiance, je n’ai pas peur : que pourraient me faire des humains ? » (Ps 56.11). La foi fondée sur la bonne nouvelle de l’Évangile refuse de céder à la peur.
L’Évangile est un message d’amour. L’amour a toujours le dernier mot:
Dieu est amour; celui qui demeure dans l’amour demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui. C’est en cela que l’amour est accompli parmi nous, pour que nous ayons de l’assurance au jour du jugement. . . Il n’y a pas de crainte dans l’amour, mais l’amour accompli bannit la crainte. (1 Jean 4.16-18).
Reinder Bruinsma vit aux Pays-Bas avec sa femme, Aafje. Sur trois continents, il a servi l’église adventiste dans divers domaines tels que l’édition, l’éducation et l’administration. Il a toujours un emploi du temps chargé et partage son temps entre la prédication, l’enseignement et l’écriture. La version anglaise de cet article est parue le 29 février sur le site d’Adventist Today. Cet essai a été traduit par Jean-Claude Verrecchia et est également publié sur son blog.