Comment Jésus considérait les femmes
par Sonja Dewitt | 10 avril 2023
De nos jours, beaucoup de gens voient Jésus comme une sorte d’incarnation fossilisée de la vertu idéale – un conservateur tentant de revenir aux «valeurs traditionnelles». Cependant, les habitants de la Judée du premier siècle ne reconnaîtraient pas ce portrait. En fait, cette image les ferait rire de façon incrédule, car le Jésus des Evangiles était loin d’être un maître accommodant, conservateur et protecteur de platitudes pieuses.
Les gens ordinaires le percevaient comme une bouffée d’air frais – une force énergisante, quoique déconcertante, qui balayait la ville en guérissant, en bénissant et en racontant des histoires de la vie de tous les jours. Ses messages étaient parfois si étranges et défiant toute logique que ses auditeurs se grattaient la tête ou bien s’exclamaient avec indignation.
Les chefs religieux le considéraient comme un radical, un fauteur de troubles et un instigateur, un briseur d’anciens tabous et un tueur de vaches sacrées, un individu faisant de son mieux pour saper leur structure sociale traditionnelle – l’ancien système de lois, de règles et d’organisation sociale qui leur avait été donné par Dieu lui-même.
Mais là où le radicalisme de Jésus était le plus évident, le plus choquant et le plus dérangeant pour ses contemporains, c’était dans ses interactions avec les femmes. Dans la Palestine du premier siècle, le statut des femmes n’était que légèrement supérieur à celui des esclaves. En fait, le sort d’un esclave ordinaire était, à bien des égards, meilleur que celui d’une femme. Plus de deux millénaires plus tard, il nous est presque impossible de cerner totalement l’oppression et la répression sévères subies par les femmes à l’époque de Jésus.
Isolées, soupçonnées, exclues
L’historienne Elisabeth Tetlow a conclu que, dans ce temps ancien, les femmes étaient considérées comme nettement inférieures aux hommes. Elle écrit: «Avoir un garçon était bien préférable au fait d’avoir une fille. Chaque matin, les hommes juifs rendaient grâce à Dieu qu’ils étaient nés homme et non femme.»[1]
Dans les écrits juifs datant de l’époque intertestamentaire, Elisabeth Tetlow constate que «les femmes étaient généralement décrites comme des tentatrices et des objets sexuels pervers. Il était fortement conseillé aux hommes d’éviter tout contact avec elles, sauf pour la tâche indispensable de procréer et d’avoir des enfants. Les femmes étrangères étaient considérées comme particulièrement dangereuses. De plus, la littérature rabbinique décrit les femmes, non seulement comme des tentatrices malfaisantes, mais aussi comme des sorcières et des nymphomanes.»[2]
Les femmes avaient peu d’occasions de réfuter de telles théories, car la culture juive les maintenait isolées de presque tous les hommes. Elisabeth Tetlow écrit qu’il était fortement déconseillé aux hommes d’entretenir des conversations avec les femmes, et que «les épouses devaient généralement être confinées à la maison. En présence des autres, leurs têtes devaient être couvertes et leurs visages voilés. Lorsque des invités masculins étaient présents, les femmes n’étaient pas autorisées à prendre leurs repas avec leur famille.»[3]
Légalement, les femmes en Israël étaient considérées comme la propriété des hommes. Devant un tribunal, leur témoignage n’avait pas de poids et n’était pas accepté comme preuve.[4]
De plus, les femmes juives étaient exclues de l’éducation et même de l’étude de la Torah.[5] Le Talmud de Jérusalem note l’opinion d’Eliezer ben Hyrcanus, un rabbin et érudit de la fin du premier siècle et du début du deuxième siècle: «La sagesse des femmes ne concerne que le fuseau, et les paroles de la Torah devraient plutôt être brûlées que confiées à des femmes.»[6] Il a également déclaré que «quiconque enseigne la Torah à sa fille lui enseigne tiflut» [qui signifie soit lascivité, soit vanité et absurdité].[7]
Les femmes n’étaient pas autorisées à participer au culte. Aux repas, elles ne devaient pas réciter les prières, et elles ne pouvaient pas être comptées pour constituer un minyon (le quorum requis pour qu’un service de culte ait lieu). Alors qu’en théorie, tout adulte avait le droit de prêcher dans la synagogue, les femmes se voyaient refuser la possibilité de prêcher parce qu’elles étaient physiquement séparées des hommes pendant les offices, et parce qu’on ne leur avait pas appris à lire.[8]
Jésus, le révolutionnaire
Si nous ne comprenons pas la culture juive au cours de la période intertestamentaire, nous pouvons passer complètement à côté du fait que la façon dont Jésus traite les femmes est tout à fait révolutionnaire; comme cela se constate à maintes reprises, tout au long des évangiles. Par son enseignement et son exemple, Jésus rejette ouvertement les structures traditionnelles rigides d’une société qui opprime les femmes.
