La vérité plaisante
par Rich Hannon | 8 février 2024 |
L’adventisme est né et a grandi avec le sentiment de représenter un groupe de chercheurs de vérité courageux.
Ce n’est pas faux, mais ce n’est pas non plus tout à fait vrai.
Au fil du temps, et certainement aujourd’hui, l’église semble moins se préoccuper de rechercher la vérité que de préserver l’orthodoxie actuelle. Il y a une expression largement utilisée dans notre sous-culture: vérité présente. Elle vise à identifier les croyances adventistes comme étant à la fois normatives et pertinentes pour le monde d’aujourd’hui.
Cependant, notre identité historique suggère que nous avons déjà trouvé les vérités qui doivent être utilisées dans l’œuvre de Dieu pour évangéliser le monde. Cette idée, selon laquelle nous avons ce que les autres n’ont pas, nous fait courir le risque de tomber dans le triomphalisme – défini comme la croyance qu’une doctrine, une culture ou un système social, et en particulier un système religieux, est supérieur aux autres et qu’il triomphera, ou devrait triompher, de tous les autres.
Sentir que nous faisons partie d’un groupe élu ou favorisé est évidemment agréable. Nous avons fait le bon choix en rejoignant et en soutenant l’organisation qui incarne de telles vérités. Nous avons fait preuve d’intelligence et de discernement, alors que ceux qui n’ont pas encore compris où se trouve la vérité, eh bien, ils ne sont pas aussi réfléchis et aussi prompts que nous le sommes. C’est une mentalité triomphaliste. Elle n’est pas omniprésente au sein du monde adventiste, mais elle est néanmoins bien réelle, et quiconque a vécu dans notre sous-culture pendant un certain temps l’a probablement observée. Il s’agit d’une vérité «plaisante».
Cependant, chaque fois que quelqu’un adopte une vision du monde particulière, il y a inévitablement un problème qui surgit. Que se passe-t-il si ces croyances sont remises en question? Cela pourrait menacer notre stabilité intellectuelle et émotionnelle. On résiste donc fréquemment à cette dissonance. L’ambiguïté n’est pas une position confortable.
Biais de confirmation
Il existe un concept bien documenté en psychologie que l’on appelle biais de confirmation. L’expression est définie comme une tendance à rechercher, interpréter, favoriser et répéter des informations d’une manière qui confirme ou soutient nos propres croyances, préférences ou valeurs.
Cette tendance s’observe dans toute l’humanité. Elle est aussi généralement pragmatique. Personne ne peut, à tout instant, réévaluer la myriade de choix que nous devons faire chaque jour. Nous nous en tenons donc, par défaut, à ce que notre univers conceptuel a précédemment confirmé.
Mais aussi utile et justifiable soit-elle, cette tendance présente aussi des limites, et donc, des problèmes. L’adhésion servile à ce qu’on a historiquement considéré comme normatif nous empêchera d’apprendre et de changer. Cela suppose que nous sommes déjà arrivés à l’optimalité. Mais aussi désagréable que cela puisse être de le reconnaître, l’expérience nous informe aussi que nous avons, bien souvent, fait des erreurs.
Et certaines de ces erreurs ne sont pas seulement le résultat d’un échec à fonctionner avec succès conformément à notre vision du monde. Certaines sont dues au fait que ce que nous pensions être vrai est devenu extrêmement problématique et peut-être même faux. Ainsi, que cela nous plaise ou non, une dissonance émerge. Et nous avons une tendance réelle à vouloir la faire disparaître. Notre cognition est biaisée en faveur de la confirmation de nos croyances passées.
Falsification
Le problème principal du biais de confirmation, c’est l’incapacité d’examiner honnêtement des preuves sans chercher à les falsifier. Autrement dit, nous avons tendance à «sélectionner» les informations qui favorisent nos croyances et à ignorer celles qui pourraient les prouver erronées.
