L’activisme social: Un trait récessif de l’ADN adventiste
par Tyler Kraft | 25 juin 2025
Au lycée, j’avais beaucoup de mal en classe de biologie: c’était un océan de termes et de concepts confus qui ne semblaient jamais s’accorder. Mais je comprenais la génétique: les échiquiers de Punnett, les traits dominants et les gènes récessifs; tout cela me semblait clair.
En tant que pasteur, je n’ai pas eu beaucoup de raisons d’étudier la génétique. Pourtant, si j’observe notre dénomination, l’idée que des traits puissent se transmettre de génération en génération, tout en restant récessifs jusqu’à leur expression soudaine, offre une puissante métaphore pour comprendre notre histoire. À l’instar des yeux bleus qui peuvent rester enfouis dans le patrimoine génétique d’une famille pendant des générations avant d’apparaître soudainement chez un nouveau-né, certains traits théologiques et sociaux sont ancrés dans l’ADN de l’église adventiste du septième jour. Certains, comme l’observance du sabbat et l’état des morts, sont restés dominants au fil des ans. D’autres, en revanche, sont devenus récessifs: latents, mais toujours présents dans notre patrimoine génétique.
L’un de ces traits récessifs est l’activisme social d’inspiration prophétique. Dominant, lors des premiers temps de l’adventisme, ce pan de l’ADN confessionnel a été étouffé pendant plus d’un siècle. Même si nous ne sommes plus connus pour notre activisme social aujourd’hui, il reste essentiel à notre identité. Il est crucial de redécouvrir ce trait si nous espérons accomplir fidèlement la mission que Dieu nous a confiée, car négliger la justice sociale est une injustice spirituelle.
Nos racines activistes
Le mouvement millérite est souvent évoqué uniquement à travers les interprétations de la prophétie par William Miller et de sa prédiction du retour de Jésus le 22 octobre 1844. Il s’agit pourtant d’un récit historique incomplet. Si Miller prêchait effectivement le retour imminent du Christ, un autre élément crucial de son message était un appel passionné aux États-Unis pour l’abolition de l’esclavage.
Le Dr Kevin Burton, Directeur du Center for Adventist Research à l’Université d’Andrews, a montré que l’abolitionnisme n’était pas périphérique au sein du mouvement millérite; il en était le centre. Beaucoup ont été expulsés de leur église, non seulement parce qu’ils croyaient au prochain retour du Christ, mais aussi parce qu’ils étaient convaincus de l’impérieuse nécessité morale de mettre fin à l’esclavage.
Au départ, Miller n’était pas un abolitionniste. Il estimait initialement que, puisque Jésus allait bientôt revenir, les problèmes sociaux comme l’esclavage seraient résolus lors de la Seconde Venue. Un autre croyant, Henry Jones, a convaincu Miller que c’était précisément parce que Jésus revenait bientôt que les chrétiens devaient mettre tout en œuvre pour éradiquer le péché de l’esclavage. Qui voudrait rencontrer son Créateur avec, sur la conscience, la tâche de l’esclavage?
L’abolitionnisme était profondément ancré dans la compréhension des prophéties bibliques par les premiers adventistes. Les pionniers adventistes interprétaient Apocalypse 18:1-4, qui parle du «luxe démesuré» de Babylone et appelle le peuple de Dieu à «sortir du milieu d’elle», comme une référence directe à la traite des esclaves. Le verset 13 mentionne spécifiquement le commerce «de corps et d’âmes humaines» comme faisant partie de l’activité de Babylone.
Les premiers pionniers adventistes, dont Joseph Bates, Ellen White, Uriah Smith et J.N. Andrews, étaient surreprésentés parmi les abolitionnistes à une époque où seulement 1 à 2% de la population du Nord des États-Unis soutenait l’abolition. Ils étaient véritablement radicaux, motivés par leur compréhension prophétique. Ces pionniers ne se contentaient pas d’une approche théorique de la liberté pour les esclaves et de l’égalité des droits, ils comprenaient que négliger la justice sociale constituait une injustice spirituelle et, en conséquence, agissaient concrètement.