1. Jésus voyage avec les femmes et leur permet de le servir.
Dans un cadre culturel où les femmes quittent rarement la maison et ne sont pas autorisées à sortir en public sans être voilées, plusieurs d’entre elles sont identifiées, dans les évangiles, comme des disciples qui voyagent avec Jésus à travers la Palestine et le servent quotidiennement (Marc 15.40-41). Nous pouvons supposer que d’autres femmes (qui ne sont pas nommées) les aient rejointes.
2. Jésus parle à des femmes qu’il ne connaît pas, même à des femmes étrangères.
Dans une culture où les hommes sont fortement découragés de converser avec les femmes, Jésus leur parle régulièrement. Outre celles qui le suivent en tant que disciples, il est rapporté qu’il converse avec la femme samaritaine, près du puits (Jean 4.7-26); avec la femme pécheresse qui lui lave les pieds avec ses larmes (Luc 7.36-40); avec la femme adultère (Jean 8.3-11); avec celle qui souffre d’une perte de sang (Marc 8.43-48); et avec la femme syro-phénicienne (Marc 7.26-28).
Ce qui est encore plus extraordinaire, c’est que toutes ces femmes auxquelles Jésus s’adresse directement tombent dans l’une des trois catégories «interdites» au juif pratiquant et le rendent anathème: les femmes «déchues», les femmes impures et les étrangères.
3. Jésus permet aux femmes de devenir disciples et d’apprendre de lui.
A une époque où les rabbins croient qu’il vaut mieux brûler les livres sacrés que de donner une instruction religieuse aux femmes, Jésus leur permet de rejoindre les rangs de ceux qui écoutent ses enseignements. Plus frappant encore, Jésus prend le temps d’enseigner les femmes, même dans des contextes privés. On raconte explicitement qu’il enseigne son amie, Marie de Béthanie, et qu’il encourage sa sœur, Marthe, à participer à l’étude plutôt que de continuer à faire les tâches traditionnellement «réservées aux femmes», comme la cuisine et l’accueil des invités (Luc 10.38-42). Il se lance également dans une longue discussion théologique, en tête-à-tête, avec la femme samaritaine (Jean 4.10-26), et il débat avec la femme syro-phénicienne qui le supplie de guérir sa fille (Matthieu 15.21-28).
4. Jésus touche les femmes et leur permet de le toucher.
A une époque où les contacts physiques entre hommes et femmes sont strictement proscrits et censés être limités, même entre époux, Jésus touche les femmes et leur permet de le toucher.
Il prend la fille de Jaïrus par la main lorsqu’il la ressuscite d’entre les morts (Luc 8.41-42, 51-56). Encore plus choquant, il reconnaît publiquement qu’une femme cérémonieusement impure, car elle souffre de saignements menstruels chroniques, l’a touché (Luc 8.43-48). Selon la loi de Moïse, le contact physique avec une telle femme rend Jésus cérémonieusement impur jusqu’au soir, ce que les bons Juifs cherchent à éviter à tout prix (Lév. 15.19).
Mais, du point de vue d’un individu vivant au premier siècle, l’acte de Jésus le plus scandaleux, c’est de permettre à la femme pécheresse d’oindre ses pieds. Cela offense les sensibilités juives pour de multiples raisons: (1) la femme est une prostituée connue; (2) elle s’introduit dans une pièce remplie d’hommes, seule et non invitée; (3) elle dénoue ses cheveux, en public! (4) elle verse un parfum très onéreux sur le corps de Jésus; et (5), selon Marc 14. 3-9, elle embrasse ses pieds. Imaginez les palpitations qu’un tel comportement a pu causer à un pharisien respectable du temps de Jésus! Même de nos jours, cela soulèverait plus d’un sourcil!
5. Jésus donne aux femmes la tâche d’être des évangélistes.
La femme samaritaine, près du puits, a peut-être été l’évangéliste mentionnée dans les évangiles qui a eu le plus de succès (Jean 4.5-42). Elle parle de sa rencontre avec Jésus à presque tous les habitants de son village, et beaucoup se convertissent (versets 39, 41). Marie-Madeleine est probablement la première évangéliste chrétienne puisque Jésus la choisit, délibérément, pour être la première à partager la nouvelle de sa résurrection (Jean 20.1-18).
