La foi ou les œuvres
par Reinder Bruinsma | 17 avril 2025 |
Il y a peu de temps, une personne m’a raconté que peu après être devenue adventiste du septième jour, elle avait décidé de recommencer à utiliser son nom de jeune fille plutôt que le nom de son mari. Elle avait appris ce qu’était le jugement investigatif et on lui avait dit que tout ce que nous faisons est méticuleusement enregistré dans les livres de Dieu. On lui a également dit que, depuis 1844, nous sommes examinés à la loupe pour déterminer si nous sommes dignes de la vie éternelle. Cela l’a effrayée au plus haut point. Elle s’est dit: Si le jugement suit un ordre alphabétique, au moins mon nom de jeune fille arrive plus tard dans l’alphabet que mon nom de femme mariée!
De nombreuses personnes m’ont fait part de leur crainte du jugement investigatif et des tribulations de la fin des temps. Ils ont entendu des sermons sur les temps difficiles, lu des livres sur les futures lois du dimanche et assisté à des séminaires sur l’Apocalypse où on leur a parlé de la fin du temps de grâce, après laquelle nous devrons tous vivre sans médiateur. Ils s’interrogent avec anxiété: Vais-je y arriver?
Bien sûr, ils ont également entendu des sermons sur la grâce et des prédicateurs qui ont soutenu que même le jugement investigatif est une bonne nouvelle, puisque nous pouvons compter sur Jésus en tant que grand prêtre pour nous tirer d’affaire. Mais ils ont également été avertis de ne pas oublier de confesser leurs péchés, aussi mineurs qu’ils puissent paraître sur l’échelle du mal. Et Ellen White n’a-t-elle pas dit que seul un croyant adventiste sur vingt sera sauvé (Christian Service, p. 41)?
Le jugement
Lorsque nous lisons les 28 croyances fondamentales, nous trouvons plus de détails sur le ministère de Jésus-Christ et le salut par la grâce que sur le jugement et le risque de perdre la vie éternelle. Mais pour beaucoup d’adventistes, les enseignements sur la loi, le péché, les différentes étapes du jugement, le reste, les événements effrayants de la fin des temps et la seconde mort pèsent lourdement sur leur esprit. La joie du salut et la certitude d’être un enfant de Dieu ne restent que de vagues réalités.
Nous ne pouvons pas nier que l’idée d’un jugement à venir, aussi inquiétante soit-elle, est une réalité biblique. Il est possible d’être éternellement perdu. Heureusement, l’Église adventiste a reconnu très tôt que la doctrine du tourment éternel n’a pas de base biblique solide, et que le concept d’annihilation totale dans un futur de néant éternel a des fondements théologiques plus solides.
Pour la plupart des autres chrétiens, le jugement de Dieu est beaucoup plus simple que pour les adventistes du septième jour. La plupart des chrétiens croient que lorsqu’une personne meurt, son âme va soit au ciel pour être avec Dieu, soit en enfer. Pour ceux qui sont sauvés, il y aura une résurrection du corps lorsque le Christ reviendra sur cette terre. Il est vrai que ce point de vue nous laisse avec quelques questions sans réponse, comme par exemple: L’âme qui jouit de la présence de Dieu et qui connaît la gloire de la vie éternelle attend-elle toujours le moment où elle sera réunie à un corps? Le point de vue des adventistes (et de plus en plus d’autres chrétiens) selon lequel la mort est une sorte de sommeil qui précède le matin de la résurrection est certainement plus logique.
Les enseignements adventistes sur le jugement ont laissé de nombreux adventistes s’interroger sur deux éléments importants.
- L’enseignement traditionnel concernant le jugement investigatif est-il défendable ou bien Desmond Ford (et bien d’autres avant et après lui) nous a-t-il fourni suffisamment d’arguments pour le ranger parmi les doctrines qui ont été «pesées mais trouvées légères»? Les enquêtes officielles organisées par l’Église indiquent que cette doctrine bénéficie toujours d’un soutien significatif, mais nettement moins que d’autres enseignements de l’Église. Il convient de garder à l’esprit que ces enquêtes sont souvent menées auprès des membres qui fréquentent régulièrement l’Église et n’incluent donc pas le vaste groupe qui se trouve en marge. J’ajouterai qu’au cours des dernières années, je n’ai entendu aucun sermon sur le sujet, tandis que de nombreux collègues dans le ministère m’ont fait part de leurs doutes quant aux fondements bibliques du jugement avant le retour du Christ, comme on appelle souvent aujourd’hui le jugement investigatif.