Ce phénomène se produit dans tous les contextes, et pas seulement dans le domaine religieux. Un exemple intéressant nous est fourni par la science où ce qu’on appelle «l’effet tiroir» (biais de publication) a été identifié. Il est observable lorsqu’un chercheur a tendance à privilégier la publication de quelque chose de nouveau et d’intéressant plutôt que de publier des informations qui pourraient infirmer une hypothèse qui, autrement, pourrait innover. Voyez-vous, si vous passez des heures à déterminer qu’apparemment rien de nouveau ne se produit, cela ne semble pas digne d’être publié; et cela ne fait pas progresser votre carrière. Aussi, vous placez ces résultats au fond du tiroir et n’en informez pas les autres. Pourtant, de telles informations pourraient contribuer à rejeter de manière appropriée l’hypothèse envisagée. Et pourquoi une telle non-confirmation n’aurait-elle pas de valeur? N’est-il pas important de rejeter une idée fausse? Par conséquent, cette tendance peut interférer avec le choix de publier des résultats apparemment inintéressants.
Remarquons cependant que cette tendance à «placer au tiroir» certaines informations peut également avoir un effet réconfortant pour un croyant investi dans le dénigrement de la science en général. Par exemple, dans une volonté de soutenir le créationnisme Jeune-Terre que la science dénigre, il pourrait s’exclamer: «Ah, vous voyez, la science est biaisée! Ils ne publient que des résultats sélectifs et suppriment certainement toutes les preuves qui pourraient saper leurs chères théories athées!» Ainsi, un biais peut apporter aide et réconfort à un autre biais. Nous tissons une fameuse toile pour protéger nos croyances personnelles!
En ce qui concerne l’évaluation des idées, l’humanité semble vivre presque continuellement dans une sorte de «danse». Est-ce que quelque chose est vrai? Est-ce que je m’investis pour que ce soit vrai? Est-ce que j’accorde une attention équitable aux preuves infirmantes? Bien trop souvent, cela se fait inconsciemment, et nos émotions sont partagées entre excitation et malaise.
Exemples tirés de la vie religieuse
Dans la sous-culture adventiste, le biais de confirmation est particulièrement attrayant. Comme je l’ai noté plus haut, nous avons grandi avec la certitude que nous détenions la Vérité. Le temps de la recherche est dans le passé; nous avons abouti. Cela explique en partie l’état d’esprit de nombreux dirigeants confessionnels de notre époque qui est illustré par les efforts du président de notre église, Ted Wilson, à resserrer les rangs autour de l’orthodoxie actuelle et à chercher à identifier et à éliminer la dissidence. Cependant, que l’orthodoxie actuelle doive ou non être modifiée, il est important et sain de reconnaître le piège du biais de confirmation. Alors, penchons-nous sur quelques exemples en contexte.
Croyance eschatologique
Historiquement, les adventistes ont évangélisé en essayant d’avertir la société que «la fin est proche». Ainsi, dans cet effort, faire référence aux évènements actuels entre en ligne de compte. Matthieu 24 nous dit qu’il y aura «des guerres et des bruits de guerre… une nation s’élèvera contre une nation… Il y aura des famines et des tremblements de terre…». Nous voyons toutes ces choses aujourd’hui. Nous approchons donc de la fin, n’est-ce pas? Le problème, c’est que rien de tout cela n’est nouveau. Il y a toujours eu des tremblements de terre, des guerres, des famines, etc. La documentation de tels évènements est bien meilleure de nos jours, mais si nous cherchons à discerner leur multiplication – qui pourrait indiquer que la fin approche réellement – ce que nous constatons est plus ambigu que confirmatif. Il est très tentant alors d’ignorer toute preuve qui pourrait donner lieu à une falsification car cela déstabiliserait notre position confortable de ceux qui pensent «connaître» l’avenir.
