Sola Scriptura? C’est compliqué
par Rich Hannon | 13 juillet 2023 |
Historiquement, les adventistes du septième jour se sont décrits eux-mêmes comme «le peuple de la Parole». Cette expression a pour but de transmettre l’idée que nous prenons la Bible comme seul critère de notre foi et, pour cette raison, nous étudions assidûment les Ecritures pour en extraire ses vérités. En effet, notre première croyance fondamentale affirme, en partie:
«Les Saintes Ecritures constituent la révélation suprême, souveraine et infaillible de sa volonté. Elles sont la norme du caractère, le critère de l’expérience, le révélateur irrévocable des doctrines et le récit digne de confiance des interventions de Dieu dans l’histoire.»
Cette explication cherche à capturer l’idée exprimée par l’expression «Sola Scriptura» qui nous vient du latin et qui signifie «Seulement (par) les Ecritures». Cela veut dire que la doctrine et la pratique de l’église ne doivent se baser que sur la Bible – le principe de base de la Réforme protestante – contrairement au catholicisme qui professe que la doctrine peut se baser à la fois sur les Ecritures et sur la tradition de l’église. Les réformateurs soutenaient que la tradition avait, au fil des siècles, pollué une doctrine authentique basée sur la Bible.
Il est donc parfaitement cohérent que l’adventisme, se considérant comme «l’église du reste» (et par conséquent héritiers de la Réforme), adopte une perspective basée sur la Sola Scriptura, ce qui implique aussi que nous sommes l’antithèse d’une église catholique qui s’appuie également sur la tradition.
Les complexités fondamentales
Adopter le concept de «Sola Scriptura» comme croyance est une chose; le mettre en pratique en est une autre. La difficulté fondamentale va au-delà de l’interprétation biblique.
Il existe deux problèmes universels qui ont le potentiel de compromettre toute communication. Premièrement, les auteurs peuvent transmettre des idées de façon imprécise, et ce qu’ils souhaitent communiquer n’est pas dit ou écrit convenablement. Deuxièmement, même si un auteur exprime correctement ses idées, les auditeurs ou les lecteurs peuvent mal interpréter le texte.
Dans le cas de la Bible, nous avons tendance à minimiser la première difficulté potentielle. Et ceux qui sont attachés à l’idée de l’infaillibilité du texte essaient de l’éliminer complètement. Officiellement, l’adventisme ne soutient pas le concept d’infaillibilité. Si on essaie d’y soumettre la Bible, on rencontre de sérieux problèmes.
Mais, comme cité plus haut, la première croyance fondamentale utilise le terme infaillible, ce qui, pour moi, est très proche d’inerrant. Et, peu importe ce que la croyance de l’église affirme, les auteurs – même ceux qui sont inspirés – sont soumis aux limitations humaines. Donc, la considération concernant à évaluer si la transmission d’un message est plus qu’optimale ne devrait pas être écartée promptement. En effet, l’une des évaluations les plus importantes (et relativement récentes) du texte biblique, c’est de considérer combien la nature et l’étendue de la perspective d’un auteur ont pu influencer la manière dont il forme ses idées. Présupposer que nous pouvons, avec nos perspectives modernes, lire et comprendre la Bible correctement n’est en effet que cela – une présupposition. Et celle-ci ne devrait pas être «baptisée» comme «Sola Scriptura».
Cependant, même si quelqu’un présume que la Bible toute entière est tombée du ciel sans passer par la pensée humaine, les lecteurs ont encore la capacité de mal comprendre. Cela devrait être évident. Il suffit de considérer la pléthore des différences doctrinales issues de la même source tout au long de l’histoire. Et, au-delà de ces différentes théologies officielles, il existe une collection encore plus large d’idées (parfois plutôt excentriques) offertes par tous les chrétiens, individuellement. Les gens ont des histoires, des talents d’interprétation et des connaissances bibliques variés. Mais cela ne les empêche pas d’exprimer leurs opinions, quelles que soient leurs limites. Et parfois, ces opinions sont articulées avec passion et certitude. Il y a donc de vrais problèmes de transmission potentiels entre Dieu, l’initiateur, et l’humanité, en général.
