La conspiration de la contamination païenne
par Stephen Ferguson | 6 mai 2024 |
Récemment, j’ai vu un message intéressant sur un forum lié à l’adventisme. L’auteur y indiquait qu’il avait suivi le fil d’actualité du pasteur Ted Wilson, le président de la Conférence générale, tous les jours précédant Pâques. Chaque jour, cet observateur attentif s’attendait à ce que le pasteur Wilson dise quelque chose en rapport avec l’histoire de la Passion. Chaque jour, il était déçu. Finalement, le vendredi, le samedi et le dimanche de Pâques sont arrivés. Rien ne fut dit.
J’ai fait mes propres vérifications et, d’après ce que j’ai pu voir, c’est exact. Tout au long de la semaine sainte, le président Wilson a bizarrement publié des articles sur la marque de la bête, l’observation du sabbat en tant que sceau de Dieu, la loi de Dieu et la grande controverse. C’était pour le moins surprenant, comme s’il avait tout fait pour éviter toute mention de la mort et de la résurrection de Jésus, à une époque où la majeure partie du monde – même le monde séculier – est sensible à ce sujet.
La raison pour laquelle le pasteur Ted a agi de la sorte m’a semblé évidente. Pour être juste envers lui, je ne le blâme pas entièrement: s’il avait mentionné directement Pâques, ou même indirectement la mort et la résurrection de Jésus, toute une partie de la communauté adventiste se serait jetée sur lui en invoquant ce que j’appelle la « onspiration de la contamination païenne». Comme il est un politicien accompli, je comprends qu’il lui soit paru préférable d’éviter la controverse.
La conspiration de la contamination païenne
La plupart des adventistes connaissent la conspiration de la contamination païenne. Il s’agit de considérer tout aspect du monde extérieur, séculier et non chrétien, en particulier tout ce qui est lié au paganisme ancien, comme une puissance corruptrice redoutable. Un métissage théologique, un poison philosophique, la moindre trace du monde non-chrétien pourraient corrompre la forme supposée pure du christianisme.
Le complot se présente sous diverses formes, mais les thèmes communs et répétés incluent l’idée que Noël et Pâques sont en réalité des fêtes païennes associées aux dieux Tammuz et Ishtar, et qu’elles ne présentent donc aucun avantage pour le christianisme.
La conspiration s’étend à d’autres sujets: aux sapins de Noël et aux œufs en chocolat, aux alliances, aux cartes de la Saint-Valentin, à la chasse aux bonbons, aux célébrations d’anniversaires, à la lecture de romans de fiction, à l’écoute de musique profane, au vote, au chant de l’hymne national, au port de pantalons par les femmes.
La conspiration de la contamination païenne n’est pas l’apanage des adventistes. En 1647, le leader puritain Oliver Cromwell, le seul chef d’État républicain de l’histoire de l’Angleterre, a approuvé une loi interdisant le jour de Noël lui-même!
Parmi nous, la conspiration est généralement liée à l’Église catholique romaine. Le pape est plus un empereur romain païen qu’un dirigeant chrétien, peut-être secrètement à la tête d’une cabale d’agents secrets maçonniques et jésuites.
Christianisme et syncrétisme non chrétien
Comme dans la plupart des conspirations, il y a ici une part de vérité. Il est vrai que pour gagner la société gréco-romaine dans son ensemble, l’Église primitive a adopté des coutumes et des concepts autochtones. Elle a notamment célébré la naissance de Jésus lors d’une fête romaine préexistante.
Il est également vrai que l’Église catholique romaine a fini par pousser le syncrétisme trop loin. Il n’est pas nécessaire d’être professeur d’histoire pour voir des parallèles entre l’existence d’anciens dieux païens et leurs équivalents dans les saints patrons médiévaux. De la même manière, le culte de Marie, le purgatoire et les indulgences n’ont pas de fondement dans les Écritures, mais plutôt dans la pensée gréco-romaine. Les thèmes centraux de la théologie et de l’éthique catholiques romaines semblent devoir davantage aux enseignements de Platon (très apprécié par Augustin d’Hippone) et d’Aristote (intégré dans l’Église par Thomas d’Aquin) qu’à ceux de Pierre ou de Paul.
Ne vous fiez pas à moi. L’évêque anglican-épiscopalien N. T. Wright a écrit ceci:
«Le Nouveau Testament est profondément juif, et les Juifs avaient depuis longtemps l’intuition d’une résurrection physique finale. Ils croyaient que le monde de l’espace, du temps et de la matière était perturbé, mais qu’il restait fondamentalement bon. Dieu finirait par l’arranger et le remettre en ordre. La croyance en cette bonté est absolument essentielle au christianisme, tant sur le plan théologique que moral. Mais les chrétiens de langue grecque influencés par Platon considéraient notre cosmos comme minable, difforme et rempli de mensonges. L’idée n’était pas de l’arranger, mais de s’en échapper et de laisser derrière nous nos corps matériels».