L’implication de Dieu dans le monde
Souvent, lorsqu’un croyant constate quelque chose de positif, Dieu en reçoit le mérite. Mais si quelque chose de grave arrive, Dieu obtient probablement un «laissez-passer». Ainsi, si notre voiture dérape sur du verglas mais nous nous en sortons indemnes, une petite prière est peut-être offerte. Il n’y a rien de mal. Mais qu’en est-il d’un accident d’avion dans lequel des amis ou des proches perdent la vie? Eh bien, c’est une autre affaire. De façon générale, on essaie de donner ici une réponse inadéquate au problème du mal. Cette expression décrit l’énigme à la question pourquoi Dieu – qui est amour et tout-puissant – échoue trop souvent à agir en réponse à un mal moral ou naturel. Plutôt que d’essayer de nous débattre avec ce problème profond et épineux, nous opérons de façon «asymétrique» dans nos croyances concernant l’implication de Dieu dans le monde: louons Dieu pour le bon, ne le blâmons pas pour le mal. Mais nous nous trouvons là dans une position inconfortable; et si ce problème n’est pas reconnu et adressé, cette asymétrie très philosophique pourrait détruire notre foi lorsque quelque chose de particulièrement bouleversant nous arrive.
La «bulle» de l’église
L’adventisme est largement centré sur l’expérience vécue dans l’église locale, mais aussi sur toutes les informations provenant de la dénomination, qu’elles soient lues sous une forme imprimée ou en ligne. Cependant, dans tous les cas de figure où l’église, adventiste ou non, est le focus, il n’y a jamais beaucoup de matériel qui remet en question ce qui a été défini. C’est normal, mais cela ne résulte pas en une vision équilibrée. Ainsi, nous assistons à l’école du sabbat, et que recevons-nous, à la fois de notre manuel et de notre temps d’échange? Probablement une emphase sur l’orthodoxie actuelle. Encore une fois, cela n’est pas surprenant, et c’est généralement sans conséquence grave. Mais, la plupart du temps, la corroboration est affichée de façon proéminente alors que les aspects problématiques ne sont pas pris en compte. Ironiquement, si les participants étaient plus francs, nous constaterions peut-être que certaines réserves que nous avons dérangent aussi d’autres membres. Malheureusement, il existe souvent une inhibition à exprimer des questions qui pourraient entraîner la falsification.
Objectivité et foi
Il pourrait vous sembler que je sois subrepticement en train de promouvoir l’incrédulité, mais j’ai simplement tenté de présenter un diagnostic suggérant que nous autres, les humains, sommes enclins à croire des idées fausses parce que nous échouons à rechercher honnêtement des contre-preuves. Cela ne signifie pas pour autant que nous devrions abandonner notre foi – ce qui peut être une tentation si/quand certains éléments d’une structure de croyance ne peuvent plus être maintenus. On pourrait alors se trouver sur une pente glissante et craindre que notre vision du monde se démantèle complètement, pilier après pilier, et nous entraîne dans le nihilisme.
Nous n’atteindrons jamais une objectivité totale. Pour ce faire, nous aurions besoin de voir les choses comme Dieu les voit. Mais nous pouvons reconnaître la tendance humaine à éviter le réexamen d’une croyance, même si celle-ci échoue, encore et encore, aux tests de vérité. Nous aimons penser que c’est ce que nous faisons quotidiennement, mais nous avons tous des angles morts – dont nous ne serons peut-être jamais conscients. Le mieux que nous puissions faire, c’est de rechercher et de découvrir les points faibles de certaines de nos croyances, puis d’essayer de les atténuer.
Une grande partie de l’expérience de foi réside dans le domaine de ce que l’on appelle parfois «la connaissance privée». C’est-à-dire une expérience que nous avons faite, personnellement, mais qui ne se constate pas de l’extérieur et ne peut donc pas être confirmée par les autres. Une telle «connaissance» pourrait être fausse, et elle nécessite notre considération réfléchie. Cependant, son caractère invérifiable ne l’invalide pas. Toute interaction entre Dieu et un être humain sera presque nécessairement privée. A moins d’être les témoins d’un miracle public, nous venons à la foi et nous l’entretenons avec un mélange d’intellect et de ressenti. Rien de tout cela ne doit être rejeté. Nous devons simplement être conscients qu’il existe un danger à fonder notre foi sur des «sables mouvants» idéologiques (Matthieu 7.24-27), et il est profondément inconfortable de faire l’introspection nécessaire pour essayer de séparer le sable de la roche solide.
Rich Hannon est un ingénieur en informatique à la retraite. Ses passe-temps de longue date incluent la philosophie, la géologie et l’histoire médiévale. La version anglaise de cet article est parue le 26 janvier 2024 sur le site d’AdventistToday.
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