La tradition et le texte biblique
par Richard W. Coffen | 27 mars 2025 |
Vous avez peut-être vu Tevye dans Un violon sur le toit chanter «Tradition, tradition, tradition!» C’est le thème de cet essai. Et plus précisément, le rôle de la tradition dans notre lecture des textes bibliques.
Nos comportements, basés sur des traditions, ne sont pas nécessairement mauvais, mais ils peuvent être arbitraires. Par exemple, les américains ouvrent un cadeau en présence de ceux qui l’ont offert, ce qui surprend parfois dans d’autres cultures car cela donne l’impression que nous sommes cupides plutôt que, comme on pourrait le croire, reconnaissants. Pourquoi agissons-nous ainsi? Tradition! D’autre part, lorsque nous prenons un taxi, nous nous glissons à l’arrière du véhicule, alors que dans de nombreuses cultures, les clients s’installent à l’avant. Tradition!
Présuppositions
Par souci de clarté, je me dois d’énoncer quelques rudiments et suppositions:
- Les écritures judéo-chrétiennes sont des communications.
- Je crois que ces communications sont le résultat d’impulsions divines et humaines.
- Pour bien communiquer, les communications doivent spécifier qui sont les destinataires.
- Des «parasites» de toutes sortes peuvent entraver chaque étape de la communication. Ces principes fondamentaux constituent le modèle de communication Shannon et Weaver.
- A moins que de bonnes raisons ne prévalent, le rasoir d’Occam (l’explication la plus simple est généralement la bonne) prévaut.
- Pour développer mon argument, je vais supposer que Moïse et YHWH ont écrit le Pentateuque au XVème siècle avant J.-C., dans les années 1440 (certains spécialistes parlent du XIIIème siècle, les années 1200) et que, vers la fin du premier siècle après J.-C., dans les années 90, le livre de l’Apocalypse a été rédigé. (Tous les spécialistes ne s’accordent pas sur ces dates.)
Et ceci, qui est probablement le plus important:
- Le contexte culturel de toutes les communications bibliques était le Proche-Orient ancien, une culture très éloignée de celle dans laquelle vous et moi lisons ces écrits.
Langage et erreurs
Un fait historique, c’est qu’à l’époque où l’on communiquait avec le peuple hébreu ancien, il n’existait pas de langue ou d’alphabet hébraïques. Si Moïse a écrit le premier mot de la Genèse, il a utilisé l’alphabet protosinaïtique: au lieu que chaque hiéroglyphe égyptien représente un mot, il représente le son initial d’un mot. Le hiéroglyphe 𓈖 représente l’eau. En cananéen, ce terme était mayim. Ce hiéroglyphe en est donc venu à représenter le son de la première lettre du mot désignant l’eau: «mmm», une vocalisation à lèvres fermées. (Nous conservons un vestige de cette forme dans notre alphabet, hérité du latin, avec notre «M» ondulé.) Moïse a peut-être écrit ce premier mot sous forme de pictogramme, mais par une série d’étapes répertoriées par les scriptologues, les caractères de cette première proposition ont évolué pour devenir (lire de droite à gauche):
Au cours des 24 siècles qui ont suivi, de nombreuses copies manuscrites du texte hébreu ont été réalisées. Il arrivait parfois qu’un copiste introduise une erreur par inadvertance – les spécialistes appellent cela une «glose». Combien de gloses existe-t-il? Entre 200.000 et 400.000! Bart Ehrman a déclaré qu’il existe plus de variantes parmi les copies manuscrites que le nombre total de mots dans le Nouveau Testament!
Les spécialistes insistent sur le fait que seules quelques-unes de ces gloses modifient le sens du texte, mais elles existent néanmoins.
Autographes et infaillibilité
Plus de 10.200 manuscrits contiennent l’Ancien Testament, dans son ensemble ou en partie. En comparaison, il n’y a que 643 exemplaires de l’Iliade, 10 exemplaires de La guerre des Gaules et deux manuscrits des Histoires et annales de Tacite. On compte 5.800 manuscrits grecs du Nouveau Testament, 10.000 manuscrits latins et 9.300 manuscrits en d’autres langues anciennes (syriaque, slave, gothique, éthiopienne, copte, nubienne et arménienne).
Ceux qui prônent l’infaillibilité biblique affirment que les manuscrits originaux (les «autographes») sont exempts d’erreurs et de variantes. Cependant, cette affirmation est impossible à prouver car il n’existe aucun manuscrit «autographe» – autrement dit, personne ne possède de manuscrits écrits de la main de Moïse ou de Paul. Tous les manuscrits existants sont des copies de copies de copies de copies. Les autographes infaillibles sont le fruit de notre imagination.
Les adventistes du septième jour en ont une illustration intéressante. Il existe de nombreux écrits «autographes» d’Ellen White: 50.000 pages qu’elle a écrites, certaines de sa propre main. Sur son site web, le White Estate nous dit que «l’intégralité de ces 50.000 pages est disponible pour l’étude et la recherche dans 23 bureaux du White Estate à travers le monde». L’examen de ces pages manuscrites révèle des erreurs: orthographiques, syntaxiques, grammaticales, historiques, etc. Les «bookmakers» d’Ellen White ont corrigé certaines de ses erreurs avant leur diffusion.
Avec un tel exemple, les adventistes ne devraient pas être tentés par la doctrine de l’infaillibilité biblique des autographes.