Ils signèrent et firent circuler des pétitions auprès du Congrès, exploitèrent des magasins ne vendant que des produits non issus de l’esclavage et défièrent ouvertement les lois injustes. Ellen White enjoignit explicitement les croyants à désobéir à la loi sur les esclaves fugitifs (Fugitive Slave Act), quelles qu’en soient les conséquences. Et ce n’était pas une mince affaire: enfreindre cette loi était passible d’une amende de 3 000 dollars – l’équivalent de trois années de salaire pour une personne moyenne – et de six mois de prison. Elle insista sur le fait qu’il s’agissait d’une question morale: l’idée d’obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes n’était pas négociable.
Surveillance, menaces et soumission
Qu’est-ce qui a fait que ce trait autrefois dominant de l’activisme social est devenu récessif dans l’ADN adventiste? Des recherches récentes menées par le Dr Burton ont attiré l’attention sur plus de 2 500 documents déclassifiés qui révèlent un changement institutionnel crucial.
Pendant la Première Guerre mondiale, le Bureau d’investigation – aujourd’hui connu sous le nom de Federal Bureau of Investigation (FBI) – a commencé à cibler l’Église adventiste du septième jour. Fait remarquable, il a classé les adventistes comme des «libéraux» potentiellement dangereux, sur la base de leurs publications. Des agents du FBI ont infiltré des églises et des camps meetings, intercepté du courrier et des télégrammes, et tenté de perturber les activités ecclésiales. Ils ont fini par menacer les dirigeants adventistes d’emprisonnement si certains enseignements n’étaient pas modifiés. (Ces menaces n’étaient pas vaines: le FBI avait déjà emprisonné des dirigeants des Témoins de Jéhovah, ce qui démontrait sa volonté de prendre des mesures sévères contre les groupes religieux qu’il jugeait subversifs.)
L’une des principales préoccupations du FBI concernait l’interprétation adventiste d’Apocalypse 13, où l’on identifiait les États-Unis à la bête terrestre «ayant deux cornes semblables à celles d’un agneau, mais parlant comme un dragon». Ce symbolisme était interprété comme représentant les principes de liberté religieuse et civile revendiqués par l’Amérique, en contraste flagrant avec ses actions tyranniques de persécution religieuse, d’esclavage et d’oppression raciale.
Face à ces menaces, les dirigeants adventistes ont opéré un changement théologique majeur. Par exemple, dans l’édition de 1916 de Bible Readings for the Home Circle – une publication très populaire dans l’église de l’époque – les États-Unis étaient clairement identifiés comme la bête terrestre d’Apocalypse 13. Mais l’édition de 1918 affirmait que les États-Unis ne deviendraient cette bête qu’à un certain moment, dans le futur, lorsque la liberté religieuse serait bafouée.
Après cela, notre confession a cessé de mettre l’accent sur les injustices sociales actuelles et s’est concentrée exclusivement sur une menace future pour la liberté religieuse. Les libertés civiles ont cessé d’être une préoccupation immédiate. L’Église a fermé les yeux sur les souffrances des Noirs américains et des autres minorités, tout en se focalisant sur d’éventuelles persécutions religieuses, dans le futur.
Ce choix de céder à la pression gouvernementale a coûté cher à notre dénomination, entraînant des conflits et des problèmes qui n’auraient peut-être jamais surgi si l’Église était restée fidèle à la position de ses pionniers à l’égard de la justice sociale. Après plus d’un siècle d’activisme social fonctionnant comme une caractéristique récessive plutôt que dominante, beaucoup, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’adventisme, perçoivent notre dénomination comme déconnectée des enjeux de justice sociale. Nombre de nos membres se contentent d’attendre passivement que Jésus règle tout à son retour. Dans nos rangs, la suggestion de s’engager pour défendre une justice sociale se heurte à l’obstination, voire à une franche hostilité.
J’ai entendu de nombreux membres et pasteurs déclarer que nous devons nous concentrer sur les enjeux spirituels, et non sur les questions civiques ou sociales. Ils soutiennent que ce qui compte, c’est d’être prêts spirituellement pour le retour de Jésus. Pourtant, la Bible relie clairement le développement spirituel à l’engagement social. Il est indéniable que négliger la justice sociale est une injustice spirituelle.
