Echanger la grâce contre le pouvoir: la menace du nationalisme chrétien
par Robert Crux | 8 novembre 2024 |
Les générations passées ont utilisé le christianisme pour justifier la perduration de l’esclavage et de la ségrégation. Il se trouve que ce qui était passé est de nouveau d’actualité.
Avec la montée récente des idées nationalistes chrétiennes qui se fondent avec la politique américaine dominante (en particulier au cours des deux dernières décennies), nous voyons maintenant le christianisme être utilisé pour affirmer la suprématie blanche, alors qu’une frange radicale du christianisme encourage l’assujettissement racial. Il en découle un nouveau degré de coopération entre les dirigeants évangéliques et les leaders civiques, ce qui place le christianisme au centre de la vie politique. Plus important encore, le mouvement nationaliste chrétien qui balaie l’Amérique émet certaines hypothèses sur le nativisme, la suprématie blanche, le patriarcat, le contrôle autoritaire accordé par Dieu lui-même et le militarisme qui bravent la loi constitutionnelle et la Déclaration américaine des Droits.
Pour les chrétiens, ces hypothèses vont à l’encontre de la manière dont la grâce doit être vécue, car il s’agit d’un concept central et présent tout au long de la Bible; Michée 6.8, Matthieu 7.12 et Colossiens 3.12 n’en sont que trois exemples. Le nationalisme chrétien est-il en train de devenir, en Amérique, le nouveau cadre culturel au travers duquel nous filtrons tout ce qui concerne le christianisme? Est-ce un vrai problème ou une simple inquiétude abstraite?
La religion devrait-elle être politique?
Un coup d’œil rapide à l’actualité sur les questions politiques du jour vous amènerait à croire que la religion a été récupérée pour servir d’outil politique. Alors qu’un nombre croissant de politiciens conservateurs du Congrès soutiennent ouvertement la cause nationaliste chrétienne ou acceptent cette étiquette, ce phénomène est passé du subtil à l’évident. Katherine Stewart nous rappelle que «ce que les nationalistes chrétiens d’aujourd’hui appellent la ‘liberté religieuse’ est une forme de privilège religieux – pour leur type de religion. Mais le privilège n’est jamais gratuit. Cela se fait toujours au détriment des droits des autres».[1]
En marge de la politique dominante, de nombreux Américains voient le nationalisme chrétien comme un oxymore, car notre société, grâce à la protection des 1er et 2nd amendements, est de plus en plus pluraliste.
Dans le même temps, d’autres Américains, y compris d’éminents politiciens et représentants de l’état, déplorent l’idée de la séparation de l’église et de l’état, la qualifiant de «pacotille», car ils estiment que «l’église est censée diriger le gouvernement», et non l’inverse. Entre toutes les nations du monde, les nationalistes chrétiens croient que l’Amérique est «l’élue» de Dieu et qu’elle doit ramener le monde à Dieu en utilisant son pouvoir politique pour faire respecter les lois de Dieu. Appartenant au groupe des «élus» de Dieu, les nationalistes chrétiens sont capables de rationaliser les pratiques d’esclavage et d’injustice raciale, citant l’ancien Israël comme leur modèle.
Qui en fait partie?
L’Encyclopædia Britannica dit que le nationalisme est «une idéologie basée sur la prémisse que la loyauté et le dévouement de l’individu à l’état-nation surpasse les autres intérêts individuels ou collectifs». Dans Taking America back for God: Christian Nationalism in the United States, Andrew Whitehead et Samuel Perry définissent le nationalisme chrétien comme «un ensemble de mythes, de traditions, de symboles, de récits et de systèmes de valeurs qui idéalisent et prônent une fusion du christianisme avec la vie civique américaine…»[2]
Le problème avec tout mouvement nationaliste (chrétien ou autre), c’est que lorsque les nationalistes entreprennent de construire leur nation, ils doivent déterminer qui en fait partie et qui en est exclu. C’est lors de ce processus que le nationalisme est assimilé au patriotisme. Une mauvaise compréhension de la différence qui existe entre patriotisme et nationalisme a amené de nombreuses personnes à s’aligner avec ce mouvement, percevant la loyauté envers leur pays comme une priorité absolue.
Les mouvements nationalistes ont toujours un modèle culturel préféré auquel les foules doivent adhérer. Les dissidents et les minorités qui ne se conforment pas, ou ne peuvent pas se conformer au modèle culturel, sont marginalisés et considérés comme des ennemis de l’état. De plus, le nationalisme chrétien a un passé violent. De tels mouvements, y compris le nationalisme religieux, ont employé ou provoqué la violence pour atteindre leurs objectifs, au nom de Dieu, et pour leur pays. Lors de l’insurrection du 6 janvier, croyant faire la volonté de Dieu pour sauver l’Amérique, les nationalistes chrétiens n’ont eu aucun scrupule à s’armer.
