Adventistes et Catholiques: l’histoire d’une relation turbulente
par Reinder Bruinsma | 25 octobre 2024 |
Présentation prévue à l’Université de Loma Linda pour le 12 octobre 2024 mais annulée par le président de la Conférence Générale, Ted Wilson. Elle a été déplacée au Norte Vista High School Theater, 6585 Crest Avenue Riverside, California 92503.
Je suis très heureux de me trouver devant vous et de participer avec d’autres collègues à ce programme spécial lié à la publication de mon livre Adventists and Catholics: the History of a Turbulent Relationship. La plupart d’entre vous sauront que l’organisation de ce programme a provoqué une sérieuse commotion. Je suis très reconnaissant de ce qu’un autre endroit ait pu être trouvé pour vous accueillir.
Cette conférence s’appuie sur le contenu de mon livre, mais veut ouvrir un certain nombre de perspectives pour l’avenir. Je souhaite suggérer quelques domaines dans lesquels catholiques et adventistes peuvent apprendre les uns des autres.
Caractéristiques communes
Les lecteurs de mon livre noteront que les adventistes ont (au moins officiellement) continué à insister sur le fait que, tout au long de son histoire, le catholicisme romain n’a pas fondamentalement changé et ne changera pas vraiment à l’avenir. L’Église romaine peut, comme l’a suggéré Ellen White, présenter «un beau visage» au monde, mais elle est inchangée, et «sous l’apparence variable du caméléon, elle [l’Église catholique] cache le venin invariable du serpent»[1]. Je crois que le temps est venu où nous devons nous distancer de cette caractérisation. L’Église médiévale des siècles précédant le concile de Trente, et même l’Église de Vatican I, n’est pas la même que celle que préside le pape François, tout comme la petite Église adventiste des «pionniers» de Joseph Bates, James White et Uriah Smith, n’est pas l’Église de 2024 avec ses 23 millions de membres sous la direction de Ted N.C. Wilson.
L’Église catholique et l’Église adventiste font partie des quelques organisations religieuses qui ont une présence véritablement mondiale. L’Église catholique compte aujourd’hui environ 1,4 milliard de membres dans le monde[2]. À la mi-2023, l’Église adventiste comptait 22,4 millions de membres[3]. L’Église est officiellement présente dans 212 pays[4]. Selon l’historien de l’Église adventiste George Knight, l’Église catholique et l’Église adventiste du septième jour sont les seules Églises qui peuvent prétendre être véritablement «catholiques» (au sens premier du terme, c’est-à-dire «générales»)[5].
L’un des aspects les plus remarquables de l’adventisme a été son extrême réticence, dans ses premières années, à l’égard de toute structure organisationnelle supérieure au niveau local. L’Église adventiste est cependant devenue progressivement l’un des mouvements religieux les plus étroitement organisés au monde. Elle prétend avoir une structure démocratique, avec l’église locale comme base. Les échelons supérieurs sont censés tirer leur autorité d’un système représentatif, dans lequel les organisations «supérieures» sont élues par les délégués des organisations «inférieures». Mais on ne peut nier que cette structure est, dans les faits, devenue de plus en plus hiérarchique, avec de facto un pouvoir sans cesse croissant du président de l’Église mondiale[6]. William G. Johnsson (1934-2023), éminent auteur et érudit adventiste, a souligné que nous remarquons de plus en plus comment l’autorité dans l’Église adventiste ne va plus du bas vers le haut, mais du haut vers le bas[7], ce qui l’amène à répéter la question que George Knight a posée en 2017: «À quel point voulons-nous vraiment être catholiques?»[8]
Nous trouvons également un remarquable point commun dans le domaine du dogme. Dans l’Église catholique, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi – depuis 2022 le nouveau nom de ce qui était connu sous le nom de Congrégation pour la Doctrine de la Foi – sert de «chien de garde» pour la pureté de la doctrine et l’application correcte de la discipline ecclésiastique.
L’Église adventiste a connu une évolution intéressante en ce qui concerne son corps de doctrines et sa détermination croissante à protéger l’enseignement adventiste officiel. Les premiers adventistes ont rejeté l’idée de suivre la plupart des autres dénominations en formulant un credo, mais avec le temps, l’Église a décidé de créer une déclaration de croyances fondamentales (aujourd’hui au nombre de 28) qui, dans la pratique, fait office de credo[9]. Alors que les adventistes affirment avec insistance et constance que la Bible est la seule source de leur théologie, ceux qui ont une connaissance même élémentaire de la théologie historique reconnaîtront que les théologiens adventistes n’ont jamais travaillé dans un vide théologique et philosophique et qu’ils n’étaient pas à l’abri des diverses traditions théologiques qui les influençaient[10]. Depuis 1975, l’Institut de recherche biblique, situé au siège de l’Église, joue un rôle crucial dans la définition et la sauvegarde de la doctrine adventiste.