6. Jésus explicitement rejette l’enseignement des rabbins selon lequel les femmes sont la source de la luxure et du péché sexuel.
Dans un examen du sermon sur la montagne, un spécialiste du texte biblique explique: «Contrairement à la pensée juive qui avait tendance à blâmer les femmes pour les péchés sexuels, Jésus concentre toute son attention sur les hommes et sur les mesures qu’ils doivent prendre pour éviter de tomber en tentation. C’est l’homme qui regarde une femme avec convoitise dans Matthieu 5.28. C’est l’homme qui doit arracher son œil droit ou couper sa main droite aux versets 29 et 30. C’est l’homme qui fait commettre l’adultère à la femme (v. 32a), ou qui commet l’adultère lui-même (v. 32b). [9]
Dans une société qui tenait les femmes pour responsables de la luxure masculine, Jésus replace la responsabilité, non pas sur les «femmes lascives», mais sur ceux à qui elle appartient: ceux qui convoitent avec leurs yeux et dans leurs cœurs.
7. Il rejette les vues de l’époque sur le divorce.
A l’époque de Jésus, l’enseignement juif sur le divorce est partagé entre deux écoles de pensée: Beit Shammai et Beit Hillel. «[Les adeptes de] Beit Shammai disent: «Nul ne divorcera de sa femme, à moins qu’elle n’ait un comportement impudique, comme il est indiqué [Deut. 24.1], ‘parce qu’il a découvert en elle ‘ervat davar’ [comportement impudique]’.» [Les partisans de] Beit Hillel disent, ‘Même si elle a gâché sa nourriture, parce qu’il est dit, ervat davar.’ Rabbi Akivah dit, ‘Même s’il a trouvé une autre [femme] plus jolie, comme il est indiqué [ibid.] ‘S’il arrive qu’elle ne trouve pas grâce à ses yeux’.»[10]
Dans une société où les épouses sont considérées comme une marchandise remplaçable, à échanger à volonté pour des raisons insignifiantes ou sans aucune raison, Jésus réaffirme le caractère sacré du lien conjugal, souligne l’égalité des femmes dans le mariage et rappelle à ses auditeurs le plan originel de Dieu. Jésus réagit également viscéralement devant l’extrême injustice subie par les femmes, car elles pouvaient être répudiées par leur mari sous le moindre prétexte, alors qu’elles n’avaient pas le droit de divorcer de leur mari. En plus de la stigmatisation sociale et de l’humiliation qu’elles subissent, les femmes divorcées sont économiquement démunies. Du temps de Jésus, les femmes non mariées ne sont pas autorisées à travailler, et elles ne reçoivent pas d’éducation; elles ont donc peu de compétences. Souvent, le remariage, la prostitution, la misère ou la faim sont leurs seules options.
Raviver une vérité oubliée
L’enseignement de Jésus sur le mariage représente un rejet explicite de toutes les croyances misogynes mentionnées ci-dessus. Jésus va bien au-delà de l’enseignement conservateur sur le divorce de Beit Shammai et fait ainsi de son propre enseignement une proclamation radicale de l’égalité des femmes. [11] Enfouis dans ses déclarations révolutionnaires se trouvent de multiples concepts profonds que ses auditeurs de l’époque ont sans aucun doute trouvés choquants, voire incendiaires:
- En faisant référence à l’histoire de la création, Jésus souligne une vérité oubliée: les femmes sont égales aux hommes. Les deux ont été créés par Dieu, et tous deux ont été créés à l’image de Dieu. Cette idée est en contraste frappant avec les enseignements de l’époque selon lesquels une femme est inférieure, apte seulement à être la servante de l’homme et le simple réceptacle de sa semence.
- Jésus précise que le mariage n’a pas été créé comme une commodité pour les hommes qu’ils peuvent annuler à volonté, sans culpabilité ni responsabilité. Au contraire, Jésus présente le mariage comme une alliance sacrée conclue devant Dieu entre deux êtres humains égaux, et il précise que la rupture de cette alliance est une offense sérieuse devant Dieu.