La justice prophétique
Les Écritures appellent à maintes reprises les croyants à s’engager sur les questions de justice. L’un des exemples les plus clairs et les plus connus est celui du prophète Michée qui résume succinctement les exigences divines: «Il t’a fait connaître, ô homme, ce qui est bon. Et que demande l’Éternel de toi? Que tu pratiques la justice, que tu aimes la miséricorde, et que tu marches humblement avec ton Dieu.» (Michée 6:8).
Agir avec justice exige des actions concrètes, et non une anticipation passive. Parfois, cela implique un service direct, comme fournir de la nourriture aux personnes affamées. Mais œuvrer pour la justice exige aussi de s’attaquer aux causes systémiques de la souffrance: comprendre pourquoi tant de gens souffrent d’insécurité alimentaire et réformer les systèmes qui perpétuent ce problème.
L’engagement en faveur de la justice ne doit pas être entravé par des considérations partisanes: nos efforts ne doivent pas viser à promouvoir un parti plutôt qu’un autre, mais à servir les gens. Parfois, cela implique de collaborer avec les élus d’un camp politique qui ont de bonnes idées pour aider les populations vulnérables, et d’autres fois, de collaborer avec les élus d’un autre camp qui sont engagés dans la protection des êtres humains contre l’injustice. Cela peut impliquer d’écrire des pétitions au Parlement, de participer à des manifestations, voire de risquer des conflits avec les autorités gouvernementales.
L’essentiel, c’est de s’assurer que notre œuvre pour plus de justice ait une forme concrète. Cela ne peut pas se faire en restant silencieux. La justice exige des actes concrets et pas seulement l’espoir ou la prière que Jésus arrangera tout. Les adventistes d’aujourd’hui doivent apprendre la même leçon que William Miller il y a tant d’années: la venue prochaine de Jésus signifie que nous devons nous impliquer davantage dans les questions sociales et civiques, et pas moins.
Oui, cela nous mettra mal à l’aise. Travailler en faveur de la justice remet en question les normes établies et les structures de pouvoir. Mais nous ne devrions pas être accros au confort au point de désobéir aux commandements divins. Les moyens d’agir sont nombreux, et il suffit de regarder les informations cinq minutes pour être mis face à face avec des personnes confrontées à des injustices sociales, juridiques ou financières. À ce stade de l’histoire, du moins ici aux États-Unis [NdT: bien sûr, cela s’applique également à notre situation en France], nous ne pouvons pas adopter la même attitude passive qui a caractérisé une grande partie de notre passé récent.
Réactiver notre ADN spirituel
Je le répète: l’activisme social d’inspiration prophétique demeure un trait récessif de l’ADN adventiste; il attend de s’exprimer à nouveau. En renouant avec cet héritage, notre Église peut retrouver la compréhension de ses pionniers selon laquelle justice sociale et fidélité spirituelle sont indissociables. Ils étaient prêts à risquer leur situation financière, l’emprisonnement, et même leur vie, pour lutter contre l’injustice. Les adventistes d’aujourd’hui doivent s’interroger: partageons-nous un tel engagement? Sommes-nous prêts à faire ce que Dieu a demandé: pratiquer la justice, aimer la miséricorde et marcher humblement avec lui, même si cela nous coûte?
Je ne veux pas rencontrer mon Créateur avec la conscience souillée par le fait que, tout en priant pour les personnes confrontées à l’injustice, je n’ai jamais levé le petit doigt pour les aider. En fin de compte, la question n’est pas de savoir si nous pouvons nous permettre l’inconfort d’œuvrer pour la justice, mais si nous pouvons nous permettre les conséquences spirituelles de l’éviter.
Car négliger la justice sociale est une injustice spirituelle.
Tyler Kraft est le pasteur de l’église Adventiste d’Hayward, en Californie. Il a étudié à Pacific Union College et à Andrews University. Il est marié à Crystal, avec qui il aime servir Jésus. Il est l’auteur du livre The Strength of Samson qui sera publié prochainement.
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