Esaïe 56.1-8: la droiture et la non-conformité de genre
par Olive J. Hemmings | 24 mai 2025 |
Comme je l’ai expliqué précédemment dans un article de ce magazine, la droiture dont les prophètes parlent ne concerne pas la piété personnelle basée sur la performance et la conformité aux normes sociales, dogmatiques et rituelles. Le mot que les traducteurs [anglais] rendent systématiquement par droiture signifie en fait justice. Quand les prophètes de l’Ancien Testament parlent de justice, ils utilisent souvent les mots jumeaux mishpat et tzedekah – «justice et droiture»; et c’est ce qu’Esaïe utilise au début du chapitre 56.
«Voici ce que dit l’Eternel: Respectez le droit et pratiquez la justice, car mon salut est sur le point d’arriver, et ma justice est prête à se révéler» (verset 1).
Dans la Bible hébraïque, cette justice/droiture se trouve au cœur de l’observance du sabbat.
«Heureux l’homme qui adopte ce comportement et le fils de l’homme qui y reste fermement attaché, qui respecte le sabbat au lieu de le violer et veille sur ses actes pour ne commettre aucun mal» (verset 2).
Comme les autres, Esaïe prône la justice pour tous les groupes marginalisés, opprimés et parias de l’ancien Israël, y compris les eunuques – un groupe non conforme au genre.
«Que l’étranger qui s’attache à l’Eternel ne dise pas: ‘L’Eternel me séparera certainement de son peuple!’ et que l’eunuque ne dise pas: ‘Je ne suis qu’un arbre sec!’ En effet, voici ce que dit l’Eternel: Si des eunuques respectent mes sabbats, choisissent de faire ce qui me plaît et restent attachés à mon alliance, je leur donnerai dans mon temple et à l’intérieur de mes murailles une place et un nom qui vaudront mieux, pour eux, que des fils et des filles. En effet, je leur donnerai un nom éternel qui ne disparaîtra jamais. Quant aux étrangers qui s’attacheront à l’Eternel pour lui rendre un culte, pour aimer son nom, pour être ses serviteurs, tous ceux qui respecteront le sabbat au lieu de le violer et qui resteront attachés à mon alliance, je les amènerai sur ma montagne sainte et je les réjouirai dans ma maison de prière. Leurs holocaustes et leurs sacrifices seront acceptés sur mon autel, car mon temple sera appelé une maison de prière pour tous les peuples. Déclaration du Seigneur, de l’Eternel, de celui qui rassemble les exilés d’Israël: J’en rassemblerai d’autres en les ajoutant à lui, aux siens déjà rassemblés» (versets 3-8).
La non-conformité de genre dans Esaïe
Dans ce passage, non seulement l’eunuque est non conforme au genre, mais c’est aussi le cas de l’étranger – communément appelé gentil dans les Ecritures. L’eunuque est un mâle castré, et le gentil est un mâle non circoncis.
Dans ce cas, la norme, c’est la masculinité juive – dont l’eunuque et le gentil ne font pas partie. (Il est important de comprendre que, dans l’ancien Israël, les catégories séparant les croyants des non-croyants étaient toujours en référence à l’homme Juif. Les femmes n’avaient pas de libre arbitre et, par conséquent, n’étaient pas incluses dans la conversation au sujet de l’alliance avec Dieu.)
L’eunuque auquel pense Esaïe est probablement un homme castré, car dans la forme littéraire hébraïque classique, il déclare que l’eunuque qui observe Shabbat recevra «un nom éternel qui ne sera pas retranché».[1]
Dans de nombreuses cultures anciennes, la castration masculine forcée était l’une des conséquences de la guerre et visait à débiliter les hommes, à s’approprier sexuellement leurs femmes et à supprimer leur descendance. Les esclaves étaient castrés pour être en charge de fonctions sociales et religieuses importantes, telles que «courtisans, domestiques, sopranistes, spécialistes en affaires religieuses, soldats, gardes royaux, représentants du gouvernement, gardiens des femmes ou serviteurs dans le harem».[2]
Dans Matthieu 19.11-12, Jésus parle de trois catégories d’eunuques: ceux qui sont eunuques à la naissance, ceux qui ont été faits eunuques par les autres et ceux qui choisissent d’être eunuques pour des raisons religieuses.[3] Jésus et Paul de Tarse étaient peut-être considérés comme faisant partie de la troisième catégorie car, en tant qu’hommes juifs, ils ne vivaient pas à la hauteur des attentes sociales en tant que maris et pères; par ailleurs, ils dépassaient encore plus franchement la barrière entre les sexes en interagissant sur des sujets spirituels et intellectuels avec des femmes dans la sphère publique.[4]
Quelle que soit sa catégorie, l’eunuque enfreint les barrières de genre claires – comme c’est le cas avec ceux que nous appelons aujourd’hui les personnes transgenres. L’eunuque doit rester hors de l’assemblée des justes. Selon la loi hébraïque, «l’homme dont les testicules ont été écrasés ou l’urètre coupé n’entrera pas dans l’assemblée de l’Eternel» (Deut. 23.2). La loi ne fait aucune distinction entre la non-conformité de genre naturelle, choisie ou forcée.