La grâce ou la peur
De nombreuses personnes ont été disposées à échanger leurs libertés personnelles et leurs avantages contre ce qui est perçu comme la sécurité et la tranquillité de l’esprit. Mais maintenant, de nombreux politiciens et théologiens conservateurs sont prêts à passer à l’étape suivante: abandonner le don de la grâce en échange du pouvoir politique. Dans les guerres culturelles américaines, les dirigeants politiques et les personnes influentes ont appris à manipuler le cœur et l’esprit des foules en générant la haine et la peur de l’autre.
Le nationalisme chrétien n’est pas différent; il nous apporte le régime de la condamnation. Faire preuve de grâce envers les autres peut s’avérer difficile, surtout si vous avez été bercé avec l’idée que l’autre est mauvais, ou qu’il ne mérite pas la grâce en raison de son identité raciale ou ethnique, ou bien parce qu’il adhère à une religion, une idéologie ou une vision de Dieu et de l’Amérique différente. Pour accomplir la volonté de Dieu sur terre et reprendre l’Amérique pour Dieu par tous les moyens possibles, vous devez être prêts à abandonner la grâce et le respect envers certains concitoyens, certains chrétiens et certains membres de votre église.
Quelles que soient nos divergences politiques, nos différences d’opinions et la variété de nos croyances, Dieu souhaite que nous vivions des vies remplies de grâce et de paix. 2 Pierre 1 déclare:
Que la grâce et la paix vous soient multipliées par la connaissance de Dieu et de Jésus notre Seigneur! Sa divine puissance nous a donné tout ce qui est nécessaire à la vie et à la piété en nous faisant connaître celui qui nous a appelés par sa gloire et par sa force (v. 2,3).
On ne peut faire preuve de grâce et haïr l’autre en même temps, n’est-ce pas? Est-il possible de générer des théories de complot, de la peur et de la haine envers les autres et, en même temps, vivre et partager la grâce de Dieu? Rejoindre les rangs des conservateurs politiques et religieux qui recherchent le pouvoir politique, cela a un coût dans notre relation personnelle avec Dieu. Pour faire le travail du nationaliste chrétien, nous devons nier le thème central de la grâce que l’on retrouve dans toute la Bible et dans la vie du Christ.
Etonnamment, la grâce divine, c’est plus que le salut (Ephésiens 2.8); c’est tout ce dont nous avons besoin pour une vie de piété. Cette nouvelle relation avec Dieu et le Christ a pour résultat une vie transformée qui œuvre pour Dieu. C’est par la grâce que Dieu opère un changement réel dans nos cœurs et dans nos vies, non pas à une date ultérieure, mais immédiatement. Par la grâce de Dieu, nous sommes pardonnés, et notre pensée transformée entraîne le renouvellement de nos cœurs et de nos esprits. Par la grâce, nous vivons le genre de vie que Dieu souhaiterait que chacun de ses enfants connaisse. Une vie de grâce et de compassion envers les autres.
Le pouvoir sans la grâce
Alors, que se passe-t-il lorsque nous sommes prêts à échanger la grâce contre le pouvoir politique? Et si, en utilisant ce pouvoir politique, par la législation et les techniques d’ingénierie sociale, on pouvait transformer les Etats-Unis en une nation «chrétienne»? Influencer les leaders des églises, recruter et former les membres du conseil scolaire, changer les programmes des écoles, aider à élire des politiciens qui soutiennent l’agenda du mouvement – en tout cela, la grâce et l’honnêteté sont piétinées par la manipulation et la fausse représentation. De plus en plus de chrétiens rejoignent les rangs du mouvement nationaliste chrétien et approuvent son programme politique sans se rendre compte que la grâce doit être compromise ou abandonnée entièrement.
Sans la grâce de Dieu active dans nos vies, le christianisme n’existe pas. Quand la religion est confondue avec la politique, de mauvaises choses se produisent. C.S. Lewis a écrit:
Je pense que presque tous les crimes que les chrétiens ont commis les uns contre les autres dérivent du fait que la religion a été confondue avec la politique. En effet, plus que toutes autres sphères de la vie humaine, le diable revendique la politique et la considère la citadelle de son pouvoir.[3]
Philip Yancey corrobore ce que dit C.S. Lewis lorsqu’il déclare:
C.S. Lewis a observé que presque tous les crimes de l’histoire chrétienne sont survenus lorsque la religion a été confondue avec la politique. La politique, qui n’a rien à voir avec la grâce, nous incite à l’échanger contre le pouvoir, une tentation à laquelle l’église a souvent été incapable de résister. [4]
Philip Yancey pense que «la confusion qui s’établit entre la politique et la religion est l’un des plus grands obstacles à la grâce».