Le christianisme après le paganisme
Le complot de la contamination païenne est-il donc bien réel? Pas si vite.
Le problème n’est pas qu’il n’y a pas eu d’influence païenne sur le christianisme. Il est évident qu’il y en a eu. Le problème est l’extrême exagération que l’on trouve chez les croyants, comme si les croyances et les pratiques païennes allaient inévitablement nous contaminer, comme si nous pouvions d’une manière ou d’une autre échapper à l’influence païenne et découvrir une sorte de christianisme pur.
L’idée de se séparer des influences païennes ou séculières semble reposer sur de graves malentendus. Permettez-moi de vous expliquer dans quelle mesure la Bible peut être séparée des influences non chrétiennes, séculières ou païennes:
C’est bien cela, elle ne le peut pas.
En fait, nous ne réalisons pas à quel point la Bible elle-même est un produit du monde païen environnant. Un domaine intéressant de l’interprétation biblique consiste à se rendre compte que les livres des prophètes et des autres auteurs de la Bible ont été écrits alors que le peuple de Dieu vivait sous l’oppression, l’occupation ou l’exil. Ils ont souvent coopté les noms, les titres et les concepts de leurs oppresseurs païens.
L’Ancien Testament et le monde païen
Pour revenir au début de l’histoire biblique, il existe des preuves que Moïse, en écrivant la Torah (qui a ensuite été collationnée par des éditeurs juifs à Babylone), s’est largement inspiré de récits préexistants du Proche-Orient ancien. Par exemple, le Proche-Orient ancien païen possédait plusieurs récits de ce type, y compris ses propres récits de création (par exemple, Enuma Elish, Nu, Yamm et l’épopée de Gilgamesh) et du déluge (par exemple, l’histoire d’Atrahasis). Il est important de noter que ces récits païens présentaient d’étranges similitudes avec les récits bibliques que nous trouvons dans la Genèse.
Bien que je ne conteste pas la véracité du récit de la Genèse, nous ne devrions pas négliger l’évidence: l’auditoire originel de Moïse au Sinaï venait de passer quatre cents ans en Égypte. Les enfants d’Israël connaissaient probablement mieux ces histoires païennes que celles de Yahvé. Il en va probablement de même pour les générations juives restées sous influence babylonienne et perse, lorsque l’Ancien Testament a finalement été transformé en un canon d’écritures, et que le Talmud babylonien a commencé à être le commentaire interprétatif de la Torah.
Il est donc probable qu’il y ait eu une interaction ou une influence entre ces récits païens et hébraïques. Dieu a dit à Moïse: «Vois, je t’établis comme Dieu pour Pharaon» (Ex. 7.1).
Même les noms que nous considérons comme des archétypes bibliques, tels que Moïse (un nom égyptien), Hébreu (probablement dérivé du mot égyptien habiru pour «étranger»), et Elohim (la divinité suprême des Cananéens) ne sont pas tombés du ciel mais dérivent de l’influence de voisins païens.
Il est important de noter que l’influence païenne n’est pas synonyme d’adoption massive de la religion païenne. Dans les récits païens, les dieux sont capricieux, les humains sont créés comme de simples esclaves et la vie ne peut naître que de l’horrible mort et de la lutte darwinienne. Dans les récits de la Genèse, en revanche, Dieu est un créateur aimant qui crée avec amour les êtres humains pour en faire ses compagnons et ses héritiers. Loin d’être une contamination à éviter, les récits païens deviennent le moyen par lequel Dieu révèle – sous une forme modifiée – son message d’amour.
Le Nouveau Testament et le monde païen
On retrouve des influences extérieures similaires dans la formation du Nouveau Testament. Comme l’explique le célèbre historien Diarmaid MacCulloch : l’anniversaire de l’empereur Auguste était appelé «bonne nouvelle» et son arrivée dans une ville «parousie» – exactement le mot que les chrétiens utilisaient pour désigner le retour attendu du Christ. Il serait facile pour des Romains pointilleux de considérer de tels usages chrétiens comme un plagiat massif et délibéré.
Jésus-Christ, le roi juif assassiné, invoque clairement l’influence et la parodie de la politique impériale romaine. Même l’expression christologique de «Fils de Dieu» était un titre honorifique utilisé par les Césars, car les empereurs décédés étaient déifiés par le sénat, faisant de leurs successeurs les fils littéraux d’un dieu.