L’eunuque d’Esaïe est ce non-conformiste de genre ostracisé et exilé pour lequel il exige l’inclusion quand il déclare: «car mon temple sera appelé une maison de prière pour tous les peuples» (Esaïe 56.7).
Pourtant, dans ce passage, Esaïe recherche l’inclusion de l’étranger et de l’eunuque à la condition qu’ils «respectent le droit, pratiquent la justice» (verset 1) et observent le sabbat. Ces personnes ne sont pas, en raison de leur non-conformité de genre, en dehors de l’alliance faite avec Dieu (verset4).
Mâles non conformes
C’est en se basant sur l’idéal prophétique articulé par Esaïe que Jésus, Paul et l’église primitive ont construit leur rayonnement.
Dans les Actes des apôtres, Luc démontre l’inclusivité d’Esaïe lorsque la bonne nouvelle du salut est apportée aux deux types d’hommes non conformes au genre mentionnés dans Esaïe 56: un eunuque éthiopien (Actes 8) et un gentil nommé Corneille (Actes 10).
Dans ce deuxième exemple, Pierre reçoit une vision choquante dans laquelle Dieu lui dit de manger des créatures impures. Comme le savent les adventistes du septième jour, le message n’est pas destiné à changer son alimentation, mais il invite Pierre à accueillir le gentil non circoncis, Corneille, sur qui (à la stupéfaction des croyants circoncis) le Saint-Esprit descend (Actes 10.45-46).
Deux chapitres plus loin, un ange dirige Philippe vers l’eunuque éthiopien qui, au moment où il le rejoint, est en train de lire Esaïe: «Pareil à un agneau qu’on mène à l’abattoir, à une brebis muette devant ceux qui la tondent, il n’a pas ouvert la bouche. Il a été enlevé sous la contrainte et sous le jugement, et dans sa génération qui s’est inquiété de son sort? Qui s’est soucié de ce qu’il était exclu de la terre des vivants?» (Esaïe 53.7-8).
L’eunuque éthiopien demande à Philippe: «Le prophète dit-il cela de lui-même ou de quelqu’un d’autre?»
Pourquoi pose-t-il cette question? Peut-être que l’éthiopien voit en Esaïe quelqu’un qui s’identifie avec sa propre stigmatisation et demande justice. Philippe lui parle de la bonne nouvelle de Jésus, et l’eunuque rejoint le Christ, non conforme au genre, par le baptême, et par lequel il entre dans la vie de l’Esprit.
La tradition religieuse aurait exclu l’eunuque éthiopien ainsi que Corneille, le non-Juif. Mais la bonne nouvelle prêchée par Esaïe, Jésus et l’église primitive les inclut tous les deux.
Genre, spiritualité et justice
Selon l’apôtre Paul, quand on entre dans la vie de l’Esprit – quand on s’attache à Christ – le genre n’a aucune importance. En répondant à certains membres de l’église de Galatie qui tentaient d’imposer la circoncision aux croyants Juifs, Paul fait cette déclaration choquante: «Il n’y a plus ni Juif ni non-Juif, il n’y a plus ni esclave ni libre, il n’y a plus ni homme ni femme, car vous êtes tous un en Jésus-Christ. Si vous appartenez à Christ, vous êtes donc la descendance d’Abraham [et] vous êtes héritiers conformément à la promesse» (Gal. 3.28-29).
Cette déclaration est choquante car Paul, comme tous les autres hommes juifs de son époque, aurait récité la prière suivante: «Béni sois-tu, ô Dieu, notre Seigneur, Roi de l’univers, qui n’a pas fait de moi un non-Juif. Béni sois-tu, ô Dieu, notre Seigneur, Roi de l’univers, qui n’a pas fait de moi une femme. Béni sois-tu, ô Dieu, notre Seigneur, Roi de l’univers, qui n’a pas fait de moi un esclave.»[5]
A la suite de sa rencontre bouleversante avec le Christ ressuscité, Paul est convaincu que ces distinctions n’existent plus. Il ébranle cette religion qui idolâtre la masculinité en plaçant méticuleusement une barrière claire entre les hommes et les femmes, et il l’appelle une religion de la chair (Gal. 3.2-5, LSG). Il invite tout le monde à entrer dans la vie de Christ, dans cette vie de l’Esprit qui accueille tout un chacun, y compris les non conformes au genre.
