Les leçons de l’œuf cosmique de Richard Rohr
par Colette Carr | 1 mai 2025
Je suis certaine que vous connaissez ce sentiment lorsqu’en lisant quelque chose, vous vous rendez compte qu’ils expriment clairement ce que vous pensiez depuis quelque temps. C’est enthousiasmant et valorisant. C’est ce qui m’est arrivé lorsque j’ai découvert la métaphore de l’œuf cosmique, telle qu’elle est décrite par Richard Rohr. Il décrit un contenant en forme d’œuf qui contient Mon histoire, Notre histoire, Les autres histoires et L’Histoire.
Née dans une famille adventiste, ayant à la fois aimé et été frustrée par Notre histoire, et cependant fermement ancrée dans L’Histoire, je n’ai eu aucune difficulté à m’identifier à sa métaphore.
Mon histoire
Ce premier dôme abrite ma vie privée. Moi, mes sentiments et mes opinions sont le point de référence pour tout. Ce dôme est la petite scène où je joue mon rôle et où les questions sont généralement: «Comment je me sens? En quoi je crois? Qu’est-ce qui me rend unique?»
Ce sont nos années formatrices, lorsque nous essayons de comprendre qui nous sommes et ce qui nous rend différents. C’est une étape importante, car elle nous aidera à évoluer dans la société en étant conscients des dons que nous pouvons offrir. La maxime «Connais-toi toi-même» est connue depuis bien longtemps, et pour de bonnes raisons.
Par exemple, j’ai très vite appris que j’étais l’enthousiaste de la famille: mettre en scène des spectacles, dire une blague pour détendre l’atmosphère, organiser des jeux, rassembler les gens, etc. J’ai aussi appris que j’étais douée pour les langues et les arts du spectacle, mais que le sport, les mathématiques, et la physique n’étaient pas ma tasse de thé.
Cette connaissance est bonne, mais elle n’est pas suffisante. La vie est bien plus que mon histoire personnelle. Tout ne tourne pas autour de moi, et mon point de vue n’est que cela, une vue depuis un point. Richard Rohr explique:
Mon histoire n’est pas assez large ni assez vraie pour créer à elle seule des schémas significatifs, mais beaucoup de gens vivent toute leur vie à ce niveau d’anecdotes et d’image de soi cocoonée, sans jamais se connecter aux dômes d’entendement plus vastes. Ils sont ce qu’ils ont fait et ce qu’on leur a fait – rien de plus. Ce «moi» devient fragile et exposé; il est donc constamment en difficulté, facilement offensé et craintif.
Notre histoire
Ce deuxième dôme représente notre famille, notre groupe, notre église, notre parti, notre pays, etc. C’est là que nous apprenons à interagir les uns avec les autres et à grandir en tant qu’individus vivant en communauté. C’est, espérons-le, un lieu sûr, un espace où nous sommes acceptés, encouragés et aimés. C’est là que nous sommes confrontés à des personnes qui sont différentes de nous, mais pas trop. Nous avons beaucoup en commun et nous nous sentons compris. Dans cet espace, je ne suis pas parfait, ceux qui m’entourent ne sont pas parfaits, mais ils font partie de «ma tribu».
De façon intéressante, Rohr remarque:
Malheureusement, beaucoup s’arrêtent au niveau de cette raison d’être commune, car elle apporte au petit moi plus de réconfort et de sécurité. En fait, les loyautés à ce niveau ont guidé la majeure partie de l’histoire humaine jusqu’à aujourd’hui.
Le dôme de «notre histoire» est difficile à percer, car c’est là que nous pouvons clairement définir qui appartient ou n’appartient pas à notre groupe. Nous avons tendance à y rester parce que nous nous sentons à l’aise et en sécurité entre les murs de notre bergerie.
Dans ma vie, «notre histoire» est représentée par ma famille et l’église Adventiste. Je suis profondément reconnaissante quant à l’histoire dans laquelle j’ai grandi. J’ai découvert que je faisais partie d’une grande famille, et lorsque j’ai commencé à voyager, j’ai compris qu’elle était plus grande que je ne le pensais et vraiment précieuse. J’y ai trouvé ma place, j’y ai développé mes talents et je m’y suis épanouie.