Avec le nationalisme chrétien, le message de l’évangile est récupéré à des fins nationalistes. Confondre la mission de l’église avec les machinations d’un groupe politique, c’est un faux témoignage pour le monde et une fausse représentation de la personne de Jésus. La mission et le but de l’église, ce n’est pas de légiférer la foi pour «rendre grande l’Amérique» mais pour «faire connaître le Christ».
Pour donner un exemple de l’une des nombreuses positions non chrétiennes que les nationalistes chrétiens ont adoptées, Andrew Whitehead et Samuel Perry expliquent que
pour les nationalistes chrétiens, retenir des réfugiés de l’autre côté d’un mur a précédence sur les soins à apporter, la nourriture à partager et la justice sociale à rechercher – des actes de compassion que beaucoup associeraient au christianisme.
En effet, le nationalisme chrétien est une «philosophie creuse et trompeuse qui dépend de la tradition humaine et des principes fondamentaux de ce monde plutôt que du Christ».[5]
Les chrétiens nationalistes
Même si la suprématie blanche et le patriarcat sont à la base du mouvement nationaliste chrétien, de nombreux Américains adhèrent à certaines ou à toutes les croyances nationalistes chrétiennes. Des statistiques inclues dans le livre Taking America Back for God: Christian Nationalism in the United States, écrit par Andrew Whitehead et Samuel Perry, nous aident à comprendre le soutien apporté par divers segments de la population américaine:
- 52% des Américains sont d’accord avec certaines ou avec toutes les croyances nationalistes chrétiennes.
- 65% des Afro-Américains soutiennent le nationalisme chrétien
- 88% des nationalistes chrétiens sont des protestants évangéliques blancs. Parmi les protestants évangéliques, 80% sont d’accord avec le nationalisme chrétien.
- 80% des républicains soutiennent le nationalisme chrétien alors qu’un peu plus d’un tiers des démocrates le fait.
- 75% des Américains qui ne sont pas d’accord avec le nationalisme chrétien ne sont pas chrétiens. [6]
Ces statistiques montrent que certains segments du christianisme américain sont devenus éhontés dans leur soutien manifeste et vocal à la suprématie blanche. Des croyances telles que la xénophobie, l’antisémitisme, le sexisme et l’hétérosexisme font partie de l’idéologie du nationalisme chrétien qui a été proclamée sous la bannière de Jésus et de Donald Trump lors des dernières élections générales de 2020.
Les nationalistes chrétiens et les politiciens d’extrême droite entretiennent une relation symbiotique, car ils ont besoin les uns des autres pour obtenir/maintenir leur pouvoir politique. Dans la culture politique actuelle, très peu de politiciens républicains peuvent accéder au pouvoir et y avoir de l’influence sans agir activement en tant qu’agents du nationalisme chrétien.
Le parti républicain a épousé le nationalisme chrétien principalement en raison de son pouvoir dans les isoloirs. Des points de vue similaires (la «conspiration électorale truquée de 2020», l’avortement, les droits concernant le port d’armes, le patriarcat et l’idée de «rendre sa grandeur à l’Amérique» en s’efforçant de la définir comme une nation chrétienne) font que les conservateurs politiques et les nationalistes chrétiens souhaitent partager ce même lit confortable.
Une autre raison pour laquelle les statistiques citées plus haut indiquent un soutien substantiel au nationalisme chrétien, c’est leur utilisation des églises et des institutions religieuses comme sites de mobilisation de l’engagement politique et civique. Par conséquent, lorsque vous arrivez dans certaines églises pour assister à votre service religieux hebdomadaire, à une étude biblique ou à une réunion de prière, il existe une possibilité bien réelle, qu’à leur place, un rassemblement politique occupe le devant de la scène.
Faire la guerre pour Dieu?
La croyance que «le pays est au bord de la décadence morale» et que «Dieu exige des fidèles qu’ils fassent la guerre pour défendre le bien» est le moteur du mouvement nationaliste chrétien.
Les adventistes du septième jour sont-ils prêts à soutenir un mouvement politique disposé à faire la guerre pour régler les «problèmes de Dieu»? Où donc s’inscrit l’avertissement de Zacharie 4.6 dans cette image? «Ce n’est ni par la puissance ni par la force, mais c’est par mon Esprit, dit l’Eternel, le maître de l’univers». Quel Dieu le nationalisme chrétien reflète-t-il?