La doctrine de l’infaillibilité papale, promulguée lors de Vatican I (1869-1870), a fait l’objet de nombreuses critiques de la part des protestants en général et des adventistes en particulier. Bien que l’adventisme officiel n’attribue aucune infaillibilité à Ellen G. White, de nombreux membres de l’Église estiment que son don prophétique a garanti que ses écrits sont corrects non seulement sur le plan théologique, mais aussi sur le plan historique et scientifique.
Un point commun regrettable (à mon avis) entre catholicisme et adventisme est le refus persistant de donner aux femmes la place qui leur revient de droit, et qui est prescrite par la Bible, dans l’Église. Dans la controverse sur l’ordination des femmes pasteurs, les dirigeants de l’Église ont affirmé à maintes reprises qu’une fois qu’une décision a été prise lors d’une convocation de l’Église mondiale, elle doit être respectée comme le dernier mot sur cette question particulière[11].
Un autre parallèle important dans le domaine de l’ecclésiologie entre le catholicisme et l’adventisme concerne la position particulière de leur Église par rapport aux autres Églises. Les catholiques n’adhèrent plus au point de vue de Cyprien sur le nulla salus extra ecclessiam, mais ils maintiennent toujours la position unique de l’Église romaine – la véritable Église à laquelle les «frères séparés» doivent retourner[12]. Les adventistes n’ont jamais cru qu’il y avait nulla salus en dehors de leur Église, mais ils continuent à revendiquer un statut très spécial pour leur dénomination, qui est l’Église du reste de la prophétie biblique[13].
Des défis communs
Les parallèles et les similitudes entre le catholicisme et l’adventisme peuvent être significatifs, mais il en va de même pour les nombreuses différences – dans nos histoires, nos théologies et nos styles de culte. Mais aussi en ce qui concerne les dévotions religieuses et les formes populaires de piété, la manière dont l’Église est administrée et les tendances de style de vie des membres. Toutefois, dans cet exposé, je ne mettrai pas l’accent sur ce qui nous sépare, mais sur ce que nous pouvons apprendre les uns des autres. Je pense que cette approche repose sur une base solide. Comme beaucoup d’autres confessions chrétiennes, nous affirmons les vérités fondamentales du Credo des Apôtres[14], un fait que les adventistes ont souvent tendance à oublier lorsqu’ils comparent les deux confessions.
L’Église catholique romaine est fermement ancrée dans l’histoire. Les protestants ne sont pas d’accord avec les catholiques sur le fait qu’il existe une ligne directe entre l’apôtre Pierre et l’origine de l’Église catholique. Ils désignent souvent la période du pape Grégoire Ier le Grand, à la fin du sixième siècle, comme l’époque qui a marqué le début du catholicisme romain. Les chrétiens adventistes ne doivent pas oublier que, pendant de nombreux siècles, il n’y a pas eu d’autre grand mouvement chrétien et que, même après la scission avec la chrétienté orientale en 1054, jusqu’à la Réforme protestante, l’Église catholique romaine est restée la voix chrétienne dominante dans le monde occidental et au-delà. En tant que chrétiens adventistes, nous pouvons voir beaucoup de choses que nous considérons comme erronées dans la doctrine et la pratique catholiques romaines – en particulier pendant la période médiévale – mais, dans nos critiques, nous avons tendance à oublier tout ce que nous devons à l’Église des siècles passés. C’est à cette Église, que nous critiquons tant, que nous devons l’expansion de la mission dans de nombreuses parties du monde, y compris l’évangélisation de mon pays, les Pays-Bas, au huitième siècle.
Il faut constamment rappeler aux adventistes ce que nous devons à l’Église catholique dans les domaines de la théologie, de la spiritualité, de l’hymnode, de l’art religieux, de l’architecture, de la création, de la multiplication et de la conservation des manuscrits, ainsi que des réalisations culturelles et autres dans de nombreux domaines par les différents ordres monastiques. Aujourd’hui, les théologiens catholiques romains continuent à jouer un rôle important dans toutes les disciplines de la recherche biblique et religieuse.