C’est également sous ce dôme que j’ai traversé mes plus grandes douleurs, mais c’est aussi là que j’ai vécu mes plus belles rencontres avec Dieu. Ces expériences à vous couper le souffle étaient si profondément personnelles et émouvantes que je ne doutais pas que Dieu était avec moi et, par extension, avec mon église. J’étais dans la bonne église.
Les autres histoires
Le troisième dôme de compréhension est ce que j’appelle les autres histoires. Ce terme illustre la prise de conscience importante et parfois douloureuse que notre histoire n’est pas le seul cadre possible, probablement pas le cadre le plus important, et peut-être même un cadre contenant pas mal de coins d’ombre et de préjugés. […] Au fur et à mesure que nous découvrons les histoires d’êtres humains du monde entier, la sagesse de certains grandit, alors que pour d’autres, ce sont les peurs qui se multiplient. Il n’y a qu’une chose plus dangereuse que l’égo individuel ou celui de mon histoire, c’est l’égo collectif qui insiste sur le fait que notre histoire est la mesure de toutes choses et cherche ainsi à qualifier les autres histoires d’ignorantes, de dangereuses ou d’inférieures.
C’est au cours de ces dix dernières années que j’ai été davantage exposée aux histoires des autres et que mon intérêt pour elles s’est développé. Cela a peut-être commencé avec une petite fille d’Argentine. Je venais de revoir le documentaire émouvant de Pascal Plisson intitulé Sur le chemin de l’école.
L’un des personnages principaux s’appelle Carlos. Il vit avec sa famille dans une région reculée de la Patagonie. Et il a une petite sœur. Carlos parcourt de longues distances à cheval pour aller à l’école, sa sœur Micaela assise derrière lui. A un moment donné, sur leur chemin, Carlos arrête son cheval près d’un autel – quelques pierres dressées au milieu de nulle part et décorées de rubans colorés. Il abrite une petite statue. Les enfants descendent de cheval et la petite Micaela s’agenouille devant l’autel. Elle ne prête pas attention au vent qui joue dans ses cheveux; ses yeux sombres sont fixés sur la petite statue. Ses lèvres bougent légèrement. Que partage-t-elle? Pour qui prie-t-elle?
Je ne suis qu’un être humain, mais dans ce moment calme et solennel, j’ai vu sa foi, et cela m’a touchée. J’ai repensé à cette scène à maintes reprises, et je n’arrive toujours pas à imaginer mon cœur fondre tandis que celui de Dieu rester froid et distant parce qu’elle prie une statue. Inconcevable dans mon église.
Pensons-nous adorer et prier parfaitement? Je ne le pense pas. Nous comptons sur la grâce de Dieu pour pallier à nos manquements. Alors pourquoi imaginons-nous que Dieu n’accorderait pas la même grâce aux autres?
Puis, en lisant de nombreux livres ou articles écrits par des auteurs de différentes confessions (certains diront que c’est là que réside le problème, mais je vous en prie, continuez à lire), j’ai été étonnée de constater à quel point leur expérience dans leur église et la mienne dans mon église étaient profondément similaires. Cela m’est arrivé si souvent que j’ai dû admettre que nous n’étions pas particulièrement singuliers. Si nous regardons par-dessus nos murs, nous découvrirons peut-être que les gens, là-bas, traversent les mêmes difficultés, partagent la même communion fraternelle, ont les mêmes questions et le même espoir. Nous découvrirons peut-être que l’enclos du berger est bien plus grand que nous ne le pensions, et que nombre de brebis que nous considérions comme perdues y vivent déjà.
Dans l’église Adventiste, j’ai vécu de merveilleux moments, profonds et authentiques. J’étais dans la «bonne» église dans le sens que c’était celle que j’ai trouvée sur mon chemin, et j’y ai rencontré Dieu. Je sais maintenant que beaucoup d’autres personnes à la recherche de l’Amour, de par leur lieu de naissance ou leur parcours de vie, ont vécu cette même rencontre dans un contexte totalement différent. L’Esprit de Dieu souffle où il veut.
Que pensez-vous de cette citation de Gotthold Ephraim Lessing (L’éducation du genre humain)?
Chaque petite secte ou religion porte en elle, sans doute, un grain de vérité qui la rend apte à servir le grand dessein de la fertilisation du monde – mais aussi longtemps que les sages de chaque secte ou religion se prendront pour les enfants chéris du divin Père qui les gratifie d’une faveur qu’il refuse au reste de l’humanité, la plénitude de l’idée de Dieu ne sera atteinte par aucune d’elles.