Andrew Whitehead et Samuel Perry ont identifié les deux caractéristiques principales de ceux qui soutiennent le nationalisme chrétien: «la croyance que Dieu attend de ses fidèles qu’ils fassent la guerre pour défendre le bien et la croyance en l’enlèvement de l’église». [7]
Des personnes bien réelles et des personnes que nous aimons sont exploitées par un agent de pouvoir politique qui se fait passer pour une cause religieuse. De nombreux adventistes du septième jour qui ont une longue tradition de soutien à la politique conservatrice devraient trouver des raisons de s’inquiéter en constatant l’alignement croissant et délibéré de la politique de droite avec le nationalisme chrétien.
Michael W. Campbell, s’exprimant au nom de la division nord-américaine de l’Association ministérielle des adventistes, déclare: «Ce genre de nationalisme chrétien est ce dont les adventistes ont parlé prophétiquement. Malheureusement, de nombreux adventistes y sont entraînés ou impliqués.» On peut affirmer que les politiciens d’extrême droite évoluent rapidement vers un nouveau parti républicain qui est prêt à faire avancer la cause de la suprématie blanche, de l’assujettissement racial et du dominionisme.
Comment les adventistes répondront-ils à un mouvement qui va au-delà du patriotisme pour essayer d’imposer le christianisme dans la sphère publique? Placer son identité politique, tribale, nationale ou chrétienne avant sa foi nous rappelle ce qui s’est passé lors du génocide rwandais de 1994, lorsque des adventistes ont tué d’autres adventistes. C’est un triste rappel de ce que les opinions extrémistes peuvent faire lorsqu’elles sont motivées par la haine et la peur, et c’est une leçon de politique difficile à apprendre car la soif de pouvoir peut tourner les cœurs des membres d’église les uns contre les autres.
La position adventiste
Nous trouvant aujourd’hui dans un contexte politique similaire, il nous faut réfléchir à qui nous sommes et à ce qui nous définit vraiment en tant que disciples de Jésus-Christ. Est-ce la grâce ou bien est-ce le désir de pouvoir et d’influence, sous couvert d’un christianisme politisé? Notre foi nous rend-elle complices du mal fait aux personnes vulnérables et marginalisées de la société? Notre foi informe-t-elle notre politique lorsque nous comprenons qu’en fin de compte, toute politique décide de celui qui profite et de celui qui souffre? Se pourrait-il que trop de croyants soient prêts à offrir le pouvoir de l’évangile à l’idéologie du nationalisme chrétien plutôt que de le voir comme le mouvement politique qu’il est? La foi est puissante, et c’est pourquoi le nationalisme chrétien est dangereux.
En tant qu’adventistes du septième jour, nous avons la responsabilité de faire plus que simplement prendre du recul et réaffirmer que nous soutenons la séparation entre l’église et l’état. Aujourd’hui, en Amérique, la plus grande menace à la liberté religieuse, c’est le nationalisme chrétien. Nous devons dénoncer avec audace l’alignement de la foi avec la politique.
Plus important encore, nous devons démontrer qu’il existe une différence entre le christianisme et le nationalisme chrétien. Le premier est une religion remplie de grâce; le deuxième est une menace à nos libertés et à notre démocratie qui engendre une société autoritaire dépourvue de grâce. Le royaume de Dieu n’est pas de ce monde. Notre Dieu est un Dieu d’amour et de grâce qui aspire à faire sienne chaque personne. La quête de pouvoir dans laquelle le mouvement nationaliste chrétien est engagé est contraire au message de Jésus. Seule la grâce peut apporter espoir et transformation à un monde troublé.
- Stewart Katherine. The Power Worshippers. Bloomsbury Publishing, New York, 2019, p.235. ↑
- Whitehead Andrew L. et Perry Samuel L. Taking America Back for God: Christian Nationalism in the United States. Oxford: Oxford University Press, 2020, p.10. ↑
- Lewis C.S. Yours, Jack: Spiritual Direction by C.S. Lewis. Harper One: 2008. ↑
- Yancey Philip. What’s So Amazing About Grace? Zondervan: 2002, p.233. ↑
- Whitehead Andrew et Perry Samuel, p.163. ↑
- Ibid. p.25, 41-43. ↑
- Ibid. p.12. ↑
Pendant 25 ans, Robert D. Crux, Ed.S, a travaillé comme enseignant, directeur et surintendant d’écoles dans l’éducation adventiste avant de prendre sa retraite en 2016, à Lawton, dans le Michigan. Ces jours-ci, il aime écrire, lire, faire du vélo, construire des maquettes de chemin de fer, mais surtout, il aime profiter de ses petits-enfants. La version anglaise de cet article est parue le 7 décembre 2022 sur le site d’AdventistToday.