Contexte et autorité
Quant à l’autorité des Ecritures, un problème important réside dans l’apparition de concepts scientifiques, éthiques et théologiques directement issus du Proche-Orient antique, une culture trop ancienne pour que nous puissions la comprendre pleinement. Comme l’écrit Jan M. Long dans The Sacred Hill We Climb:
«Certaines idées qui nous viennent des écrits sacrés de l’Antiquité ne s’accordent pas avec ce que nous savons aujourd’hui du monde physique. De plus, nous devons travailler avec des écrits qui ne concordent pas parfaitement entre eux sur tous les points: la Torah, le Nouveau Testament, le Coran, etc.» (p.25).
Supposons que vous veniez d’une autre culture et que vous arriviez dans un pays chrétien. Imaginez que votre voisin vous tende un livre en déclarant: «Voici un livre qui fait autorité. Il vous renseignera sur tout: la biologie, la géologie, l’astronomie, l’histoire et la théologie.» Vous jetez un coup d’œil à la date de publication: 1611. Vous approfondissez vos recherches. La première partie du livre date de près de 3.500 ans! Pourquoi devriez-vous considérer ces informations comme faisant autorité?
Voici quelques données bibliques qui posent problème aux occidentaux du XXIème siècle.
- YHWH a créé l’univers entier en six jours (Exode 20.11).
- Dieu a dû se reposer après la semaine de la création (Genèse 2.2) et il a repris haleine (Exode 31.17).
- Pendant leurs règles, les femmes sont impures sept jours par mois, soit 84 jours par an. Si une femme donne naissance à un garçon, elle sera impure 40 jours supplémentaires. Si elle donne naissance à une fille, elle sera impure 80 jours. YHWH a décrété que, pendant cette période, le coït est tabou (Lévitique 15.24; 18.19; 20.18). Selon le nombre d’enfants qu’elle porte, une femme sera impure et intouchable pendant une grande partie de l’année (Lévitique 15.19-27).
- La colère de l’Eternel «s’enflamme vite» (Psaume 2.12); il «entre sans cesse en fureur» (Psaume 7.12).
- Le guerrier YHWH (Exode 15.3) enseigne aux «mains [de David] la guerre» (Psaume 18.35).
- YHWH «ne put déposséder les habitants de la vallée, parce qu’ils avaient des chars de fer» (Juges 1.19).
- YHWH a ordonné un crime de guerre: «Tu mettras à mort hommes et femmes, enfants et nourrissons, bœufs, moutons et chèvres, chameaux et ânes» (1 Samuel 15.3). Aujourd’hui, on parlerait de génocide.
- YHWH a donné au roi David les femmes de son prédécesseur (2 Samuel 12.8).
- YHWH a inspiré de fausses prophéties (2 Chroniques 18.20-22).
- «Rien de mauvais [«Aucun malheur» (NEG1979); «Aucune calamité» (BDS)] n’arrive au juste» (Proverbes 12.21). Cela ne semble pas conforme à la réalité.
- Jésus a recommandé l’amputation de parties du corps en raison du péché (Matthieu 5.29, 30).
- Jésus a menti en disant qu’il n’irait pas à la fête; ses frères l’y ont vu plus tard (Jean 7.8-10).
La plupart du temps, nous ignorons ces passages problématiques au profit de ceux que nous comprenons plus facilement. Or, même ceux que nous prétendons comprendre, nous les lisons au travers des lunettes de notre propre culture. Et cela implique des traditions!
Antiquité et autorité
Les Ecritures judéo-chrétiennes sont un ensemble d’écrits sacrés anciens. Pourquoi n’acceptons-nous pas certains autres comme faisant autorité en raison de leur ancienneté?
- L’Hymne du temple de Kesh, la plus ancienne œuvre littéraire au monde encore existante, a été écrite vers 2600 av. J.-C., soit au moins 1.160 ans avant le Pentateuque.
- Les Textes des pyramides sont au moins 1.000 ans plus anciens que la Torah.
- Le Rig-Veda indien a été écrit vers 1700 av. J.-C., soit au mois 260 ans avant la datation de la Torah.
Nous reconnaissons comme faisant autorité des documents vieux de près de 3.500 ans, mais pas des textes religieux écrits il y a 4.600 ans. Il faut admettre que, si nous étions nés dans une culture différente, avec des traditions différentes, nous considérerions probablement certains de ces textes comme faisant autorité, au lieu de la seule Torah. Or, nous avons hérité d’une tradition (et voilà le mot) selon laquelle les textes juifs et grecs font autorité, et non, par exemple, la Bhagavad Gita.
Communication
Nous revenons donc aux principes de communication que j’ai évoqués au début. L’ancienneté et la culture de la Bible introduisent des «parasites» qui entravent l’efficacité de la communication. A cette époque reculée, ce que nous pouvons faire de mieux, c’est de décoder ces communications anciennes adressées à des peuples anciens puis isoler les concepts qui ont du sens pour nous autres qui ne partageons plus la mentalité des anciens Proche-Orientaux.
Il nous faut aussi admettre que la manière dont nous faisons cette interprétation, et la manière dont nous choisissons les documents que nous interprétons a, au moins dans une certaine mesure, à voir avec notre tradition.
Richard W. Coffen était vice-président des services éditoriaux à la Review and Herald Publishing Association. Il est maintenant à la retraite. Il écrit depuis Green Valley, dans l’Arizona. La version anglaise de cet article est parue le 7 mars 2025 sur le site d’Adventist Today.
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