Puis, il y a la difficulté réelle concernant la formation du canon: comment cette collection d’écrits que nous appelons la Bible a été assemblée et a reçu le statut d’ouvrage inspiré. Toute la chrétienté n’est pas en accord en ce qui concerne le choix de nos 66 livres. Quiconque cherchera, ne serait-ce que superficiellement, à examiner comment ces livres ont été choisis pour faire partie du canon reconnaîtra que c’était un processus de longue haleine qui a fait face à bon nombre de complications. Je pense que nous avons tendance à passer cette considération sous silence en affirmant que Dieu était présent et qu’il contrôlait le choix des écrits qui étaient inclus ou exclus.
Personnellement, je suis disposé à accepter cette idée par la foi. Mais c’est bien cela: une affirmation faite par la foi et mise en application par la tradition de l’église. Donc, une vue trop simple qui souhaiterait opposer l’idée de Sola Scriptura à la tradition devrait au moins se rendre compte que la formation du canon était un ensemble de décisions prises par l’église primitive.
L’adventisme et Ellen White
Ensuite, il y a la réalité des préférences doctrinales d’une sous-culture. Diverses dénominations se sont formées parce qu’il y avait, dans les doctrines ou les pratiques chrétiennes de l’époque, quelque(s) chose(s) que les fondateurs souhaitaient souligner ou corriger. Au début, dans le cas de l’église adventiste, il s’est agit – surprise, surprise – du sabbat et du retour de Jésus. Les fondateurs ont donc inclus ces deux priorités dans le nom de notre dénomination. Et, comme tous les adventistes le savent, l’église prêche d’autres aspects importants qui influencent ses croyances et sa culture. Mais, éclipsant largement toute autre influence, se trouvent la vie et le ministère d’Ellen White. Elle est littéralement l’Ellen-phant dans la pièce.
Ellen White a écrit à profusion et a donné du poids à de nombreuses positions théologiques tirées de la Bible. Ces emphases élèvent certains passages bibliques sous-jacents d’une manière qui n’aurait pas eu lieu sans son influence. Il se pose donc la question de savoir si cette accentuation est appropriée ou si elle a faussé la hiérarchie interne de l’importance théologique offerte par la Bible. Manifestement, au cours de l’histoire adventiste, l’église a souligné l’importance de l’eschatologie; parfois au détriment des principes au cœur de l’enseignement de Jésus que nous devrions mettre en pratique.
Certaines doctrines étaient avancées et soutenues par une méthodologie utilisant des textes-preuves. Je pense que celle-ci était plus une fonction du processus de développement de la théologie du christianisme du 19ème siècle en général, et pas seulement une approche adventiste. Cependant, alors que le temps passe, les critiques concernant cette méthodologie devraient réclamer une re-visitation de la manière dont la théologie s’est formée, ainsi que ses priorités. Mais ces propositions ont toujours rencontré de la résistance, surtout s’il s’agit d’une position qui a reçu le soutien d’Ellen White.
Encore plus central à l’interprétation biblique adventiste et à l’attachement à la «Sola Scriptura» se trouve le commentaire direct et explicite d’Ellen White que l’on retrouve dans les cinq ouvrages compris entre Patriarches et prophètes et La Tragédie des siècles. Pour les membres qui ont beaucoup d’estime pour Ellen White, ces livres, en développant les détails d’une histoire et en accentuant l’intensité du matériel de base, enveloppent la Bible tel un manteau. Il n’est donc pas étonnant que de telles extensions en soient venues à être subrepticement canonisées par osmose. Permettez-moi d’être clair. Je ne suis pas en train d’essayer de décrier ces ouvrages. Loin de là. Je les ai lus, et je les ai appréciés. En outre, n’importe quel commentaire qui élabore à partir des histoires et des thèmes de la Bible va courir le même risque. La différence, c’est le degré d’autorité officiellement accordé à Ellen White que l’on retrouve dans la croyance fondamentale numéro 18: «Le don de prophétie.»