En tant que branches légitimes de l’Église chrétienne, le catholicisme et l’adventisme diffèrent effectivement dans leur manière de prêcher l’Évangile et d’exercer leur ministère auprès de leurs membres, mais ils sont confrontés à un certain nombre de défis sérieux et identiques. Permettez-moi d’en mentionner brièvement quelques-uns. L’Église chrétienne dans le monde occidental lutte dans de nombreux endroits pour sa survie, avec un exode alarmant des jeunes générations, en particulier[15]. Cela est vrai pour l’Église catholique comme pour l’Église adventiste. Là où l’Église croît encore dans le monde occidental, c’est surtout grâce à l’arrivée d’un grand nombre d’immigrés chrétiens. Mais dans de nombreux endroits, les paroisses sont regroupées[16], les bâtiments d’église sont fermés et vendus, et la fréquentation des églises est en chute libre[17], tandis que le recrutement de nouveaux membres du clergé pose un sérieux problème.
L’historien de l’Église Philip Jenkins a écrit sur le mouvement de plus en plus rapide du christianisme vers le Sud[18] et a fait référence à plusieurs reprises dans son livre The Next Christendom (La prochaine chrétienté) à l’expérience du catholicisme. Il aurait pu utiliser l’adventisme comme autre exemple. En 1926, il y avait autant d’adventistes aux États-Unis que dans le reste du monde, alors qu’aujourd’hui, seuls 6 % des adventistes vivent en Amérique du Nord et 7 % des catholiques aux Etats-Unis[19]. Aujourd’hui, la vaste majorité des catholiques et des adventistes vit dans le monde non-occidental.
Avec d’autres communautés chrétiennes, les catholiques et les adventistes sont confrontés à la tâche stupéfiante de représenter le Dieu chrétien et de présenter l’Évangile de son Fils Jésus-Christ aux vastes métropoles urbaines du monde d’aujourd’hui, ainsi qu’à la région de notre globe que les missiologues appellent la fenêtre 10-40, où seul un petit pourcentage de la population connaît le Christ dans un sens réel[20]. [Avec d’autres chrétiens, les catholiques et les adventistes sont confrontés à l’immense tâche de partager l’amour du Christ et la grâce divine avec un monde post-postmoderne, de plus en plus analphabète sur le plan biblique, totalement matérialiste et séculier. En dépit de toutes nos différences, nous sommes partenaires dans l’accomplissement de la mission que le Christ a confié à ses disciples avant de quitter cette terre[21].
L’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi le thème des relations adventistes-catholiques pour ma thèse de doctorat, et pour le livre qui en est issu, était d’apporter une contribution modeste mais significative à la réduction de l’hostilité adventiste envers le catholicisme et à la prise de conscience que nous sommes, avec toutes nos différences, des partenaires dans l’accomplissement de la mission que le Christ a donnée à ses disciples avant de quitter cette terre.
Que peuvent apprendre les catholiques romains des adventistes du septième jour ?
Dans son livre Catholics and Protestants, Peter Kreeft, professeur de philosophie au Boston College, suggère que les protestants peuvent se tromper en voyant trop peu de bien dans le catholicisme, et il confesse qu’en tant que catholique, il peut courir le risque de voir trop peu de bien dans le protestantisme[22]. Je suppose que les adventistes se sont trop concentrés sur ce qu’ils considèrent comme mauvais dans le catholicisme romain et ont ainsi souvent manqué de voir les nombreuses bonnes choses dans l’Église catholique d’hier et d’aujourd’hui. Avant de mentionner certaines de ces choses que les adventistes devraient essayer de voir, permettez-moi de suggérer qu’il y a aussi des choses dans l’adventisme qui pourraient être bonnes à considérer pour les catholiques.
Premièrement, je pense à l’accent mis par les adventistes sur un mode de vie sain et d’autres éléments positifs du style de vie. De nombreux documents montrent que, grâce à leur mode de vie, les adventistes du septième jour sont en moyenne en meilleure santé et vivent plus longtemps que la plupart des autres segments de la population. Dans des études comparatives récentes sur la santé, les adventistes ont obtenu de meilleurs résultats que les catholiques à plusieurs égards[23]. Les catholiques possèdent également un potentiel de longévité. Parmi ce qu’on appelle communément les «zones bleues», où vivent un nombre exceptionnel de personnes âgées de plus de cent ans, deux d’entre elles sont en prédominance catholique[24].