Paul est le meilleur exemple de cette approche accommodante. Au moins une fois à Athènes, il a ouvertement débattu avec des philosophes païens, selon leurs propres termes, en citant des philosophes païens (Actes 17.22-28). Paul ne craignait pas que des idées extérieures ne le corrompent d’une manière ou d’une autre. Au contraire, il a utilisé les propres idées des païens, comme l’existence d’un autel à un dieu inconnu, afin de communiquer un message d’une manière culturellement compréhensible pour son auditoire païen.
L’Église adventiste et le monde américain
Si vous avez encore des doutes sur l’influence des idées non chrétiennes sur nos croyances et nos pratiques, regardez notre propre Église. Comment appelons-nous nos dirigeants? Quels vêtements portent-ils? Comment appelons-nous nos organes délibératifs et comment gouvernent-ils notre organisation?
Nous appelons nos dirigeants «présidents». Nos dirigeants portent des costumes, des chemises, des cravates, des vestes, des pantalons et des chaussures. Nos organes délibératifs sont appelés «fédérations», «unions» et «sessions», selon une forme de démocratie représentative, régie par des procédures proches des règles de Robert[1].
Trouve-t-on tout cela dans la Bible? Pas vraiment. Toutes ces idées sont résolument américaines (ou occidentales). Pourquoi sont-elles américaines? Pour dire les choses clairement, parce que les pionniers adventistes étaient originaires des États-Unis. Je ne pense pas que les lecteurs adventistes américains, en particulier, réalisent à quel point l’adventisme est américanisé.
Il n’y a rien de gênant à cela, car Dieu a choisi des personnes originaires de ce pays, marquées par cette culture. Néanmoins, nous devrions veiller à ne pas assimiler la culture américaine séculaire à une sorte d’ordonnance divine. Nous ne devons pas oublier combien il est surprenant qu’une communauté religieuse soit influencée par un système politique conçu par des francs-maçons déistes et esclavagistes.
Nous pourrions faire la comparaison évidente entre le dirigeant catholique mondial à Rome et le dirigeant d’un ancien empire mondial à Rome. Cependant, il est tout aussi facile d’établir une comparaison entre le dirigeant adventiste mondial à Washington, et le dirigeant de l’empire mondial actuel à Washington. Les deux hommes adoptent les titres et les attributs de leurs équivalents séculiers.
Ainsi, tout comme il est logique que l’Église primitive devînt romaine, il est logique que l’Église d’aujourd’hui devînt américaine. Dieu l’a voulu ainsi. La culture séculière, voire païenne, a clairement influencé les deux groupes religieux.
Pouvons-nous célébrer Noël et Pâques ?
Quelle est la réponse à cette question? Le point clé, je pense, consiste à réaliser qu’une forme supposée «pure» du christianisme, totalement dépourvue d’influence non-chrétienne, n’est pas possible. Cette pureté est aussi, non sans une certaine ironie, un concept non biblique.
De même, ce n’est pas parce que l’on peut être influencé par une culture non chrétienne que l’on doit l’adopter sans réserve. Il y a une approche raisonnable à adopter ici, qui implique une adaptation. C’est l’approche adoptée par Paul: être juif pour les juifs et païen pour les païens, afin de gagner les deux groupes (1 Corinthiens 9.20).
Pour ces raisons, il est légitime de reconnaître que Jésus n’est probablement pas né le 25 décembre. Cela ne signifie pas pour autant que nous devons être rabat-joie. Il est possible d’utiliser la fête de Noël comme un moment de sensibilisation, pour faire connaître à ceux qui nous entourent l’histoire très biblique d’un bébé né à Bethléem – et même de faire la fête et de se réjouir.
De même, personne n’a dit que le pasteur Ted devait vanter les vertus de la consommation d’œufs de Pâques et de lapins en chocolat. À l’approche de Pâques, le président Wilson n’avait pas besoin de faire tout un laïus (bizarrement, à mon avis) sur la marque de la bête, pour finalement ignorer le message central de la mort et de la résurrection de Jésus, tel qu’il apparaît dans les évangiles.
[1] Henry Martyn Robert est l’auteur de l’ouvrage normatif qui régit le fonctionnement de toutes les assemblées délibératives aux États-Unis.
Stephen Ferguson est un avocat de Perth, en Australie-Occidentale, avec une expertise en droit de la planification, de l’environnement, de l’immigration et du gouvernement administratif. Il est marié à Amy et a deux enfants, William et Eloïse. Stephen est membre de l’Église adventiste de Livingston. La version originale de cet article a été publiée le 16 avril 2024 sur le site d’Adventist Today. Cet essai a été traduit par Jean-Claude Verrecchia et est également publié sur son blog.