«Encrassements» globaux
Dans la danse adventiste entre Sola Scriptura et tradition, le rôle d’Ellen White est complexe en raison de l’ambiguïté concernant son autorité. Comme noté précédemment, un mélange de présuppositions peut pousser une croyance exogène à être considérée «Scriptura».
Avec le temps, l’un des problèmes auxquels les navires ont à faire face est l’accumulation de saletés sur la coque. Il peut s’agir de dépôts chimiques, comme le tartre, ou biologiques, comme les barnacles. Régulièrement, dans des cales sèches, il convient de s’en débarrasser si on souhaite que la vitesse du bateau ne soit pas altérée et que l’intégrité de la coque ne soit pas compromise. On appelle cela l’encrassement.
Des encrassements se produisent dans nos compréhensions bibliques lorsqu’au fil du temps y sont ajoutées des croyances qui ne sont pas directement ou adéquatement dérivées de la source. Ellen White en est un exemple tortueux en raison de l’ambigüité avec laquelle son inspiration est définie pour les adventistes. Mais chaque fois qu’un prédicateur improvise sur une histoire de la Bible ou une maxime, il y a embellissement. Cela est fait innocemment et dans le but de satisfaire les critères d’une bonne homélie. Cependant, cela ajoute aussi des détails qui ne sont pas présents dans la source.
Les figures d’autorité en qui on a confiance ont aussi une très grande influence. Chaque croyant a son prédicateur et son auteur préféré. Leurs présentations sont des extensions à ce que les Ecritures souhaitent communiquer, et ils les partagent avec une confiance apparemment issue de la fidélité à la source. Mais parfois, cette confiance est accordée trop librement, et un commentaire particulier se trouve inclus avec ce qui est considéré biblique. Le concept de «Sola» peut être compromis si, au minimum, le croyant n’est pas conscient de cela. Mais la situation est bien évidemment pire si les idées que de telles autorités expriment ne sont pas en accord avec la vérité révélée.
C’est donc bien compliqué
Il y a des années, je faisais partie d’un forum en ligne où nous discutions quelques-unes de ces idées. L’un des participants était plutôt fâché avec moi. Il avait l’impression que je dénigrais la Bible, et il a expliqué que ce que je suggérais était «comme si la parole de Dieu était telle de la paille propre qui traversait le système digestif d’un âne et qui ressortait en crottin». Il n’a pas compris que je souhaitais souligner la complexité de la question et encourager à la prudence. Il pensait que j’affirmais que ce qui restait, lorsque le lecteur y avait accès, était des déchets sans valeur et dénaturés. Bien sûr, ce n’était pas ce que je cherchais à exprimer – ni à l’époque ni maintenant. De façon ironique, cet échange a exemplifié les problèmes de communication dont nous parlons, bien que, dans ce cas, l’inspiration ne soit pas le problème en question.
Par contre, ce que je suis en train de suggérer, c’est que l’idée de «Sola Scriptura» est aspirationnelle, et que les questions que je pose devraient nous pousser vers l’humilité, car nous pourrions penser, de façon simpliste, que nous formons nos doctrines en nous basant seulement sur la Bible, lorsque ce n’est pas le cas. Je ne cherche pas à générer le doute, mais à encourager un équilibre réfléchi et sensé lorsque nous créons, adhérons et modifions nos croyances fondamentales.
Rich Hannon est un ingénieur en informatique à la retraite. Ses passe-temps de longue date incluent la philosophie, la géologie et l’histoire médiévale. La version anglaise de cet article est parue le 28 novembre 2022 sur le site d’AdventistToday.