Pour les adventistes du septième jour, une vie saine est une implication pratique de leur théologie de l’intendance. Les chrétiens doivent, selon eux, reconnaître que Dieu est propriétaire de tout, y compris de notre corps. Cela signifie que prendre soin de son corps n’est pas seulement une question de bon sens, mais que cela a aussi une importante connotation religieuse. Les catholiques pourraient s’inspirer des adventistes pour observer de plus près le principe chrétien de l’intendance et ses implications pour un mode de vie sain. Cela ne veut pas dire que les catholiques, dans leur théologie et leur pratique, ont au fil du temps ignoré cet aspect de la foi, mais, d’un point de vue adventiste, il y a beaucoup de place pour l’amélioration.
Il en va de même pour un autre élément de l’intendance: le domaine financier. L’Église catholique et l’Église adventiste sont toutes deux «riches» en termes de biens immobiliers[25]. Mais elles ont souvent du mal à trouver les fonds nécessaires à la gestion quotidienne de leurs congrégations et au fonctionnement de leur organisation. Pour cela, elles doivent dans une large mesure dépendre de la générosité continue de leurs membres. C’est ici que le principe de générosité systématique entre en jeu. Après avoir expérimenté une autre méthode, les adventistes ont adopté le système biblique de la dîme. La promotion constante et persistance du système de la dîme a servi de base à une structure financière bien plus solide que la plupart des autres dénominations. Une promotion plus large et mondiale du système de la dîme pourrait aider l’Église catholique à fonctionner à ses nombreux niveaux avec moins d’inquiétudes financières.
Un troisième domaine dans lequel les catholiques pourraient apprendre des adventistes concerne leur jour de repos hebdomadaire. Bien sûr, les adventistes continueront d’insister sur le fait qu’en prônant le dimanche comme jour de repos hebdomadaire, ils sont allés à l’encontre de la directive biblique de sanctifier le septième jour de la semaine. Cependant, dans ce contexte, je ne me concentre pas sur le jour particulier de la semaine qui est mis de côté comme le sabbat, mais sur la façon dont le jour de culte est «gardé saint». Les croyants catholiques sont censés assister à la messe le dimanche ou, si cela pose problème, le samedi soir. Dans les cercles catholiques, le «repos» du sabbat est en grande partie pratiqué sous forme de sport, de shopping et de divertissement, malgré les documents catholiques officiels qui décrivent le jour de repos hebdomadaire en termes beaucoup plus élevés et spirituels. Dans l’encyclique Dies Domini, le pape Jean-Paul II a invité les croyants à «redécouvrir avec une intensité nouvelle le sens du dimanche: son «mystère, sa célébration, sa signification pour la vie chrétienne et humaine»[26]. Le théologien adventiste Sigve Tonstad estime que si cette invitation était acceptée et traduite dans la pratique, elle aurait des «conséquences considérables», car le sabbat contient «une vaste réserve inexploitée, qui touche le désir le plus profond des êtres humains, quel que soit leur milieu ou leur profession»[27]. Les adventistes ne sont certainement pas parfaits dans l’observation du sabbat, mais je crois qu’ils sont loin devant les catholiques à cet égard et fournissent un modèle à suivre, bien qu’imparfait.
Que peuvent apprendre les adventistes du septième jour des catholiques romains ?
Parmi les nombreuses choses que les adventistes peuvent apprendre du catholicisme, j’ai choisi trois éléments que je trouve extrêmement significatifs et que j’apprécie comme une leçon pour moi et mes coreligionnaires. Ces trois éléments sont étroitement liés. Le premier est l’attitude à l’égard du temps. Le deuxième concerne le rôle de l’art dans la vie de l’Église, tandis que le troisième se concentre sur les aspects du culte.
Le temps
Les adventistes du septième jour sont toujours pressés. Le temps est court parce que le Christ arrive bientôt. Lorsque l’Église se réunit pour son congrès mondial quinquennal, les participants sont informés que c’est peut-être la dernière fois que l’Église mondiale se réunit avant de se retrouver dans le royaume. La conviction de vivre à la toute fin des temps a donné à la foi et à la pratique adventistes un sentiment d’urgence et une dynamique qui ont des aspects positifs. Elle donne à l’Église les caractéristiques d’un mouvement, d’une marche vers un but précis, plutôt que d’une institution qui veut simplement continuer à exister. Les signes des temps sont des signaux qui indiquent que la fin est proche. Il ne reste que peu de temps pour accomplir la mission de l’Église, qui est de partager avec le monde le message des trois anges d’Apocalypse 14. Cependant, il y a un autre côté de la médaille. Le mot «bientôt» doit être constamment nuancé. L’Église doit faire face à la dissonance cognitive[28] d’interprétations prophétiques erronées et au problème du «retard» de la seconde venue[29].
