Plus de secrets seront révélés
par Shelley Curtis Weaver | 8 décembre 2023 |
Si vous n’avez pas visité le Nord-Ouest Pacifique et la gorge du Columbia, vous ratez une expérience unique. Je me le répète à chaque fois que j’y passe et traverse ces rivières qui ont intimidé les premiers explorateurs tels que Lewis et Clark.
Les vues sont impressionnantes. Les colonnes de basalte s’élèvent vers le ciel comme de sombres piliers de cathédrale. Des bandes de graminées dorées s’étendent vers les hauteurs. L’autoroute serpente entre ombre et lumière, et sur un tronçon droit, la pâle pyramide du mont Hood s’élève comme un cygne au-dessus de la rivière.
Ma classe de géologie disposait d’un laboratoire situé dans la gorge, ce qui était bien pratique. Nous étions à deux pas des gisements de basalte de la chaîne des Cascades et du fleuve Columbia. A bord d’un petit avion, nous avons volé à l’intérieur du cratère du mont Saint Helens et avons exploré des villes encore en train d’être exhumées quatre ans après son éruption.
Lors d’un autre voyage, nous avons analysé la teneur en minéraux des cailloux et des éclats de roche trouvés en bord de route. Des semi-remorques nous dépassaient, faisant voler nos vestes et trembler la camionnette de l’école pendant que nous étions accroupis, penchés sur des spécimens que nous oignions de produits chimiques à l’aide d’un compte-gouttes. Notre professeur nous faisait remarquer la jonction en colonnes des parois basaltiques de la gorge. Les formes des piliers inclinés ont été établies lorsque la lave des volcans de la chaîne des Cascades s’est refroidie. Nous avons également étudié l’altération sphéroïdale, lorsque certains minéraux des surfaces de basalte les plus anciennes et les plus exposées se désintègrent à des rythmes différents, leur donnant une forme ronde distincte.
Pendant que notre professeur partageait avec nous les recherches faites sur la durée de ce processus, je réfléchissais à l’imagination de la science. Ses théories et ses questions sont ancrées dans l’espoir que, si on cherche des réponses, on les trouve.
Foi et friction
Les chrétiens dénigrent parfois le monde scientifique en lui reprochant son manque de foi. «La foi est une démonstration des choses qu’on ne voit pas», citons-nous. Pourtant, la science insiste pour voir les choses et les tester.
Certains chrétiens en sont venus à considérer la tension entre nos traditions et la science comme une bataille nécessaire visant à protéger la foi. L’adventisme, né de la recherche de réponses, devrait être plus à l’aise avec la méthode scientifique – mais nous trébuchons sur la création. Notre aversion pour autre chose qu’une chronologie absolue de six mille ans pourrait-elle suggérer que nous avons perdu courage? Insistons-nous sur le fait que la Genèse est une description précise et littérale d’une création en six jours parce que notre foi est en réalité trop petite?
Si la Terre a vraiment des millions, voire des milliards d’années, cela affecte-t-il notre attente du prochain retour de Jésus? Cela annule-t-il le sabbat du septième jour? Certaines voix éminentes le disent.
Mais l’angle sous lequel voir les choses, ce n’est peut-être pas de dire: «soit ceci, soit cela; tout ou rien». Peut-être qu’il y a quelque chose de réconfortant, de résilient et même de fidèle dans la science et son hypothèse selon laquelle plus de secrets seront révélés.
L’identité adventiste fait peut-être partie du problème. Nous nous sommes toujours considérés comme la dernière génération héroïque. Certains ont fait de cet espoir une exclusivité, ce qui les a rendus craintifs et centrés sur eux-mêmes.
En tandem avec ce regard porté sur soi, il y a une raison sentimentale. Si l’histoire de la Terre et de l’humanité est plus longue que nous ne le pensions, il y a de fortes chances pour que nous ne soyons pas la génération qui verra Jésus revenir.
Je comprends ce sentiment de deuil. Je ressens moi-même de la tristesse en écrivant cette phrase. Tout au long de mon enfance (même si j’ai été aussi parfois traumatisée par les histoires de fuite dans les montagnes et par l’anxiété générée à l’idée de ne pas reconnaître les signes des temps), j’étais pleine de joie en imaginant le petit nuage qui viendrait de l’est et grossirait, annonçant au monde entier l’arrivée de Jésus.
Même si j’espère encore le voir apparaître, je n’ai plus le sentiment que la fiabilité de Dieu ou son amour reposent sur la certitude d’un retour assez proche dans le temps pour que je fasse partie du comité d’accueil. Je m’adapte à l’idée que je suis l’un des milliards d’individus, dont les molécules sont connectées à leurs identités, qui ouvriront les yeux pour voir et reconnaître celui qui les a créés et qui les connaît.