- L’interprétation adventiste concernant les mille ans, lorsque, selon Apocalypse 20, «les morts, grands et petits» se tiendront «devant le trône et les livres seront ouverts», est-elle correcte? Ce texte doit-il être mis en relation avec l’affirmation quelque peu vague de l’apôtre Paul selon laquelle «les saints jugeront le monde»? (1 Corinthiens 6.2,3). Les adventistes ont soutenu qu’au cours du millénium, les saints auront l’occasion d’examiner les livres célestes et seront à jamais assurés que le jugement de Dieu a été équitable. Je m’interroge: Ceux qui sont sauvés auront-ils vraiment besoin de cette étape pour atténuer leurs doutes quant à la justice de Dieu et, si c’est le cas, ce processus durera-t-il mille ans?
J’admets que j’ai aussi de sérieux doutes sur la notion de la fin du temps de probation. Cette croyance est principalement fondée sur les commentaires d’Ellen G. White plutôt que sur le résultat d’une exégèse de la Bible. J’ai décidé de faire confiance à la promesse du Christ lorsqu’il a dit: «Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde» (Matthieu 28.20). Il n’a pas promis d’être avec nous jusqu’à la fin du temps de probation, mais jusqu’à la fin de l’histoire de la terre!
Notre Église est en proie à la séditieuse Théologie de la Dernière Génération (Last Generation Theology). J’utilise ce terme fort à cause de sa perversion de l’Évangile en un message sans joie. Je sais que ceux qui la défendent nient avec véhémence qu’elle encourage le légalisme, mais la triste réalité montre que c’est précisément ce qu’elle fait. Je n’ai jamais vu de preuve que la perfection est possible sans qu’elle s’accompagne du légalisme, alors que j’ai vu beaucoup de choses qui prouvent le contraire.
Selon les enseignements de la LGT, seul un petit «reste» de la dernière génération entrera dans le royaume. Ce message est en contradiction avec la bonne nouvelle de l’Évangile. Il crée de l’anxiété et une incertitude totale quant à notre salut et notre adoption en tant qu’enfant de Dieu.
Une grande multitude
Ainsi, pour beaucoup, le message adventiste est devenu un message de peur, en raison de l’accent mis sur le jugement dans ses différentes phases et du discours constant sur le criblage, à la suite duquel seul un petit reste recevra finalement la vie éternelle.
Il s’agit là d’une représentation erronée de l’Évangile. Très tôt dans l’histoire de l’Église chrétienne, certains dirigeants ont affirmé que tous les hommes seraient sauvés. Ce point de vue porte le nom d’«universalisme». Origène (vers 184-253) croyait que même le diable finirait par se réconcilier avec Dieu et retrouverait son état divin originel. Au fil des siècles, les soi-disant universalistes ont défendu l’idée qu’à la fin, tous les hommes seront acceptés par Dieu et recevront la vie éternelle.
J’ai eu l’occasion d’examiner de très près la position universaliste lorsque, à la fin des années 1990, j’ai traduit en anglais un livre écrit par Jan Bonda, un réformé hollandais universaliste. (Il a été publié par Eerdmans sous le titre The One Purpose of God.) Dans un examen approfondi de tous les passages bibliques qui ont un rapport avec le sujet, l’auteur a présenté des arguments solides en faveur de la théorie de l’universalisme. A la fin des presque 300 pages, j’ai cependant conclu qu’il n’avait pas tout à fait réussi dans son argumentation. Le fait que Bonda ait eu recours à de nombreuses versions de la Bible (dont certaines très peu connues) pour prouver ses dires m’a rendu quelque peu sceptique. Je ne pouvais réprimer la conviction qu’il y a trop d’endroits dans la Bible où l’on nous dit qu’il y aura un jugement et qu’au moins quelques-uns de ceux qui se sont tournés contre Dieu seront perdus.