Ce sentiment de la proximité de la venue du Christ et de la fin de notre monde actuel a sérieusement entravé l’adventisme dans sa planification à long terme. Les choses auraient pu être bien différentes si, dans les années 1970 et 1980, l’Église avait été capable de penser quelques décennies à l’avance. Mais le système organisationnel découpe le temps en segments courts, avec des plans et des slogans limités aux quatre ou cinq prochaines années ! Les nouveaux plans stratégiques sont souvent lancés avant que les projets précédents n’aient été correctement mis en œuvre et évalués.
L’Église catholique romaine a un rapport différent au temps. Elle a le sens de l’histoire et sait que les changements et les évolutions prennent du temps. Elle a l’habitude de planifier en termes de décennies, voire plus, plutôt qu’en termes d’années, et se concentre beaucoup moins sur ce que l’Église veut faire que sur ce qu’elle veut être. Se pourrait-il que les adventistes aient en fait un rapport au temps plutôt séculier ? Le septième jour a une signification particulière mais, en dehors du sabbat, le temps est le terrain de l’activité. Les jours, les semaines, les mois et les années sont quantifiés dans un cycle de réunions de circonscriptions et de conférences générales, tandis que pour les catholiques, l’eucharistie quotidienne et le calendrier chrétien donnent au temps un rythme sacré spécial qui supplante l’expérience purement séculière du temps[30].
L’Église adventiste doit en quelque sorte conserver son sens de l’urgence – qui est une partie vitale de son identité – tout en apprenant du catholicisme que beaucoup de choses prennent du temps, et que sans une vision à long terme et suffisamment de patience, l’Église perd une grande partie de sa capacité à fournir du repos et est vulnérable à l’obsession des activités qui doivent être faites dans un court laps de temps.
L’art
Pendant des siècles, la foi chrétienne et les arts ont été des alliés étroits. D’innombrables personnes ont été inspirées par les peintures, les sculptures, les vitraux, la poésie, les hymnes et les grandes cathédrales de la chrétienté L’Église catholique romaine, en particulier, a non seulement commandé et collectionné de grandes œuvres d’art, mais, plus important encore, elle a intégré l’art dans son culte et ses ministères.
Avec son histoire beaucoup plus courte, sa taille beaucoup plus petite et l’accent qu’elle met sur la brièveté du temps qui reste, il est logique que l’Église adventiste ait un rapport différent avec les arts. La plupart des édifices religieux sont fonctionnels et peu intéressants d’un point de vue architectural. Certaines institutions adventistes possèdent des sculptures, dont la plupart sont plutôt naturalistes[31]. Les illustrateurs de livres et les graphistes adventistes ont souvent produit des œuvres de bonne qualité, mais la plupart d’entre elles peuvent être considérées comme de l’art appliqué, plutôt que comme de l’art à part entière.
En règle générale, l’art catholique a cherché à «invoquer et médiatiser le sacré par l’image et le travail de l’œil», tandis que les adventistes ont eu tendance, peut-être même plus que la plupart des autres confessions protestantes, à mettre l’accent sur «les modes de communication intellectuels et verbaux», et «à éduquer l’esprit et l’élever par la parole et le travail de l’oreille»[32], ce qui a créé un déséquilibre: une « dévotion presque totale à la religion cognitive au détriment de la religion de l’expérience et de l’émotion»[33].
Ce que le professeur australien Daniel Reynaud a dit à propos de la musique s’applique aux arts en général: Les adventistes ont tendance à ne pas faire de distinction claire entre les arts «comme moyen d’évangélisation et comme forme d’expression artistique plus générale»[34].
Alors que les adventistes peuvent avoir de sérieuses inquiétudes sur la manière dont les objets d’art, tels que les images de Marie et des saints, sont vénérés dans une grande partie de la piété catholique populaire, ils pourraient se laisser inspirer par les résultats catholiques concernant les arts, en dépassant leur définition souvent beaucoup trop étroite de l’essence et du rôle de l’art dans l’expérience de la foi.