Dieu s’érode-t-il sous la pression?
La deuxième raison pour laquelle nous rejetons l’idée d’une période de temps plus longue, c’est que nous craignons qu’elle élimine Dieu, d’une manière ou d’une autre. Ou tout au moins, nous avons le sentiment qu’un processus évolutif sur des millions d’années annihile le lien personnel entre Dieu et nous.
Nous nous demandons: Dieu aurait-il pris la peine d’attendre des milliards d’années avant d’introduire sur la planète une espèce animale consciente d’elle-même? Dieu resterait-il à leurs côtés, prêt à les comprendre et à les sauver de leurs propres choix et de leur violence? Dieu traverserait-il l’univers, non pas une fois mais deux fois, pour finalement les rassembler et remettre les pendules à l’heure dans un monde renouvelé?
Ces peurs révèlent l’image petite, limitée et humaine que nous avons de Dieu. Nous nous sentons petits, aussi nous imaginons un Dieu à notre échelle. Notre malaise révèle que notre théologie n’a pas suivi le rythme. Nos recherches sur la Bible, le monde physique et Dieu n’ont été rigoureuses que dans certaines directions. Alors que «la connaissance augmente», bon nombre de chrétiens se débattent avec ce qu’elle dévoile.
Bien que j’accepte pleinement un Dieu tout-puissant, capable de faire exister l’univers en ouvrant la bouche, peut-être qu’une foi plus grande et un Dieu plus grand rendent possible l’idée d’une chronologie plus longue.
Des exemples anciens dans des strates antérieures
L’histoire de Job pourrait nous fournir une perspective. Le conflit de l’histoire se concentre sur les tragédies quotidiennes que nous connaissons bien. Confrontés à la souffrance, le cri «Pourquoi?» que nous lançons est au cœur de ce que signifie faire partie de l’espèce humaine, consciente de son existence. Bizarrement, Dieu ne partage pas avec Job l’histoire du défi lancé par l’ennemi, dans le ciel.
Au lieu de cela, Dieu commence à décrire sa création, et il interroge Job sur l’étendue de ses connaissances. D’une manière franche, Dieu présente à Job ses limites. C’est une mise en garde douce et intime qui nous ouvre les yeux sur la toute-puissance divine.
De la même manière, chaque découverte scientifique ne fait que confirmer, qu’en fait, nous savons très peu.
Voilà le problème spécifique auquel on se heurte lorsqu’on cherche à faire de la Bible un manuel irréfutable plutôt qu’un guide spirituel. La valeur spirituelle de l’histoire de la création n’est pas de savoir comment cela s’est produit, mais de découvrir un Dieu suffisamment grand pour utiliser nos jours et nos nuits dans le but de créer un espace spirituel sacré pour que des relations puissent grandir et s’épanouir.
La réponse sensée, c’est de libérer Dieu de nos limites et de faire confiance à un Créateur qui transforme et génère éternellement d’innombrables atomes au cœur de la matière tout en demeurant à nos côtés.
C’est la raison pour laquelle la Bible est écrite sous la forme d’une série d’histoires. C’est là où réside sa puissance. Voilà la description intime d’un Dieu qui ouvre la bouche pour créer éléments et matière, qui prononce la prière du soir en déclarant que tout est très bon et qui éteint les lumières pour la nuit. Il transforme le miracle incompréhensible de la construction du soleil, des planètes et des formes de vie en un récit qui apporte paix et repos.
Rester souple et flexible
Les questions qui sont exprimées en objection sont révélatrices: elles limitent toutes Dieu et le rendent suffisamment petit pour que nous puissions le contenir. Nous aimons citer l’affirmation d’Ellen White selon laquelle l’étude du caractère de Dieu prendra toute l’éternité – mais dans notre théologie, nous révélons que nous n’acceptons pas pleinement ce qu’implique le concept d’éternité.
Et lorsque nous limitons Dieu, des questions encore plus importantes surgissent. Avons-nous un Dieu assez grand pour l’éternité s’il n’est pas assez grand pour une Terre vieille de 4,5 milliards d’années? Si nous n’avons pas un Dieu assez grand pour façonner intimement une Terre vieille de 4,5 milliards d’années, avons-nous un Dieu assez grand pour qu’il soit capable d’entrer personnellement en relation avec chacun de nous, sur cette minuscule planète presqu’invisible dans l’immensité de l’espace?
Je ne prétends pas que 4,5 milliards d’années soit l’âge réel de la Terre – et, chose intéressante, les scientifiques non plus car ils utilisent le mot prudent d’«estimation». Il y a quelque chose qui parle de foi dans cet espoir du scientifique selon lequel davantage de secrets seront révélés. C’est un concept attrayant parce que les premiers adventistes accueillaient eux aussi avec enthousiasme l’idée d’une croissance, d’une découverte et d’une révélation continue.