Il a écrit cela dans les années 1700! Sommes-nous enfin capables de reconnaître qu’il a raison? Sommes-nous enfin prêts à reconnaître que Dieu a, certes, inspiré notre mouvement et nous a guidés, mais ni plus ni moins que d’autres hommes et femmes de bonne volonté qui se sont trouvés sur un chemin différent?
L’Histoire
Finalement, TOUTES nos histoires – la mienne, la nôtre et les leurs – sont incluses dans l’histoire globale de l’amour et du plan de Dieu pour l’humanité. Selon Rohr:
Le quatrième dôme de compréhension, qui englobe et régule les trois plus petits, c’est l’Histoire. J’entends par là les schémas qui sont toujours vrais. Ils sont bien plus larges et plus communs que n’importe quelle religion ou dénomination. [….] Par exemple, le pardon guérit toujours; peu importe que nous soyons hindous, bouddhistes, chrétiens ou juifs. […] De plus, il n’existe pas de manière spécifiquement chrétienne de nourrir les affamés ou de prendre soin de la planète. L’amour c’est l’amour, même si les motivations sont différentes.
Jésus a dit: «C’est à cela que tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples: si vous avez de l’amour les uns pour les autres» (Jean 13.35). Ainsi, lorsqu’un catholique, un bouddhiste et un adventiste aiment profondément, cela ne signifie-t-il pas qu’ils sont tous, dans le sens le plus profond, disciples de Jésus? Ou est-ce toujours aussi choquant de dire cela aujourd’hui que ce le fut pour les contemporains de Jésus de l’entendre déclarer qu’un Samaritain était plus proche du cœur de Dieu que les chefs religieux bien établis?
Nous comprenons tous que nos vies sont profondément influencées par notre lieu de naissance, notre culture, notre pays, notre religion et notre famille. C’est complètement aléatoire et largement injuste. Je ne peux imaginer qu’il en soit de même de notre capacité à être proches de Dieu. Selon les circonstances de notre naissance, Dieu vient à nous… ou cache son visage? Ecoute nos prières… ou les ignore? Accueille les cris de nos cœurs… ou se bouche les oreilles? Heureusement, nous pouvons lire:
Heureux ceux qui ont le cœur pur, car ils verront Dieu! (Matthieu 5.8)
Je désire la bonté, et non les sacrifices. (Matthieu 9.13)
En effet, l’Eternel n’a pas le même regard que l’homme: l’homme regarde à ce qui frappe les yeux, mais l’Eternel regarde au cœur. (1 Samuel 16.7)
Lorsque les hommes et les femmes, sur toute la surface de la terre, quelles que soient leurs croyances, leur culture et leurs pratiques, sont des artisans de paix, humbles, aimants et bienveillants, ne portent-ils pas les fruits de l’Esprit?
Quand Jésus prie «qu’ils soient un», de qui parle-t-il? De ceux qui appartiennent à l’église adventiste? De tous les chrétiens? Ou de tous ceux qui sont prêts à accomplir son œuvre; incluant même le fils qui, après avoir dit «non» à son père, décide malgré tout d’aller travailler (cf. Matthieu 21.28-32)?
Non, nous ne sommes pas le jaune de l’œuf. Mais je suis, nous sommes et ils sont inclus dans l’Histoire telle qu’elle est racontée par un Dieu dont les voies sont plus élevées que les nôtres. Je trouve cela réconfortant, plein de bon sens et profondément juste. Je n’ai pas besoin de renier mes racines. Je n’ai pas besoin de mépriser les racines des autres. Je dois simplement reconnaître, avec émerveillement et gratitude, que Dieu est capable d’inclure et de racheter toutes nos histoires.
Colette Carr écrit depuis Anchorage où elle explore les différents visages de l’Alaska. Parmi plusieurs autres activités créatives et éducatives, elle traduit des articles de l’anglais vers le français pour Adventist Today, et elle a une requête à vous faire: partageriez-vous ce lien avec toutes les personnes qui, selon vous, apprécieraient les articles en français de ce site web? Nous serions ravis d’agrandir le groupe de nos lecteurs francophones. Merci d’avance! La version anglaise de cet article est parue le 29 avril 2025 sur le site d’AdventistToday.
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