Le culte
Ce qui me frappe le plus lorsque j’assiste occasionnellement à un culte catholique ou que je le regarde à la télévision, c’est qu’il se passe des choses. Il diffère du culte protestant dominé par le sermon, qui peut être agrémenté de quelques éléments liturgiques, en ce sens que le culte catholique est beaucoup plus visuel, varié et interactif. Comme à l’époque de l’Ancien Testament, il offre une expérience de culte qui fait appel à tous les sens. Le regretté professeur C. Raymond Holmes (1929-2022), qui s’est converti à l’adventisme après avoir été luthérien, a enseigné la théologie pratique à l’université Andrews. Il pensait qu’il était «peut-être providentiel que l’Église adventiste du septième jour n’ait pas beaucoup de racines liturgiques». Cela leur offrait la possibilité, disait-il, «d’ouvrir une page blanche pour créer des formes de culte distinctivement adventiste»[35]. La question de savoir si l’adventisme pouvait ou non faire table rase du passé reste un sujet de débat, mais le type de formes que l’Église a développées laisse, à mon avis, beaucoup à désirer. Le culte adventiste a, dans une large mesure, été dénommé par un sens de l’activisme – promouvoir des projets missionnaires et des choses qui doivent être faites. Il suffit de penser au slogan actuel de la dénomination: «Atteindre le monde – j’irai», lancé par le président de la Conférence générale lors du congrès mondial de 2020[36], et non pas : «Je prierai», ou «Je méditerai». Plutôt que de fonder son cycle de culte annuel sur l’année liturgique traditionnelle avec les fêtes chrétiennes, l’Église adventiste a un calendrier de sabbats spéciaux au cours desquels les départements et les projets de l’Église sont promus. La différence entre l’expérience cultuelle adventiste et catholique est peut-être mieux caractérisée par le contraste entre l’accent mis sur l’action contre l’accent mis sur l’être.
Au début de mon cheminement théologique, j’ai lu le livre fondamental de Rudolf Otto (1869-1937), Das Heilige, publié en anglais sous le titre The Idea of the Holy[37]. Il m’a fait prendre conscience que ma propre religion adventiste était trop rationnelle et, dans une large mesure, ne tenait pas compte de l’élément numineux, auquel Otto se référait en tant que mysterium tremendum et fascinans. La peur adventiste de rendre la religion trop émotionnelle et d’introduire d’une manière ou d’une autre des idées et des formes «catholiques» – et donc de nous conduire sur un chemin dangereux vers Babylone – prive les adorateurs du « toucher du sacré»[38].
Le fait que plusieurs des fêtes chrétiennes soient liées au dimanche est sans doute l’une des raisons pour lesquelles les adventistes ont été réticents à adopter la tradition chrétienne commune de l’année liturgique. Progressivement, les services de Noël ont été mieux acceptés dans les églises adventistes de nombreuses régions du monde. Mais les fêtes orientales et les autres jours importants du calendrier chrétien sont encore (à mon avis) très sous-estimés.
Pour que le culte adventiste soit véritablement axé sur la valeur de notre Créateur et Rédempteur, avec des symboles et des rituels qui ne s’adressent pas seulement, ou même principalement, à l’esprit, mais très certainement aussi à l’esprit et au cœur, les adventistes doivent se débarrasser de leur crainte d’introduire des éléments catholiques. Beaucoup de ces éléments sont «catholiques» dans le sens où ils appartiennent à l’ensemble du christianisme, et donc aussi à l’Église adventiste. Je m’interroge: Y aura-t-il un jour un moment où nous pourrons regarder un culte non-adventiste, (même un culte catholique romain) sans chercher en premier lieu ce que nous n’aimons pas ou considérons comme non biblique, mais plutôt en appréciant ce qui est beau et peut enrichir le culte adventiste du septième jour ?
Conclusion
Ne nions pas les différences majeures qui séparent les protestants, et en particulier les adventistes du septième jour, des catholiques romains. Cependant, en décrivant ces différences, n’oublions jamais les croyances et les traditions fondamentales que nous avons en commun.
Faisons un effort constant pour cesser de donner une image erronée des autres dénominations chrétiennes, y compris de l’Église catholique. J’espère que mon livre pourra jouer un rôle dans ce processus. Peut-être pourrons-nous, à un moment donné, décider de demander pardon pour les nombreuses fois où nous avons accusé des croyants catholiques et, en particulier, l’Église catholique, à tort ou d’une manière qui n’était absolument pas chrétienne. Trop souvent, les auteurs et prédicateurs adventistes ont fait preuve de partialité et de préjugés. Certes, dans le passé, les sentiments anticatholiques n’étaient pas un phénomène exclusivement adventiste. Mais les temps ont changé. Ensemble, nous devons maintenant relever le défi qui consiste à apporter l’Évangile à un monde de plus en plus sécularisé et non chrétien.