Certaines de nos idées auraient pu nous permettre d’entamer un dialogue avec les scientifiques: notre croyance en l’âme humaine tels un corps et une force vitale inertes au moment de la mort, par exemple, a plus de vigueur scientifique que le dualisme corps-âme de la tradition chrétienne dominante.
Mais qu’en est-il du sabbat?
En tant que protestants adventistes, nous ne croyons pas que le pain de communion est le véritable corps du Christ, même si c’est ainsi que Jésus en a parlé. Cette même étreinte symbolique protège le caractère sacré du sabbat. L’acte spirituel de se souvenir de Jésus est évoqué par la consommation physique d’un vrai morceau de pain.
De même, Dieu nous commande d’observer le septième jour de la semaine pour nous souvenir de la création. Si Dieu utilisait sept jours littéraux pour représenter de longues périodes de temps, cela n’aurait-il pas, malgré tout, du sens et de l’autorité?
La semaine de sept jours, tel le pain de communion, est tangible et physique: «vous travaillerez six jours et ferez tout votre ouvrage, mais le septième jour est un sabbat pour l’Eternel, votre Dieu».
L’observance du sabbat pourrait honorer les éternités de changement supervisées par Dieu, tout comme le pain tangible nous aide à «nous souvenir» d’un Jésus que nous n’avons pas rencontré en chair et en os. Notre rôle, c’est de travailler six jours, puis, le septième, d’honorer le Dieu de la création et de nous souvenir de lui. Création courte ou longue, Terre jeune ou ancienne, la commémoration est la même.
Notre querelle fait des dégâts
Les scientifiques m’ont confié que leurs débats peuvent être passionnés et litigieux. Comme nous, ils peuvent devenir trop attachés aux choses qu’ils ont «découvertes».
En tant que croyants, ce serait merveilleux si notre amour et notre compassion pouvaient résoudre nos conflits de manière plus pacifique. Malheureusement, dans notre église, le ton actuel est combatif dans ses arguments en faveur d’un Dieu de plus en plus petit, défini de plus en plus soigneusement dans chaque nom, verbe et même article de nos croyances fondamentales.
Officiellement, nous avons soumis nos membres – et particulièrement nos enseignants et nos dirigeants – à cette représentation d’un petit Dieu dans le but d’évaluer leur loyauté et leur orthodoxie. Il y a quelque chose d’anti-adventiste dans cette pression exercée sur nos esprits les plus brillants. Au lieu d’avoir l’audace de demander ce que la science, la philosophie et la théologie peuvent nous dire sur Dieu au sein d’échanges dans une atmosphère de confiance, nous avons limité Dieu par les lignes de guerre que nous avons tracées entre ces disciplines «rivales».
Nous avons été particulièrement cruels envers les professionnels qui se sont formés et ont tout donné pour enseigner les sciences dans nos lycées et nos universités. Nous les avons placés sur le fil du rasoir: nous attendons d’eux qu’ils choisissent bien leurs mots et leur programme pour enseigner des faits mais, pour conserver leur emploi, ils ne doivent pas flirter avec des idées que certains considèrent comme des erreurs. Quoi qu’il en soit, leur réputation professionnelle est constamment en jeu.
Nous leur devons probablement des excuses, car ils ont peut-être adopté une foi plus grande que la nôtre. Un Dieu assez grand pour faire tourner des atomes et créer des univers est assez grand pour répondre à nos questions.[1]
Terrain d’entente
Mon espoir, c’est que nous ayons le courage de mieux faire. C’est tout à fait compréhensible si nous ne nous sentons pas prêts ou équipés pour poser nous-mêmes ces questions. Honorons alors notre Dieu créateur en permettant à ceux qui sont dotés de cet intérêt et de cette capacité d’investiguer sans notre censure.
Après tout, si on considère toute la connaissance et toute l’éternité, nous ne pouvons rien faire d’autre que de confesser notre ignorance. Je ne suis ni scientifique, ni théologienne, mais je partage leur petitesse face à tout ce qui reste à découvrir. Je suis éternellement reconnaissante que l’on nous offre, à tous, l’assurance que plus de secrets seront révélés.
- Mes arguments sont ceux d’une écrivaine, d’une conteuse. Il nous faut nous référer à de vrais scientifiques pour ce qui concerne la science. Je recommande un article précédent écrit par Rich Hannon dans AT. Ses arguments m’ont inspirée à examiner le récit de la Genèse dans un contexte philosophique et narratif. ↑
Shelley Curtis Weaver vit sur la côte de l’état de Washington. Elle est potière, écrivaine, épouse, mère, grand-mère, et elle est une habituée des traversées du fleuve Columbia. La version anglaise de cet article est parue le 28 novembre 2023 sur le site d’AdventistToday.
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