- En citant la Genèse qui fait référence à un homme «quittant son père et sa mère», Jésus fait une déclaration contre-culturelle choquante. Les lecteurs modernes peuvent facilement passer à côté du fait que, dans la Palestine du premier siècle, comme dans la plupart des cultures anciennes, un homme ne quittait pas son père et sa mère lorsqu’il se mariait. Au contraire, c’est l’épouse qui quittait sa famille et venait vivre avec la famille de son mari (Matthieu 19.3-10). Comme on peut s’y attendre, c’était une expérience douloureuse, voire terrifiante, pour une jeune fille, et cela contribuait grandement à l’inégalité de pouvoir dans le mariage.
Jésus rappelle à ses auditeurs que, selon les écrits sacrés de Moïse, c’est le plan de Dieu, à la création, que l’HOMME quitte également ses parents, créant ainsi un foyer nucléaire indépendant auquel chacun contribue de manière égale.
- En faisant référence au commandement déclarant qu’un homme «s’attache à sa femme», Jésus rejette ouvertement l’enseignement des pharisiens selon lequel les femmes sont des tentatrices maléfiques à éviter. Il met l’accent sur le lien émotionnel et spirituel viscéral et incassable qui devrait exister dans un couple marié. Pour se rendre pleinement compte à quel point cela est choquant pour ses auditeurs, notons que même ses disciples sont troublés et contrariés par cet enseignement.
- En citant l’expression «une seule chair», Jésus réfute clairement l’enseignement répressif des rabbins selon lequel le plaisir sexuel est un péché, même au sein du mariage. En faisant référence à l’ancienne tradition juive exprimée avec tant de lyrisme et de passion dans le Cantique des Cantiques, et de façon plus terre à terre, dans les Proverbes, Jésus incorpore la multitude de passages de l’Ancien Testament qui comparent l’intimité du mariage à la relation entre Dieu et son peuple.
«Que ta source soit bénie, fais ta joie de la femme de ta jeunesse, biche des amours, gazelle pleine de grâce! Que ses seins te rassasient constamment, enivre-toi sans cesse de son amour!» (Prov. 5.18-19).
Le statut élevé souhaité par Dieu
A la lumière de la signification profonde et sacrée investie dans la relation conjugale tout au long de la Bible, il est clair que Jésus a de bonnes raisons pour la juste colère qu’il manifeste devant la parodie mise en place par des individus «spirituellement éclairés».
Etant donné que les Ecritures utilisent maintes fois la relation conjugale comme symbole de la relation entre Dieu et son peuple, c’est un affront direct à Dieu lorsque les hommes de son propre peuple déforment la nature de son amour, de son sacrifice et de son souci pour ses enfants. Par leurs traitements durs et inhumains à l’encontre des femmes, celles qui sont censées être précieuses à leurs yeux, ils portent un faux témoignage contre le caractère de Dieu.
Loin d’être un maître conservateur qui défend les valeurs traditionnelles et gardent les femmes «à leur place» (à la maison), les actions et les enseignements de Jésus visent à redonner aux femmes le statut élevé prévu par Dieu: égales aux hommes et partenaires à part entière dans le ministère de restauration de l’humanité à l’image de Dieu.
- Elisabeth M. Tetlow, Women and Ministry in the New Testament (1980), pp. 5-29. ↑
- Ibid. ↑
- Ibid. ↑
- Ibid. ↑
- Ibid. Voir aussi le midrash tannaïtique, Sifre Devarim, p. 46. ↑
- Talmud de Jérusalem, Sotah 3.4, 19a. ↑
- Talmud de Babylone, Sotah, 21b. ↑
- Tetlow, supra. ↑
- Gordon Wenham, “Divorce in First-Century Judaism and the New Testament”, essai présenté à Belfast, en Irlande, p. 8, disponible en ligne at www.wisereaction.org/ebooks/wenham_divorce_first.pdf. ↑
- Mishnah Gittin 9.10, www.Sefaria.org. ↑
- Voir www.myjewishlearning.com/article/ancient-jewish-marriage/ ↑
Sonja Dewitt est avocate des droits civils avec plus de 20 ans d’expérience dans le traitement des affaires d’égalité professionnelle. Elle a un vif intérêt pour la liberté religieuse et a travaillé avec l’Association pour la liberté religieuse en Amérique du Nord pour laquelle elle a reçu un prix. Elle blogue sur des sujets divers, comme la religion, la politique, le gouvernement et la justice sociale. La version de la Bible utilisée dans cette traduction est la Segond 21. La version anglaise de cet article est parue le 26 septembre 2019 sur le site d’AdventistToday.
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