Je prie pour que l’Église adventiste du septième jour puisse conserver son identité, sans plus longtemps considérer les autres Églises chrétiennes – y compris l’Église catholique – comme ennemies, mais plutôt comme alliées dans l’accomplissement de la mission évangélique. Essayons, pour ce faire, d’apprendre les uns des autres, de nous inspirer mutuellement, dans l’accomplissement de notre tâche sacrée.
- Ellen G. White, The Great Controversy (Mountain View, CA: PPPA, 1911), p. 571. ↑
- Https://omnesmag.com/en/newsroom/new-data-church-world/# ↑
- Https://www.adventistresearch.info/wp-content/uploads/ACRep2023.pdf ↑
- Https://encyclopedia.adventist.org/assets/pdf/article-5DZV.pdf ↑
- George R. Knight, Adventist Authority Wars, Ordination, and the Roman Catholic Temptation (Westlake Village, CA: Oak and Acorn Publishing, 2017), p. 41. ↑
- See, e.g., Matthew Quartey, Https://spectrummagazine.org/views/twenty-six-years-under-wilson-leadership-review-2-2/ ↑
- William G. Johnsson, Where Are We Headed? Adventism after San Antonio (Westlake Village, CA: Oak and Acorn Publishing, 2017), p.161. ↑
- Knight, Ibid., p. 42. ↑
- For a history of the development of Adventist Fundamental Beliefs, see: Sergio Silva, Development of the Fundamental Beliefs Statement with Particular Reference to the Fundamental Belief #6: Creation (Journal of the Adventist Theological Society, vol. 21. no. 1-2; 2010), pp. 14-44. ↑
- A striking example is the Adventist adoption of the historicist tradition in their interpretation of apocalyptic prophecy. For a short history of the historicist interpretive model, see Reimar Vetne, “A Definition and Short History of Historicism as a Method for Interpreting Daniel and Revelation” (Journal of the Adventist Theological Society, Vol. 14, no. 2; Fall 2003), pp. 1-14. ↑
- This view is supported by an oft-quoted statement by Ellen White: “I have been shown that no man’s judgment should be surrendered to the judgment of any one man. But when the judgment of the General Conference, which is the highest authority that God has upon earth, is exercised, private judgment must not be maintained, but be surrendered. (Testimonies for the Church, vol. III, p. 392. ↑
- B.B. Beach, “Looking Back on the First Session of Vatican Council II,” Review and Herald (Feb. 14, 1963), p. 9. ↑
- For the text, see: Church Manual, rev. ed. (Silver Spring: Secretariat of the Seventh-day Adventist Church, 2022), pp. 51, 52. ↑
- For the text of the Apostle’s Creed, and some historical background: see J.N.D. Kelly, Early Christian Creeds (London, UK: Longmans, Green and Co, Ltd, 1960), pp. 368-434. ↑
- An example is the “mass exodus” of Catholics in the USA and Britain. See: Stephen Bullivant, Mass Exodus: Catholic Disaffiliation in Britain and America since Vatican II (Oxford, UK: Oxford University Press, 2019). ↑
- The diocese of Utrecht is a sad example of this trend. Of the circa 300 parishes in the past only 46 remain today. Https://gcatholic.org/dioceses/diocese/utre0.htm?tab=stat. ↑
- For recent statistics of Adventist church attendance, see David Trim’s statistical report 2023, Https://documents.adventistarchives.org/Statistics/Other/ACRep2023.pdf ↑
- Philip Jenkins, The Next Christendom: The Coming of Global Christianity (Oxford: Oxford University Press, 2002). See also: Westly Granberg-Michaelson, From Times Square to Timbuktu: The Post-Christian West Meets the Non-Western Church (Grand Rapids, MI: Eerdmans, 2013), pp. 7-12. ↑
- Leslie Woodcock Tentler, American Catholics: A History (New Haven, CT and London, UK: Yale University Press, 2020), 289–353. ↑
- The term “10/40 window” refers to a geographical region on the world map that stretches between 10 degrees and 40 degrees north of the equator. This area encompasses parts of Africa, the Middle East, and Asia. ↑
- The so-called gospel commission is found in: Matthew 28: 18-20; also: Mark 16: 15, 16: Luke 24:46-49; and John 20:19-23. ↑