J’ai eu le même sentiment lorsque j’ai lu récemment un autre livre qui offre une défense solide de l’universalisme: That All Shall Be Saved: Heaven, Hell, and Universal Salvation, de David Bentley Hart, un théologien américain orthodoxe oriental. J’ai vu une recommandation de ce livre sur la page Facebook de David Larson, professeur émérite d’éthique à l’école de religion de l’université de Loma Linda. Je respecte beaucoup ses opinions et sa recommandation m’a incité à commander le livre et à le lire. L’auteur affirme qu’en fin de compte, tout le monde sera sauvé. Permettre aux gens de se perdre, dit Hart, est totalement incompatible avec la nature d’un Dieu aimant et omnipotent. Il s’agit d’un livre très positif et agréable, mais également dans ce cas, la conclusion ignore des données pertinentes qui, me semble-t-il, ne permettent pas de croire en l’universalisme.
L’universalisme va peut-être un pont trop loin, mais l’idée que seul un petit reste y parviendra n’est pas un pont du tout. Le message de l’Évangile est on ne peut plus clair: il est difficile de ne pas être sauvé. Dieu fait tout ce qui est en son pouvoir pour réconcilier le plus grand nombre de personnes avec lui-même. La vision de l’apôtre Jean en Apocalypse 7.9 ne parle pas d’un petit reste:
«Après cela, je regardai, et voici une grande foule, que personne ne pouvait compter, de toute nation, de toute tribu, de tout peuple et de toute langue, se tenant devant le trône et devant l’Agneau, vêtue de robes blanches, des palmes à la main.»
Jésus a clairement indiqué qu’il ne voyait pas les choses en petit:
«Quand j’aurai été élevé de la terre, j’attirerai tous les peuples à moi» (Jean 12.32).
Paul s’est fait l’écho du même sentiment:
«Cela est bon et agréable à Dieu notre Sauveur, qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité» (1 Timothée 2.3-4).
Sola Gratia
«Quelle grâce étonnante! Quel doux son, qui a sauvé un misérable comme moi!» Malgré son langage vieillot, j’ai entendu chanter ce cantique dans de nombreuses églises adventistes. Les adventistes croient en la grâce. Mais lorsque the One project (programme d’encouragement et de réveil spirituel qui s’est développé surtout aux Etats-Unis et en Australie) a mis l’accent sur cette grâce, les dirigeants de l’Église se sont inquiétés de ce qu’on en parlait trop et que l’on n’accordait pas assez d’attention aux doctrines de l’Église.
Dans les discussions sur la foi et les œuvres, les membres de l’Église reconnaissent généralement que notre salut dépend entièrement de la grâce de Dieu. Cependant, après avoir dit cela, il y a généralement un «mais». Nous sommes sauvés par la grâce, mais nous devons montrer notre gratitude en observant les commandements de Dieu! Ce n’est pas par nos œuvres que nous pouvons gagner le salut, bien sûr, mais l’apôtre Jacques ne nous dit-il pas que nous devons montrer notre foi par nos actions? Peu de livres m’ont autant marqué que celui de Philip Yancey, What’s So Amazing About Grace? Il explique très clairement qu’il n’y a pas de «mais» lorsque nous croyons vraiment ce que Paul nous dit en Éphésiens 2.8-9:
«C’est par la grâce que vous êtes sauvés, au moyen de la foi. Cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est pas en vertu des œuvres, pour que personne ne puisse faire le fier».
J’ai souvent entendu dire que ce dont nous avons besoin, c’est d’un équilibre. L’obéissance chrétienne et la croyance en la grâce divine doivent aller de pair. Faire confiance et obéir. Si nous ne parvenons pas à maintenir l’équilibre entre ces deux éléments, nous nous retrouvons soit avec une grâce bon marché, soit avec un légalisme aride.
Cessons de parler d’équilibre et optons intentionnellement pour le déséquilibre – individuellement et en tant qu’Église. Embrassons sans réserve la grâce de Dieu comme principe primordial de notre expérience adventiste. Si nous le faisons, notre âme s’en trouvera rafraîchie.
Reinder Bruinsma vit aux Pays-Bas avec sa femme, Aafje. Sur trois continents, il a servi l’église adventiste dans les domaines de l’édition, de l’éducation et de l’administration. Il maintient toujours un emploi du temps bien chargé, partagé entre la prédication, l’enseignement et l’écriture. Il blogue sur http://reinderbruinsma.com/. La version anglaise de cet article est parue le 3 avril 2025 sur le site d’AdventistToday.