Il s’oppose même à l’exigence séculaire selon laquelle les gentils doivent se soumettre au rituel prosélyte de la circoncision. Les incirconcis – les femmes, les gentils et les esclaves – sont les personnes que Paul inclut spécifiquement dans Galates 3.28. Voici l’antithèse étonnante de Paul face à la bénédiction qui loue la masculinité judaïque: «Vous êtes séparés de Christ, vous tous qui cherchez à être considérés comme justes dans le cadre de la loi, vous êtes déchus de la grâce. Nous, c’est de la foi et par l’Esprit que nous attendons la justice [droiture en anglais] espérée. En effet, en Jésus-Christ, ce qui a de l’importance, ce n’est ni la circoncision ni l’incirconcision, mais seulement la foi qui agit à travers l’amour» (Gal. 5.4-6).
Encore une fois, le terme que les traducteurs rendent par «droiture» est le mot dikaiosunē, qui signifie en fait «justice». Dans les Galates, la justice est accordée par la grâce de Dieu, et non parce que quiconque la mérite (Gal. 2.15-21). Et cela inclut la justice pour les non conformes au genre, les invitant, comme le prophète Esaïe l’a fait des siècles auparavant, dans la communauté de l’alliance des justes afin qu’eux aussi pratiquent la droiture et la justice.
Et nous?
L’église adventiste mondiale observe Shabbat. Dans Esaïe, aucune des références au sabbat n’inclut l’article défini. Esaïe mentionne Shabbat et non le sabbat. La même chose est vraie pour les textes d’Exode 20 et de Deutéronome 5. Le fait qu’il n’y ait pas d’article indique que le Shabbat de la Bible transcende l’observance rituelle d’un jour et symbolise au contraire le principe universel de justice.
Exode 20 et Deutéronome 5 présentent le sabbat comme un acte de solidarité dans la communauté. Le texte d’Exode rappelle à Israël que toute la création a un seul Créateur, tandis que le passage du Deutéronome lui rappelle qu’en tant qu’esclaves en Egypte, ils étaient autrefois des parias en marge de la société. Le sabbat est un appel à tous à agir envers les autres comme on souhaiterait qu’ils agissent envers nous, l’emblème même du message tout entier de justice et de libération qui caractérise l’histoire du salut.
Revisitons le sens profond de Shabbat: la pratique de la justice.
L’église adventiste du septième jour est aussi un mouvement prophétique. Si cette communauté de foi souhaite témoigner du Christ non conforme et en son nom, elle ne peut pas fonctionner comme un club social qui n’accepte que ceux d’un certain type. Elle doit tenir compte de la réalité que tous les êtres humains ne font pas l’expérience d’être de la même manière.
Comme Esaïe, réfléchissons au sens profond de la prophétie et parlons, pour Dieu, au nom des opprimés.
Lu dans son contexte, Esaïe nous enseigne que la droiture n’est pas basée sur le fait qu’une personne soit conforme ou non aux normes de genre, mais sur le fait de savoir si cette personne – conforme ou non conforme – mène une vie juste. Esaïe appelle la personne non conforme au genre à pratiquer la justice et non la conformité de genre. Ce faisant, il plaide pour leur inclusion dans la communauté d’Israël de laquelle la loi les aurait bannis.
Comme Esaïe, Philippe et Paul, nous devons répondre à l’appel de l’Esprit et accueillir les personnes non conformes au genre dans la communion du Shabbat et les inviter à pratiquer la droiture que Dieu requiert de tous.
- Du mot hébreu karath, qui signifie «couper». ↑
- Cf en.wikipedia.org/wiki/Eunuch. ↑
- Dans le but d’assumer des rôles religieux, l’autocastration était pratiquée par les hommes dans de nombreuses cultures anciennes. Cela s’est perpétué au tout début du christianisme lorsque des membres de l’église primitive pratiquaient le célibat (y compris la castration) à des fins spirituelles. Un père de l’église du deuxième siècle, Tertullien, décrit Jésus et Paul comme des spadones (terme souvent traduit par «eunuques») et affirme que Paul était en fait castré. Voir Halvor Moxnes, Putting Jesus in His Place: A Radical Vision of Household and Kingdom (2004), p.85. ↑
- Voir, par exemple, Marc 14.3-9; Luc 10.38-42; et Romains 16.1-16. ↑
- Voir torah.org/learning/women-class31/. ↑
Olive J. Hemmings est professeur de religion et d’éthiques à Washington Adventist University à Takoma Park, dans l’état du Maryland. Cet essai a été publié pour la première fois au printemps 2020 dans le magazine Adventist Today.