- Peter Kreeft, Catholics and Protestants: What Can We Learn from Each Other? (San Francisco: Ignatius Press, 2017), p.12. ↑
- E.g. Majda, Anna, Joanna Zalewska-Puchała, Iwona Bodys-Cupak, Alicja Kamińska, Anna Kurowska, and Marcin Suder, 2021, “Comparison of Lifestyle of Catholics and Seventh-Day Adventists and the Relationship with Homocysteine as Risk Factor for Cardiovascular Diseases, a Cross-Sectional Study in Polish Males and Females” International Journal of Environmental Research and Public Health 18, no. 1: 309. Https://doi.org/10.3390/ijerph18010309 ↑
- Https://www.bluezones.com/wp-content/uploads/2015/01/Nat_Geo_LongevityF.pdf. The five areas are: (1) Okinawa, Japan; (2) Sardinia, Italy; (3) Icaria, Greece; (4) Nicoya, Costa Rica; and (5) the Seventh-day Adventist community around Loma Linda in southern California. The areas in Sardinia and Costa Rica are predominantly Roman Catholic. ↑
- The global Catholic Church is reported to have assets valued at some 73 billion dollar. (Https://www.marketplace.org/2023/02/10/how-much-money-does-catholic-church-have/), while the Adventist Church has assets to the tune of some 16 billion dollar. This figure for the Adventist Church, however, dates from 1998; I have not been able to find a more recent estimate. (Https://www.workandmoney.com/s/worlds-richest-religious-organizations-4b6a530bcc744205). ↑
- Dies Domini, par. 3. For the text, see e.g. http://www.scborromeo.org/docs/dies_domini.pdf ↑
- Sigve K. Tonstad, The Lost Meaning of the Seventh Day (Berrien Springs, MI: Andrews University Press, 2009), p. 505. ↑
- The classical study of cognitive dissonance remains: Leon Festinger, When Prophecy Fails (Redford, VA: Wilder Publications, 1956). ↑
- See Malcolm Bull and Keith Lockhart, Seeking a Sanctuary: Seventh-day Adventism & and the American Dream (San Francisco: Harper and Row, 1989 ed). pp. 54, 55; Sakae Kubo, God Meets Man: The Theology of the Sabbath and Second Advent (Nashville, TN: Southern Publishing Association, 1979), chapter “The Problem of Delay”, pp, 97-104. ↑
- See: Terrence Sweeney, “Living in Liturgical Time.” Https://genealogiesofmodernity.org/journal/2020/12/16/christian-time-4zcaf. ↑
- An example is the sculpture of the Good Samaritan at Loma Linda University. For a picture, see: Https://llu.edu/about-llu/history/about-seventh-day-adventists/good-samaritan ↑
- Robin M. Jensen, The Substance of Things Seen: Art, Faith and the Christian Community (Grand Rapids, MI: Eerdmans, 2004), p. 52. ↑
- Daniel Reynaud, “Toward an Adventist Aesthetic for the Arts,” Spectrum, vol., 32, no. 3 (Summer 2004), p. 53. ↑
- Ibid., p. 50. ↑
- C. Raymond Holmes, Ritual and Adventist Worship (Ministry, February 1983), pp. 8, 9. 13. ↑
- Https://www.pastortedwilson.org/ahead-of-the-launch-of-the-seventh-day-adventist-churchs-strategic-plan-ted-n-c-wilson-asks-when-god-calls-you-will-you-say-here-i-am-send-me/ ↑
- Rudolf Otto, The Idea of the Holy (New York: Oxford University Press, 1923. ↑
- Cf the title of the book by the Dutch practical theologian, F. Gerrit Immink, which I was privileged to translate into English: The Touch of the Sacred: The practice, theology and tradition of Christian Worship (Grand Rapids, MI: Eerdmans Publishers, 2014. ↑
Reinder Bruinsma vit aux Pays-Bas avec sa femme, Aafje. Sur trois continents, il a servi l’église adventiste dans les domaines de l’édition, de l’éducation et de l’administration. Il maintient toujours un emploi du temps bien chargé, partagé entre la prédication, l’enseignement et l’écriture. Il blogue sur http://reinderbruinsma.com/. La version anglaise de cet article est parue le 16 octobre 2024 sur le site d’AdventistToday. Cette présentation a été traduite par Jean-Claude Verrecchia et est également publiée sur son blog.
Pour rejoindre la conversation, cliquez ici.